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Le Bhâgavata Purâna/Livre III/Chapitre 7

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Traduction par Eugène Burnouf.
Imprimerie royale (tome 1p. 185-189).
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CHAPITRE VII.

QUESTIONS DE VIDURA.


1. Çuka dit : Après que Mâitrêya eut ainsi parlé, le sage, fils de Dvâipâyana, Vidura, lui adressa la parole en ces termes, le charmant en quelque sorte par son éloquence.

2. Vidura dit : Comment les qualités et les actions peuvent-elles s’unir, ne fût-ce qu’en se jouant, à Bhagavat qui est tout esprit et qui est aussi inaccessible au changement qu’aux qualités ?

3. Pour un enfant, le plaisir est la cause des efforts qu’il fait pour jouer ; le désir de jouer lui vient du dehors : mais pour l’Être qui trouve en lui-même la satisfaction de ses désirs, pour celui qui est perpétuellement affranchi du contact de tout autre être, comment [ces deux motifs pourraient-ils exister] ?

4. Bhagavat, [dis-tu,] a créé l’univers à l’aide de sa Mâyâ qui est douée de qualités ; c’est par elle qu’il le conserve, et par elle encore qu’il le fera rentrer dans son sein.

5. Celui qui est en soi une intelligence sur laquelle n’ont d’empire ni le lieu, ni le temps, ni l’état, ni elle-même, ni rien d’étranger, comment s’unirait-il à l’ignorance ?

6. C’est Bhagavat, l’Être unique, qui réside, [dis-tu,] dans toutes les âmes : d’où viennent donc la misère et la douleur auxquelles les œuvres le condamnent [au sein de l’âme humaine] ?

7. L’ignorance de tout cela est, ô sage Brâhmane, une difficulté qui déchire mon cœur ; consens donc à dissiper, seigneur, le trouble profond où est plongé mon esprit.

8. Çuka dit : Ainsi excité par le guerrier qui désirait connaître la vérité, le solitaire, l’esprit fixé sur Bhagavat, lui répondit avec l’apparence d’un étonnement qu’il n’éprouvait réellement pas.

9. Mâitrêya dit : Ce qui répugne à la raison, c’est la Mâyâ dont s’enveloppe Bhagavat, c’est la misère et l’esclavage de l’Être suprême qui est [naturellement] libre.

10. [Mais] cette apparence n’est qu’une illusion sans réalité, semblable au rêve de l’homme qui, pendant son sommeil, s’imagine, par exemple, qu’il a la tête tranchée.

11. Comme on voit, quand la lune se réfléchit dans l’eau, que le mouvement et les autres accidents de son image résultent de l’eau elle-même, ainsi les accidents contraires à la nature de l’Esprit, qui n’ont réellement pas d’existence véritable, [n’existent que] pour l’Esprit [individualisé, dans la condition de] spectateur [interne].

12. Ces accidents disparaissent successivement en ce monde par l’observance de l’inaction, par la miséricorde du fils de Vasudêva, et par la pratique de la dévotion à Bhagavat.

13. Quand le trouble des sens s’est calmé dans le sein du spectateur [interne], où réside le suprême Hari, alors les douleurs s’évanouissent complètement, comme elles font pour l’homme plongé dans un profond sommeil.

14. Le récit des qualités de l’ennemi de Mura, qu’on l’entende ou qu’on le prononce, apporte le calme à toutes les douleurs ; que sera-ce donc de l’affection qu’une âme dévouée témoigne pour la poussière du lotus de ses pieds ?

15. Vidura dit : Mes doutes sont tranchés, ô seigneur, par le glaive de tes discours habiles ; mon intelligence comprend d’une manière complète, ô bienheureux sage, cette double condition, [l’indépendance de l’Être suprême, et la dépendance de l’âme individuelle.]

16. Tu l’as bien expliqué, sage Brâhmane : cet état [de l’Être suprême qui parait dépendant] se montre comme le théâtre de la Mâyâ de Hari, de cette illusion dont l’Esprit est le jouet ; cet état est sans réalité, sans base ; l’origine de l’univers n’est pas hors de là.

17. Celui qui, dans le monde, est le plus esclave de l’erreur, et celui qui est parvenu jusqu’à l’Être qui est au-dessus de l’intelligence, vivent aussi heureux l’un que l’autre ; la douleur est pour l’homme qui est placé entre [l’ignorance et la science].

18. Reconnaissant qu’il n’y a rien de réel dans ce qui n’est pas l’Esprit, et que c’est seulement le fruit d’une opinion vaine, j’écarte jusqu’à cette opinion par le culte que je rends à tes pieds,

19. Afin que de ce culte naisse une fête d’amour profond pour les pieds de Bhagavat, l’Être immuable, l’ennemi de Madhu, fête qui puisse faire disparaître le malheur.

20. En effet, un pénitent ordinaire ne parvient pas aisément à honorer ces sages qui sont comme le chemin du Vâikuṇṭha, ces sages par qui Djanârdana, le Dieu des Dêvas, est célébré sans cesse.

21. Le Souverain de l’univers ayant, au commencement, créé l’Intelligence et les autres principes, avec leurs modifications successives, en fit sortir Virâdj qu’il pénétra ensuite,

22. Virâdj qu’on appelle Âdipurucha, qui a des milliers de bras, de cuisses et de pieds, et au sein duquel s’étendent et reposent tous les mondes.

25. Cet Être en qui réside le souffle de vie qui est divisé en dix parties, qui embrasse les sens, leurs objets, et le [puissances qui dirigent les] sens, et que tu as dit être triple, cet Être duquel sortent toutes les classes, raconte-nous ses manifestations distinctes.

24. C’est dans son sein qu’existèrent les diverses espèces de créatures qui ont rempli l’univers, avec leurs enfants, leurs petits-fils, les enfants de ces derniers, et les descendants de leurs races.

25. Raconte-nous quels Pradjâpatis produisit le chef des Pradjâpatis ; dis-nous les créations et les créations secondaires, les Manus qui règnent sur les Manvantaras, les familles de ces derniers, et les histoires de ceux qui firent partie de ces familles,

26. Quels sont, ô fils de Mitra, les mondes placés au-dessus et au-dessous de la terre ? Dis-nous-en l’étendue et la composition, ainsi que celle du monde de la terre.

27. Raconte-nous les divers modes de la création des quadrupèdes, des hommes, des Dêvas, des serpents, des oiseaux, êtres qui naissent ou d’une matrice, ou de l’humidité, ou d’un œuf, ou d’un germe.

28. Expose-nous l’héroïque puissance du Dieu, asile de Çri, lorsqu’à l’aide des transformations des qualités, il crée le théâtre de la production, de la conservation et de la destruction de l’univers ;

29. Les diverses classes et conditions, avec leurs signes distinctifs, leurs mœurs et leur caractère ; la naissance et les actions des Rǐchis, et la distribution du Vêda ;

30. Les développements du sacrifice ; les voies du Yoga, et la théorie, exposée par Bhagavat, du Sâm̃khya et de l’inaction ;

31. Le vice de la voie des hérétiques ; les unions contraires à l’ordre régulier ; les diverses manières de vivre, leur nombre, les qualités et les œuvres dont elles dérivent ;

32. Les moyens qui conduisent, sans se contrarier les uns les autres, au devoir, à la fortune, au plaisir, au salut ; les règles diverses des professions, celles de la punition des crimes et celles du Vêda ;

33. La théorie du Çrâddha et la création des Pitrǐs ; la place des planètes, des constellations et des étoiles dans chaque cycle ;

34. Les avantages de l’aumône et des austérités, ceux des actes de bienfaisance et du sacrifice ; les devoirs de celui qui habite une demeure étrangère, et ceux de l’homme tombé dans la détresse ;

35. Quelle conduite peut plaire au bienheureux Djanârdana, qui est la source des devoirs, et quels sont les hommes auxquels il se montre favorable ; raconte-moi tout cela, ô sage vertueux.

36. le meilleur des Brâhmanes ! des maîtres pleins de compassion pour les malheureux ont exposé, à leurs élèves et à leurs fils dévoués, des choses même que ceux-ci ne leur demandaient pas,

37. Combien de fois, bienheureux sage, les principes [créateurs] sont-ils rentrés dans le néant ? Quels êtres alors ont assisté le souverain Seigneur, et quels autres se sont endormis avec lui ?

38. Quel est l’état de l’Esprit [individualisé], et quelle est la véritable nature de l’Être suprême ? Et qu’est-ce que la science des Écritures, qui est le but des disciples et des maîtres ?

39. Dis-moi, vertueux Brahmane, les moyens d’acquérir cette science qui ont été exposés en ce monde par les sages ; car comment les hommes pourraient-ils obtenir d’eux-mêmes la science, la piété ou même le détachement des passions ?

40. Daigne, par amitié pour moi, répondre à ces questions que, dans le désir de connaître les œuvres de Hari, t’adresse un ignorant, dont la vue est troublée par l’erreur.

41. Vêdas, sacrifices, austérités, aumônes, tout cela réuni ne forme pas même une portion de la science qui donne le salut à l’âme.

42. Çuka dit : Ainsi interrogé par le chef des Kurus sur les objets qui sont exposés dans ce Purâṇa, le chef des solitaires, sentant sa joie s’accroître, lui répondit en souriant, excité au récit des actions de Bhagavat.


FIN DU SEPTIÈME CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
QUESTIONS DE VIDURA,
DANS LE TROISIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.