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Le Chant du Barde écossais (O. C. Élisa Mercœur)

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Œuvres complètes d’Élisa Mercœur, Texte établi par Adélaïde AumandMadame Veuve Mercœur (p. 31-34).


LE CHANT
DU BARDE ÉCOSSAIS.
 

Vous tomberez, palais aux bases chancelantes :
Le temps vous couvrira de son voile de deuil :
Mais les fils de Fingal, en flammes jaillissantes,
          Dissiperont la nuit de leur cercueil.

Élisa Mercœur

Sous les efforts du temps si le héros succombe,
Le Barde par ses chants le ravit à la tombe.

 

Le torrent qui grondait est resté suspendu ;
          La neige blanchit la bruyère,
     Et du rocher, lentement descendu,
Un fantôme s’égare au vallon solitaire.

La brise de minuit balance les rameaux
          Du vieux chêne au tremblant feuillage ;
Tout est silencieux ; et l’ombre d’un héros
          Paraît au sein de son nuage.


Les Bardes ont chanté les exploits du vieux temps ;
Sous leurs doigts ont frémi les harpes fantastiques ;
          À leurs accords mélancoliques
Les esprits ont mêlé de lugubres accens.

Qui vient de s’égarer sur tes cordes légères ?
Harpe, depuis long-temps tu ne résonnais plus :
Qui te rend tous les sons que je croyais perdus ?
Serait-ce le toucher des ombres de mes pères ?

Où sont-ils les beaux jours où mes chants belliqueux
Doublaient la noble ardeur des guerriers invincibles,
Descendant au tombeau pleins de gloire et terribles,
Fiers d’immortaliser le nom de leurs aïeux !

    Il est fini leur exil sur la terre ;
Leurs corps n’enferment plus leurs esprits radieux :
C’était une vapeur et subtile et légère,
Que le vent de la mort chassa jusques aux cieux.

    Las ! il n’est plus l’effroi des Scandinaves ;
Le noir sapin succombe au souffle des hivers :
          Ils sont tombés les chefs des braves,
Et sous la mousse épaisse ils dorment aux déserts.

Lorsque vous reviendrez des collines sauvages,
Chasseurs, ne foulez pas cet humide gazon ;

Quelquefois, au milieu de transparens nuages
Les ombres des guerriers planent dans ce vallon.

Ils n’iront plus s’asseoir aux fêtes étrangères,
          Dans ces lieux où leurs nobles cœurs
S’enivraient du souris des belles qui, naguères,
Enchantaient le repos de nos triomphateurs.

Ils ont fui pour jamais ; et la beauté plaintive
Cache au milieu des pleurs son timide regard :
C’est la fille du ciel, à la lueur craintive,
          Que dérobe un épais brouillard.

Le fantôme d’un chef, à l’armure pesante,
          Au loin se traîne avec effort ;
Il avance, il s’arrête, et, d’une main sanglante,
Il montre avec fierté sa blessure de mort.

Quelle est cette vapeur qui traverse la plaine ?
C’est l’ombre d’une vierge ; et son sein palpitant
      Soulève encor son léger vêtement :
Il semble captiver une suave haleine.

Le nuage a perdu sou élégant contour ;
          Il s’éloigne, il fuit, il s’efface.
          Comme un faible monceau de glace
          Disparaît aux regards du jour.


Vous tomberez, palais aux bases chancelantes :
Le temps vous couvrira de son voile de deuil ;
Mais les fils de Fingal, en flammes jaillissantes,
      Dissiperont la nuit de leur cercueil.

      Oui, les guerriers que le trépas dévore
Laissent un souvenir qu’entourent des regrets.
          Et les héros vivent encore
          Dans les chants du Barde écossais.


(Février 1826.)