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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/09/01

La bibliothèque libre.
E. Arrault et cie (1p. 401-403).


CHAPITRE IX

LA LECTURE EN “ BON ”



§ 1. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES


Dans le paragraphe 1 du chapitre précédent, le lecteur a appris quelles épreuves étaient appelées bon à tirer[1], et quel nom avait été donné à leur vérification typographique et littéraire.

D’après le Code des Usages, l’imprimeur, qui pour le tirage d’un travail s’est scrupuleusement conformé au bon à tirer, ne saurait être tenu pour responsable des erreurs ou des incorrections non relevées par l’auteur[2].

Au point de vue industriel et commercial — deux situations dont il doit subir les inconvénients et apprécier les avantages — le patron peut ainsi, en toute sécurité, à l’abri de tout reproche, jouir des fruits de son travail.

Mais les exigences de l’art, la réputation d’une Maison, les satisfactions d’un amour-propre patronal et ouvrier méticuleux à l’excès ne sauraient s’accommoder de cette limite prudente, imposée à des exigences parfois déraisonnables. À l’auteur qui s’efforce de produire une œuvre impeccable l’imprimeur est tenu moralement d’apporter une aide efficace, à laquelle aucune règle ne peut fixer de barrière[3].

Nombre d’auteurs sont aptes, sans doute, à produire un travail irréprochable au point de vue typographique, comme au point de vue littéraire et scientifique. — Mais combien ont mis au jour des chefs-d’œuvre, qui étaient incapables de lire correctement même une seule page de leurs travaux. Et combien n’auraient pu tirer le moindre honneur ni le moindre profit de leurs écrits, si, soucieux du fonds autant que de la forme, le maître imprimeur n’avait amené le texte au degré de perfection voulu. ·

« Imbu de son sujet et de ses phrases, l’auteur lit, malgré lui, beaucoup plus entre les lignes que mot à mot, sans se douter de la facilité avec laquelle coquilles, doublons, bourdons et autres erreurs échappent à son œil inexercé. » Trop souvent une lecture d’auteur est ainsi, pour l’épuration d’un texte, complètement illusoire ; et, si l’imprimeur veut produire une œuvre qui, à ce point de vue, lui donne profit et réputation, il « ne peut compter que sur la correction soigneuse du correcteur en bon ».

Une lecture en bon doit en effet être faite non seulement au point de vue de la forme, mais aussi de l’idée. « Le correcteur a besoin dès lors de faire appel à toutes ses facultés à la fois, à toutes ses connaissances grammaticales, orthographiques et typographiques. Pendant qu’il s’efforce de reconnaître si la phrase qu’il lit est régulière et donne un sens raisonnable, il ne doit rien laisser passer qui soit contraire aux règles de la composition et de la mise en pages[4].

Pour remplir convenablement cette tâche, il est indiscutable que le correcteur en bon doit être érudit et typographe ; cette condition a d’ailleurs été jugée si indispensable que nombre de chefs de Maison n’hésitent jamais à confier la lecture des bons à tirer à leurs « meilleurs » correcteurs.



  1. Suivant Crapelet : « Une nouvelle épreuve est renvoyée jusqu’à ce que l’auteur ait marqué les mots sacramentels bon à tirer, formule indispensable dont le prote doit réclamer l’exécution à l’auteur, s’il l’a omise, ou la lui indiquer, s’il l’ignore, pour qu’il s’y conforme. Le maître imprimeur doit tenir la main à ce qu’aucune feuille ne soit mise sous presse sans le bon à tirer. »
  2. Cependant la Jurisprudence n’a pas été sur ce point constamment d’accord avec le Code des Usages ; ainsi, le 16 août 1860, le Tribunal de la Seine prononçait le jugement suivant : « Le bon à tirer donné par l’auteur ne dispense pas l’imprimeur de l’obligation de faire disparaître les fautes typographiques restées dans l’épreuve corrigée par l’auteur, qui se préoccupe avant tout des erreurs littéraires ou scientifiques et non pas des fautes d’impression. »
    xxxx Ainsi Dame Justice paraît équilibrer fort justement les responsabilités : à l’auteur incombe le soin de redresser les erreurs de rédaction, et, s’il ne l’a pas fait, il est responsable de ses actes ; à l’imprimeur, le devoir de relever les fautes de composition.
  3. « Ce visa [les mots bon à tirer] n’affranchit pas l’imprimeur des soins qu’il doit à la correction typographique… » (G. Crapelet.)
  4. « Lorsque l’épreuve est revêtue du bon à tirer, elle est remise au correcteur en secondes… Il doit se borner à la stricte correction des fautes typographiques et orthographiques, se référer à la copie ou à l’auteur lorsqu’un mot est douteux, ou que le sens de la phrase n’est pas clair ; mais il ne se permettra aucun changement de mots ou phrases sans le consentement exprès de l’auteur. » (G. Crapelet.)