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Le Diable aux champs/3/Scène 4

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy (p. 124-126).



SCÈNE IV


MYRTO, MANICHE, MARGUERITE ; plusieurs PAYSANNES, vieilles et jeunes, avec des enfants.

MYRTO. — Et celui-là, quel âge a-t-il ? deux ans ?

MARGUERITE. — Oh ! deux ans ! vous plaisantez, mam’selle ! C’est mon dernier, il a trois ans et demi.

MYRTO. — Ah ! mon Dieu ! comme c’est petit, un enfant de trois ans !

MANICHE. — Il est pourtant beau pour son âge, ce gars-là !

MYRTO. — Je ne dis pas non ; mais je croyais que les enfants poussaient plus vite que ça !

MANICHE. — Vous ne regardez pas souvent ça, les enfants, à ce qu’il paraît ?

MYRTO. — Si, je les regarde, comme ça, en passant ; mais je ne les examine pas. Est-ce que vous en avez, vous, la grosse, des moutards ?

UNE PAYSANNE. — Pas encore ! Elle n’est point mariée.

MYRTO. — Ce n’est pas une raison… Ah ! ça vous fait rire, vous autres, ce que je dis là ! Je parie que vous êtes toutes, plus ou moins, des gaillardes !

MARGUERITE. — Dame ! mam’selle, on peut être gaillarde en paroles quelquefois, pour plaisanter ; mais celles qui aiment trop la gaillardise n’en rient que pendant un temps. Ça les mène toujours à pleurer d’un œil ou de l’autre.

MYRTO. — Qu’est-ce que ça veut dire, pleurer d’un œil ou de l’autre ?

MARGUERITE. — Ça veut dire qu’on en a un pour pleurer la misère et un pour pleurer la honte.

MYRTO. — Diable ! on est donc bien sévère dans votre village ?

MARGUERITE. — On est comme ailleurs. On vous passe bien quelques petits manquements ; mais on ne vous en passe pas trente-six.

MYRTO. — Ainsi, on peut aller jusqu’à trente-cinq ?

UNE PAYSANNE. — Ah ! diantre, mam’selle, vous nous paraissez avoir la manche large !

UNE AUTRE. — Et la langue dégagée !

MYRTO. — Ça vous fâche donc, qu’on vous taquine ? Tenez, voilà la grosse qui a rougi ! Elle a au moins vingt-quatre ans, celle-là ?

MANICHE. — Excusez, j’en ai vingt, tout au plus.

MYRTO. — Tiens, c’est drôle, j’allais dire que vous aviez bien eu trois ou quatre amoureux ; mais je peux dire encore que vous en avez un ?

MARGUERITE. — Bien sûr qu’elle en a un !

MYRTO. — Eh bien, avec celui qu’elle a peut-être eu auparavant, ça fait deux.

MARGUERITE. — Ça ne regarde personne, ça ! Faut croire qu’elle est assez sage, puisqu’elle trouve à se marier avec un bon sujet.

MYRTO. — Ah ! elle se marie ? Êtes-vous contente de vous marier ?

MANICHE. — Ça ne me fait point de peine.

MARGUERITE. — Elle prend un beau mari, et comme elle n’est point déjetée non plus, ça nous amènera une bande de beaux enfants que nous verrons jouer comme ça sur la place, dans cinq ou six ans d’ici ! Pas vrai, Maniche ?

MANICHE. — Si le bon Dieu m’en fait la grâce !

MYRTO. — Tiens, ça ne vous fait plus rougir, ça, la belle ?

MARGUERITE — Et pourquoi donc que ça lui ferait honte ? C’est pour mettre des chrétiens sur la terre qu’on se marie.

MANICHE. — J’en voudrais avoir un tout pareil au tien ! un joli gars, et si mignon !

(Elle embrasse l’enfant.)

MYRTO, se levant. — À revoir, mes bonnes femmes !

UNE PAYSANNE. — Tiens ! on dirait que ça lui a remué le cœur, encore qu’elle soit bien effrontée, cette demoiselle !