Le Géant Yéous (RDDM)

La bibliothèque libre.

LE

GÉANT YÉOUS

CONTE FANTASTIQUE

A MA PKTITB— FILLE OABKIBLLK SAND.

Et toi aussi, mon petit enfant rose, tu casseras des pierres sur le chemin de la vie avec tes mains mignonnes, et tu les casseras fort bien, parce que tu as beaucoup de patience. En écoutant l’iiistoire du géant Yéous, tu vas comprendre ce que c’est qu’une métaphore.

I.

Lorsque j’habitais la charmante ville de Tarbes, je voyais toutes les semaines à ma porte un pauvre estropié appelé Miquelon, assis de côté sur un petit âne et suivi d’une femme et de trois enfans. Je leur donnais toujours quelque chose, et j’écoutais toujours sans impatience l’histoire lamentable que Miquelon récitait sous ma fenêtre, parce qu’elle se terminait invariablement par une métaphore assez frappante dans la bouche d’un mendiant. « Bonnes âmes, disait-il, assistez un pauvre homme qui a été un bon ouvrier et qui n’a pas mérité son malheur. J’avais une cabane et un bout de terre dans la montagne ; mais un jour que je travaillais de grand cœur, la montagne a croulé et m’a traité comme me voilà. Le géant s’est couché sur mol. »

La dernière année de mon séjour à Tarbes, je remarquai que depuis plusieurs semaines Miquelon n’était pas venu chercher son aumône, et je demandai s’il était malade ou mort. Personne n’en Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/871 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/872 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/873 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/874 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/875 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/876 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/877 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/878 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/879 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/880 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/881 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/882 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/883 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/884 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/885 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/886 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/887 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/888 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/889 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/890 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/891 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/892 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/893 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/894 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/895 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/896 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/897 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/898 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/899 Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/900 plantes belles et rares pour en conserver l’espèce, en vue des recherches des autres botanistes, il me parut touché et frappé de cette idée, et se promit de suivre désormais mon exemple dans ses courses. Il avait, comme tous les montagnards en contact avec les amateurs et les touristes, quelques notions d’histoire naturelle. Il voulut me conduire à sa maison de Pierrefitte pour me donner des échantillons de plantes et de minéraux, de belles cristallisations enlevées sur le géant même, des renoncules glacialis et des ramondies superbes cueillies près des glaciers. — N’est-ce pas, me disait-il, que nos montagnes sont le paradis des botanistes ? Vous y avez à la fois les fleurs et les fruits de toutes les saisons. Au fond des vallées, c’est l’été et l’automne ; vous montez à mi-côte, vous trouvez le printemps ; plus haut encore, et vous reculez dans la floraison que vous ne trouveriez ailleurs qu’aux premiers jours de mars. Ainsi vous pouvez récolter dans la même journée les orchis des premiers beaux jours et ceux de l’arrière-saison. C’est la même chose pour tout, pour l’air et la lumière. Vous avez en un jour, à mesure que vous montez, l’éclat du soleil sur les lacs, la brume d’automne sur les hautes prairies, et la majesté des hivers sur les cimes. Comment pourrait-on s’ennuyer de la vue des plus belles choses ainsi rassemblées ? Une pareille richesse vaut bien d’être achetée par sept mois d’exil dans la plaine. C’est pourquoi nous aimons tant notre montagne, et lui pardonnons de nous chasser tous les ans. Nous comprenons qu’elle appartient à quelque chose qui est plus que nous, et qu’il faut nous contenter des beaux sourires qu’elle nous fait quand nous y rentrons.

Miquelon voulut encore m’héberger et me servir à Pierrefitte. J’étais honteux d’être ainsi comblé par un homme pour qui j’avais fait si peu. — Souvenez-vous, me dit-il quand nous nous séparâmes, que vous avez dit jadis devant moi à mon père : a II ne faut pas que cet enfant mendie plus longtemps ; il a dans les yeux quelque chose qui promet mieux que cela. » J’ai recueilli votre parole, et qui sait si je ne vous dois pas d’avoir voulu être un homme ?

George San».

Nohant, mars 1873.