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Le Livre des milles nuits et une nuit/Tome 01/02

La bibliothèque libre.
Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Eugène Fasquelle, éditeur (Tome 1p. ix-xv).

NOTE DES ÉDITEURS


Pour la première fois en Europe, une traduction complète et fidèle des Alf lailah oua lailah (Mille nuits et une nuit) est offerte au public[1].

Le lecteur y trouvera le mot à mot pur, inflexible. Le texte arabe a simplement changé de caractères : ici il est en caractères français, voilà tout.


ORIGINE ET DATE


Les Mille nuits et une nuit sont un recueil de contes populaires. Deux documents, l’un[2] du ixe siècle, l’autre[3] du xe, établissent que ce monument de la littérature imaginative arabe a eu pour prototype un recueil persan, le Hazar afsanah. À ce livre, aujourd’hui perdu, sont empruntés le dispositif des Mille nuits et une nuit (c’est-à-dire l’artifice de Schahrazade) et le sujet d’une partie des histoires. Les conteurs qui s’évertuèrent sur ces thèmes les transformèrent au gré de la religion, des mœurs et de l’esprit arabes, au gré aussi de leur fantaisie. D’autres légendes, d’origine nullement persane, d’autres encore, purement arabes, se constituèrent dans le répertoire des conteurs. Le monde musulman sunnite tout entier, de Damas au Caire et de Baghdad au Maroc, se réfléchissait enfin au miroir des Mille nuits et une nuit. Nous sommes donc en présence non pas d’une œuvre consciente, d’une œuvre d’art proprement dit, mais d’une œuvre dont la formation lente est due à des conjonctures très diverses et qui s’épanouit en plein folklore islamite. Œuvre arabe, malgré le point de départ persan, et qui, traduite de l’arabe en persan, turc, hindoustani, se répandit dans tout l’Orient.

Vouloir assigner à la forme comme définitive de telle de ces histoires une origine, une date, en se fondant sur des considérations linguistiques, est une entreprise décevante, puisqu’il s’agit d’un livre qui n’a pas d’auteur et qui, copié et recopié par des scribes enclins à faire intervenir leur dialecte natal dans le dialecte des manuscrits d’après lesquels ils opéraient, est le réceptacle confus de toutes les formes de l’arabe. Par des considérations tirées principalement de l’histoire comparée des civilisations, la critique actuelle semble avoir imposé quelque chronologie à cet amas de contes. Voici les résultats qu’elle propose :

Seraient, en majeure partie, du xe siècle, ces treize contes, qui se retrouvent dans tous les textes (au sens philologique du mot) des Alf lailah oua lailah, — savoir, les Histoires : 1o du roi Schahriar et de son frère le roi Schahzaman (soit l’Introduction) ; 2o du Marchand avec l’Efrit ; 3o du Pêcheur avec l’Efrit ; 4o du Portefaix avec les Jeunes Filles ; 5o de la Femme coupée, des Trois Pommes et du Nègre Rihan ; 6o du Vizir Noureddine… ; 7o du Tailleur, du Bossu… ; 8o de Nar Al-Din et Anis Al-Djalis ; 9o de Ghamin ben Ayoub ; 10o d’Ali ben Bakkar et Shams Al-Nahar ; 11o de Kamar Al-Zaman ; 12o du Cheval d’ébène ; 13o de Djoulnar, fils de la Mer. L’Histoire de Sindbad le Marin et celle du Roi Djiliad seraient antérieures. — La grande masse des contes se situeraient entre le xe et le xvie siècles. L’Histoire de Kamar Al-Zaman ii et celle de Maarouf seraient du xvie.


MANUSCRITS ET ÉDITIONS ARABES

Il existe comme « textes » des Alf lailah oua lailah plusieurs éditions imprimées et des manuscrits. Ces manuscrits concordent mal entre eux : ils sont plus ou moins complets, diffèrent de rédaction, d’étendue, parfois d’affabulation.

Les éditions critiques (avant le xixe siècle, aucune n’avait paru, pas plus en Orient qu’en Europe) sont :

1o l’édition (inachevée) du cheikh El Yemeni, à Calcutta, deux volumes, 1814-1818 ;

2o l’édition Habicht, à Breslau, douze volumes, dont le premier parut en 1825, le dernier en 1843 ;

3o l’édition Mac Noghten, à Calcutta, quatre volumes, 1830-1842 ;

4o l’édition de Boulak, au Caire, deux volumes, 1835 ;

5o les éditions de l’Ezbékieh, au Caire.

6o l’édition écourtée, revue et disloquée des pères jésuites, à Beyrouth, quatre volumes ;

7o l’édition de Bombay, quatre volumes.

TRADUCTIONS FRANÇAISES

La première en date, et la plus importante, est celle de Galland, douze volumes petit in-12, chez la veuve de Claude Barbin, Paris. 1704-1717. Exemple curieux de la déformation que peut subir un texte en traversant le cerveau d’un lettré au siècle de Louis XIV, l’adaptation de Galland, faite pour la Cour, a été systématiquement émasculée de toute hardiesse et filtrée de tout le sel premier. Même comme adaptation, elle est incomplète, car elle comprend à peine le quart des contes : les contes qui forment les trois autres quarts, et non les moins intéressants, sont inconnus en France. De plus, les contes mêmes qui ont subi l’adaptation de Galland ont été écourtés, déformés, expurgés de tous les vers, poèmes et citations de poètes ; les sultans et les vizirs et les femmes de l’Arabie ou de l’Inde s’y expriment comme à Versailles et à Marly. En un mot, cette adaptation surannée n’a rien à voir, d’aucune manière, avec le texte des contes arabes.

Cazotte et Chavis ont continué Galland, dans les tomes xxxviii, xxxix, xl et xli du Cabinet des Fées, Genève, 1784-1793, sous le titre « les Veillées du Sultan Schahriar ». Trébutien (de Caen) a publié à Paris, en 1824, trois volumes in-8o de « Contes inédits des Mille et une nuits », traduction de traductions.

Les réimpressions de la version de Galland sont nombreuses. La meilleure est celle du « Panthéon Littéraire », avec notes de Loiseleur-Deslongchamps, un volume in-8o, Paris, 1840. D’autres, celle de Caussin de Perceval, neuf volumes in-8o, Paris, 1806, celle de Destaings, avec préface de Charles Nodier, six volumes in-8o, Paris, 1822, celle de Gauttier, sept volumes in-8o, Paris, 1822, sont augmentées de quelques contes.

CETTE TRADUCTION

Le Dr J. C. Mardrus l’a exécutée sur l’édition égyptienne de Boulak, qui lui a paru la plus riche en expressions de pur terroir arabe et, à différents points de vue, la plus parfaite (quoi qu’en ait pu penser Burton). Elle est, en outre, la plus concise. Mais il ne s’en est pas uniquement contenté, ayant puisé, pour certains détails, dans l’édition Mac Noghten, dans celle de Breslau et surtout dans les différents manuscrits. Elle comprend seize volumes in-8o carré, dont trois volumes paraîtront chaque année.

Le premier volume ne contient que les vingt-quatre premières Nuits. Mais les volumes suivants, surtout les derniers, en comprennent un nombre bien plus considérable. Cette division est celle même du texte arabe original, où les Nuits deviennent de plus en plus courtes à mesure qu’elles s’acheminent vers la mille et unième.

Souhaitons maintenant au lecteur le plaisir goûté par Stendhal, qui rêvait d’oublier deux choses : Don Quichotte et les féeries des Mille et une nuits — pour, chaque année, éprouver à les relire une volupté nouvelle.


Notes
  1. Les traductions anglaises de Payne et de Burton, intégrales elles aussi, parurent en « éditions privées » (deux ou trois cents souscripteurs), et sont aujourd’hui introuvables. Une deuxième édition de Burton fut, il est vrai, livrée au public, mais expurgée.
  2. Dans le Mourouf al dahab oua maadine al djanhar, de l’historien arabe Aboul Hassan Ali Al-Massoudi.
  3. Dans le Kitab al fihrist (987), de Mohammad ben Is’hak Al-Nadim.