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Le Tour de France d’un petit Parisien/1/1

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Librairie illustrée (p. 45-54).

I
Un Crime en wagon

Le 1er août 1877, à huit heures vingt minutes du matin, le train venant de Périgueux, après avoir dépassé Brive-la-Gaillarde, sortait du tunnel de Galop, lorsque des cris perçants se firent entendre : ils semblaient partir d’un wagon de première classe.

Dans un wagon de troisième classe roulant à l’avant du même train, un homme âgé, dont la rude et franche physionomie tenait du soldat et de l’ouvrier, et un jeune garçon blond, d’allure toute parisienne, proprement vêtu d’une blouse de toile grise, avaient pris place l’un vis-à-vis de l’autre près d’une portière ; c’est assez dire que l’enfant, sa tête blonde aux cheveux ras passée au dehors, les yeux en quête d’imprévu, ne prêtait qu’une attention distraite au récit que son compagnon lui faisait de l’assassinat du maréchal Brune, récit commencé à Brive, où naquit l’infortuné maréchal, et qui durait depuis un bon quart d’heure.

Aux appels désespérés poussés par quelque victime de l’un de ces attentats meurtriers trop fréquents en chemins de fer depuis quelques années, — c’était une voix de femme, — le jeune garçon vit une tête étrange se montrer à la portière du wagon qui suivait celui où il se trouvait. Cette tête, percée de deux yeux louches escortant un grand nez mince et long, était fendue par un affreux ricanement ouvrant démesurément une bouche pavée de dents noires, carrées. Les cheveux de ce personnage disgracié par son physique, blanchis, ou plutôt jaunis par l’âge, étaient coupés courts, excepté au sommet de la tête où ils se dressaient comme le rude poil de l’hyène. Ce devait être un étranger, peut-être un Allemand ; mais dans ce cas, un Allemand comme on n’en voit que dans les Contes d’Hoffmann.

Les cris avaient cessé, mais non l’émoi qu’ils avaient fait naître parmi les voyageurs.

Une lutte semblait engagée derrière la portière du wagon de première vers lequel se portait la curiosité alarmée de tous ceux qui entendaient encore vibrer dans leurs oreilles ces cris d’épouvante que peut seul arracher l’horreur d’une fin tragique entrevue.

Soudain la portière céda, et un homme s’élança sur la voie. Il était bâti en hercule, avec une petite tête coiffée d’un chapeau minuscule. Le jeune garçon eut un saisissement en apercevant son visage. Le pauvre enfant pâlit affreusement et recula comme s’il eût craint d’être aperçu.

L’homme qui s’enfuyait emportait un petit sac de voyage en cuir rouge. Il adressa au ricaneur aux regards louches un signe d’intelligence que celui-ci n’avait pas attendu, car il déguerpissait à son tour enfonçant sa casquette sur ses oreilles. La portière vivement ouverte par lui, il s’élança aussi sur la voie et, grâce à des jambes longues comme des échasses, il rattrapa tout de suite son complice présumé et même gagna de vitesse sur lui.

Tout cela s’était passé on ne peut plus rapidement.

Le chef de train accourait en suivant les marchepieds ; l’attention du machiniste était éveillée, mais le train ne ralentissait pas sa marche.

— Pourquoi n’arrête-t-on pas ? criaient les voyageurs.

Ils en comprirent la raison l’instant d’après.

Les deux malfaiteurs, très en vue, gravissaient le talus, couvert de bruyères, qui maintenait la ligne ferrée dans un fond. Tout à coup le train pénétra dans un second tunnel — le tunnel de Montplaisir. La nuit se fit, le sifflet de la machine et le roulement assourdi des roues des wagons mirent fin aux commentaires anxieux.

La lumière du jour reparut et le train s’arrêta enfin.

Les employés se précipitèrent vers le wagon où un crime avait dû être commis. Des voyageurs s’apprêtaient à les suivre, et déjà s’établissaient des dialogues alarmés entre maris et femmes :

— N’y vas pas, mon Adolphe, n’y vas pas !

— Eh ! je veux voir ça, moi, je te dis.

— Cela te ferait du mal… tu as le cœur trop sensible !

— Lâche-moi, ou je fais un malheur !

— En voiture ! En voiture ! criaient les employés.

Dans un compartiment, où elle se trouvait seule, râlait sur une banquette une dame encore jeune, richement vêtue ; une cravate d’homme en soie noire lui serrait le cou à l’étrangler. Suffoquée, elle faisait des efforts infructueux pour arracher ce lambeau de soie.

La cravate dénouée, elle ouvrit démesurément les yeux comme si elle craignait encore de se trouver en présence de son agresseur ; mais en se voyant secourue, elle respira bruyamment deux ou trois fois :

— Assassinée et volée ! s’écria-t-elle ; et elle s’évanouit.

Le conducteur pria deux dames du compartiment voisin de venir prendre place auprès de la victime, et un moment après le train se remettait en marche : la gare de Turenne était à quelques minutes.

— Eh ! on en voit des choses quand on voyage, mon petit Jean ! dit le compagnon du jeune garçon, qui demeurait sur sa banquette encore tout saisi, de grosses larmes roulant dans ses yeux.

Ce nom de Jean ramène sans doute le lecteur au souvenir de notre petit ami Jean Risler. C’était lui, en effet, très grandi, très fort pour un enfant de douze ans, mais peut-être trop réfléchi pour son âge. Son compagnon de route, on le devine, c’était ce brave homme de notre connaissance, l’ex-zouave, l’ex-charpentier Bordelais la Rose.

Comment et pourquoi ils voyageaient sur cette ligne de Périgueux à Figeac, c’est ce qu’on apprendra bientôt.

Oui, Jean pleurait.

— Mon enfant, lui dit le charpentier, il n’est pas défendu d’être impressionnable ; mais pourquoi pleurer maintenant que tout est fini. Tu étais passablement gai depuis Bordeaux…

— Oh ! non ! tout n’est pas fini, dit le jeune garçon, en secouant la tête d’un air découragé.

— Enfin la dame n’en mourra pas, c’est probable ; ce qu’on lui a pris, on le lui rendra, quand on aura mis la main sur les voleurs. Regarde donc plutôt sur ce rocher à pic ; c’est la petite ville de Turenne. Ah ! ça te réveille ce beau nom ! Nous allons arriver à la station. Ce que tu vois là-haut, dominant tout, ces vieilles murailles délabrées avec deux belles tours, ce sont les restes d’un château fortifié qui a été le berceau de la famille du grand guerrier… Je suis déjà venu dans le pays ; j’y ai bu de bien bon vin, dans le temps ; on ne connaissait pas encore le phylloxéra !…

Jean paraissait indifférent à tout ce que lui disait son excellent ami Bordelais la Rose.

Celui-ci s’en aperçut.

— Voyons, secouons-nous un peu, mon petit ! Sac et giberne ! on en verra d’autres. Tiens voilà la station. Regarde, on va transporter le cadavre.

Toutes les têtes étaient aux portières.

— Mais non, dit l’enfant, la dame ne veut pas descendre.

— Elle parle donc ! Je m’en doutais bien ! Alors c’est qu’elle se porte comme toi et moi… et qu’il ne faut plus penser à cette aventure de voyage. Maintenant ça devient l’affaire de la justice… et des journalistes. Voilà un « fait divers » que nous avons vu de près !…

Le train s’était remis en marche.

— Ah ! comme j’ai hâte d’arriver ! dit le petit Jean.

— Nous arriverons, mon fils ! nous arriverons ! Tu ne me demandes pas si j’ai préparé mes poings ?

Pour quoi faire ?

— Mais… pour lui casser quelque chose à ton oncle Risler. Pourquoi serais-je venu, sac et giberne !

— Vous croyez alors que nous allons le trouver à Aurillac ?

— Tu me demandes si je le crois ? Je le crois… d’après toi, puisque tu m’y mènes ! Car c’est ainsi, en vérité : les hommes ne sont plus rien par le temps
— Ce jeune garçon est avec moi, dit Bordelais la Rose (voir texte).
qui court, les enfants ordonnent ; c’est le progrès. Je ne te conduis pas, je te suis. Ah bien ! il paraît que je t’aime bigrement ! Mais n’en abuse pas, fils, Bordelais la Rose est un dur à cuire.

— Nous ne devrions pas nous arrêter à Figeac.

— Oh ! pour ça non ! Je ne serai pas venu de Bordeaux, mettons de Mérignac, — c’est tout comme, — passant par Figeac, sans aller broyer les mains de mon vieux caporal de Crimée et renouer connaissance avec lui pendant quelques heures ! Un rude lapin, mon « fiston », que ce Crépin Cardaillac ! Et… avec l’étoile sur la poitrine au moins. On ne viendra pas la lui prendre à celui-là ! Nous voilà à Saint-Denis.

— Mais… on ne l’a pas enlevée à mon père, sa croix, dit Jean en protestant vivement ; il était mort quand c’est arrivé…

— C’est vrai ! c’est vrai ! J’ai tort de parler ainsi…

— C’est moi qui aurais dû empêcher cette profanation…

— Pauvre enfant ! Quel âge avais-tu lorsque le Risler a commis cet acte indigne ?

— Je n’avais pas huit ans. Ma pauvre grand’mère Risler criait et pleurait…

— Et toi ?

— Moi, je m’étais suspendu à la jaquette de mon oncle ; mais il est si fort ! il m’a détaché avec une chiquenaude… et je me suis assis… dans les cendres de la cheminée. Qu’il y prenne garde : je deviendrai un homme un jour…

— Tu es un brave garçon, va !… Écoute ce bruit. Nous passons la Dordogne sur le pont en tôle de Floirac… cent cinquante et quelques mètres. Maintenant le chemin de fer va monter jusqu’au plateau du Causse. Tu me dis qu’il est fort ton oncle ?…

— Comme les hercules de la foire au pain d’épice.

— Est-ce pour m’effrayer ? Apprends, mon fiston, que le bon droit triple la force d’un homme… Et nous avons le bon droit pour nous. Je le démolirai, ton oncle ! Sac et giberne ! il faut que je lui casse quelque chose. Ça me revient tout d’un coup ce que tu m’as rapporté au sujet de la croix de ton pauvre père. Le sang des pieds me monte à la tête, et je vois tout rouge. Tiens ! l’un de ces deux brigands de tantôt était, certes, bien solidement constitué ?…

Jean ne répondait pas ; il regardait fixement son vieil ami, qui reprit avec quelque impatience :

— Je parle de ceux qui ont étranglé la dame ! Sac et giberne ! il me semble que je m’explique. Eh bien ! si ton oncle était aussi fameusement charpenté que ce gaillard, il ne me ferait pas peur ; je n’aurais qu’à penser à la scène faite par lui à ta grand’mère Risler.

Cette scène, à laquelle Bordelais la Rose faisait allusion, lui avait été racontée, les larmes aux yeux, par son petit protégé. Un jour, — il y avait de cela cinq ans, — Jacob Risler était venu chez sa cousine Gertrude pour lui emprunter une somme d’argent que la grand’mère de Jeanne ne voulut pas lui prêter. Extrêmement irrité de ce refus, il se lança dans des récriminations, et proféra des injures, établissant, selon son habitude, une confusion volontaire entre son cousin le brave et honnête Risler tombé les armes à la main pour la défense de nos foyers et son frère à lui, Louis, qui, devenu l’agent de l’ennemi, avait été frappé de la mort des traîtres. Jacob accabla de reproches la vieille femme, et quand il pensa l’avoir confondue et profondément humiliée, il décrocha un tableau vitré qui faisait l’ornement du manteau de la vaste cheminée de la salle basse : entre quatre baguettes dorées, s’étalait tout ouvert le brevet de chevalier de la Légion d’honneur de l’ancien sergent de l’armée d’Italie ; la croix même du légionnaire était fixée au parchemin par son ruban rouge.

Risler saisit à deux mains le tableau, et sans se laisser arrêter par les larmes de la pauvre mère, ni par les cris et les vaines menaces de Jean, il le mit en morceaux en le brisant sur le dossier massif d’un siège, puis il piétina les débris, jetés sur le sol, cracha dessus et fit mine de sortir.

Mais sur le seuil, il parut se raviser. Il vint ramasser la croix, la plaça sans façon dans le gousset de son gilet, et, secouant les éclats de verre qui y adhéraient, il plia soigneusement le brevet et le mit dans sa poche. — Jacob Risler avait trouvé bon depuis de se décerner à lui-même cette décoration. La conformité des prénoms se prêtait à cette odieuse usurpation, surtout dans un moment où une partie de la Lorraine et le Niderhoff venaient de passer à l’Allemagne. Et maintenant, à la faveur de cette distinction honorifique, Risler commettait toutes sortes de méfaits… Mais n’anticipons pas.

Soudain, Bordelais la Rose, mis hors de lui par le ressouvenir de cette offense, qu’il ressentait comme si elle lui était personnelle, s’écria avec véhémence :

— D’abord, je te défends de l’appeler « mon oncle » ! Ce coquin n’est pas ton oncle, puisque ton père et lui n’étaient cousins qu’au deuxième degré. S’il ne portait pas le même nom que toi, il y a longtemps que je t’aurais dit de renier à son égard toute parenté…

— S’il ne portait pas notre nom, de tout temps honorable ; dit l’enfant, l’abominable idée de s’attribuer la décoration de mon père ne lui serait pas venue… Mais je ne l’appellerai plus mon oncle. J’avais déjà pris cette résolution tantôt.

— Pourquoi tantôt ?

— Je vous le dirai… plus tard.

Bordelais la Rose était vivement intrigué. Mais Jean ne voulait point parler. Le silence s’établit entre eux…

Le train avait atteint le plateau du Causse. Jean ne regardait plus et demeurait absorbé par ses réflexions.

— Je te croyais plus curieux, lui dit à la fin Bordelais la Rose avec l’accent du reproche. Le Causse, vois-tu, ajouta-t-il, c’est la partie du Lot où l’on sème le blé ; il y a d’autres plateaux où l’on ne cultive que le seigle, d’où leur nom de Ségalas. Ce qui fait l’originalité du Causse, mon Jean, c’est qu’il s’y trouve en quantité des gouffres profonds où se précipitent les eaux des ruisseaux ; elles vont reparaître dans les vallées de la Dordogne et du Lot, où elles jaillissent de terre en belles sources. Ici, la voie passe à quelques mètres du gouffre de la Roque de Corn ; c’est un entonnoir dont on n’a jamais trouvé le fond ; les eaux du Miers s’y engloutissent : nous y voilà !

Jean eut un imperceptible haussement d’épaules. Mais Bordelais la Rose était si bon pour lui qu’il craignit de l’affliger, et il jeta un vague coup d’œil sur l’abîme béant.

— Quand arriverons-nous ? dit-il avec un soupir.

— C’est tout ça ton émerveillement ! fit l’ex-zouave désappointé. Sûrement nous arriverons bientôt, car voilà le village de Rocamadour accroché aux flancs de son rocher à pic ; dans une heure nous serons à Figeac, et j’en suis bien aise, car tu commences à m’impatienter. Enfin qu’as-tu ?

— Rien, dit Jean.

— Rien ?

— Une crainte, un soupçon ; mais je ne peux pas m’expliquer.

Une heure après, comme l’avait annoncé Bordelais la Rose, le train passait le Drauzon sur le viaduc du Ceindreau, composé de vingt arches largement ouvertes, puis il franchissait le Celé sur un pont en tôle, et un moment après il entrait en gare de Figeac.

C’est à Figeac que s’arrêtait la dame victime de l’agression. Déjà, le télégraphe avait signalé le dramatique événement. Un gendarme bruni par le soleil d’été s’approcha du compartiment occupé par la dame, et vers lequel se portaient tous les voyageurs qui n’allaient pas à une gare plus éloignée. On devine que Jean se montrait parmi eux au premier rang.

La pauvre dame encore mal remise de son émotion descendait de voiture assez péniblement. Elle était mince, blonde, avec des traits fins et une tournure aristocratique, et pouvait avoir une quarantaine d’années. Le gendarme l’aida et, en quelques mots, elle mit au courant de ce qui s’était passé, ce premier représentant de l’autorité qui se présentait à elle.

Le gendarme, suivi de près par son brigadier, se tourna vers celui-ci, et lui exposa à son tour ce qu’il venait d’entendre.

— Voici la chose, mon brigadier : c’est la dame. Elle dit, comme ça, qui dit, qu’un particulier s’est introduit en route dans son wagon, qui dit. Un malfaiteur de la pire espèce, quoi ! La dame change son sac rouge de place, qui dit ; mais le malfaiteur le voulait ce sac ; il a un empoignage avec elle, qui dit, et pour se débarrasser d’elle, il l’étrangle quasiment avec une cravate, et se sauve, qui dit, avec le sac. Voilà tout uniment l’accident, mon brigadier. C’est clair et limpide. Seulement ils étaient deux malfaiteurs de la pire espèce. Comprenez ?

Pendant cette sorte de rapport inintelligible, accompagné d’énergiques secouements de sabre, le brigadier, bel homme, à figure pleine et placide, tournait alternativement la tête vers le gendarme et vers la plaignante, avec des mouvements automatiques.

— C’est bon ! fit-il, voilà une grosse affaire pour les magistrats.

Le commissaire de police venait justement de recueillir à la hâte quelques indications du chef de train. Il s’approcha et offrit son bras à la dame blonde.

— Le vol, lui dit-elle, n’a d’importance que pour moi. Le sac ne contenait guère, avec très peu d’argent, que divers objets destinés à établir l’identité de ma pauvre enfant, qu’on m’a volée, monsieur, il y aura quatre ans le 1er septembre. Je venais à Figeac pour faire une démarche… J’en ai tant fait déjà sans succès ! Et qui sait si l’acte de violence dont je me plains ne fait point partie d’un système de persécution dirigé contre moi ? C’est à en devenir folle, monsieur le commissaire !

— La pauvre ! la pauvre ! disait-on autour de la dame avec intérêt. , on lui a pris sa petite !

— Que ceux qui ont quelque témoignage à fournir à la justice, dit le commissaire de police, prennent la peine de passer à mon bureau.

Jean avait quitté son vieil ami pour aller jeter un coup d’œil dans le wagon, dont la portière demeurait ouverte : il voulait voir.

Il aperçut dans un coin un mouchoir bleu, à carreaux, et le ramassa avec la pensée qu’il y avait peut-être là un indice propre à le fixer sur de terribles soupçons conçus par lui. Tremblant d’émotion, il se hâta de l’apporter au commissaire ; mais tout en marchant, il cherchait d’une main fébrile, à l’un des coins, la marque du linge. Il trouva celle-ci : J. R.

— Je ne m’étais pas trompé ! murmura-t-il en pâlissant. Et il ajouta tout haut : Ce doit être le mouchoir de l’assassin.

Le commissaire observa qu’il appartenait peut-être à quelque voyageur.

Mais Jean s’obstina. Il était sûr, disait-il, de ne pas se tromper.

— Voilà un enfant qui a l’air d’en savoir long, remarqua le commissaire.

Jean montrait quelque velléité de parler ; mais il se tut.

— N’y prenez donc pas garde, monsieur le commissaire, répliqua Bordelais la Rose ; ce jeune garçon est avec moi, et nous étions dans un wagon éloigné…

» Il a vu, comme tout le monde, les deux coquins se sauver, assez tranquillement du reste ; l’un, large d’épaules et fort, le second, long et sec.

— Oui, acheva Jean, avec des cheveux jaunes, des coudes pointus à percer son habit, des pieds énormes… Et puis une bouche ! Des yeux ! Et ce nez, donc, en lame de couteau ! Quant à l’autre…

— Eh bien ? fit le commissaire.

— Non, je n’en dirai rien, répondit Jean résolument.

— Restez-vous à Figeac, mon brave ? demanda le commissaire de police à Bordelais la Rose.

— Jusqu’à demain, monsieur le commissaire, et à vos ordres.

— Eh bien ! amenez-moi tantôt ce jeune garçon. Il semble avoir mieux vu que personne, et son langage m’étonne de plus en plus…