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Les églises de Cormery

La bibliothèque libre.
Octave Bobeau
Texte établi par Comité des travaux historiques et scientifiques,  (p. 1-27).

LES ÉGLISES
DE CORMERY (INDRE-ET-LOIRE),

PAR M. OCTAVE BOBEAU,
Correspondant du Comité, à Cormery (Indre-et-Loire).



Malgré les morcellements multiples, les mutilations regrettables et les vicissitudes diverses que les constructions de l’ancienne abbaye bénédictine de Cormery ont subies à partir de leur changement de destination, c’est-à-dire depuis la Révolution française, les restes qui nous en sont parvenus forment encore un ensemble très remarquable, mais dont il faut se hâter de tirer profit, en raison de la destruction continue qui tend sinon à leur disparition totale, du moins à l’altération irrémédiable de leurs caractères architectoniques. Ces restes appartiennent à différentes périodes romanes et gothiques. Les premiers se trouvent fort heureusement dans des conditions suffisantes pour en permettre l’étude, mais les seconds, tels que le réfectoire de la fin du xiiie siècle, pouvant rivaliser de beauté et d’Intérêt avec celui de Saint-Martin-des-Champs, à Paris ; quelques parties des cloîtres représentant de magnifiques spécimens des xive et xve siècles ; une chapelle absidale ayant appartenu à l’ancienne abbatiale et quelques autres éléments gothiques fort intéressants, sont tellement englobés dans des constructions modernes, que leur étude archéologique ou leur restitution architecturale sont devenues très difficiles.

Nous examinerons donc exclusivement les spécimens romans dont l’étude, du reste, sera le point de départ d’une série de travaux que nous avons l’intention de publier successivement sur l’époque romane en Touraine. Les plus anciens de ces spécimens sont antérieurs à l’an mille ; les plus récents appartiennent à la première moitié du xi" siècle ; les uns et les autres constituent des exemples précieux de notre art tourangeau a l’époque où les premières manifestations originales et tangibles des écoles d’architecture et de sculpture ont commencé à s’affirmer.

À la suite de l’examen de ces vieux vestiges ayant appartenu à l’ancienne église abbatiale, nous consacrerons un second chapitre à une monographie de l’église paroissiale actuelle de Cormery ou Notre-Dame-de-Fougeray construite au xiie siècle par les soins de l’abbaye et affectée spécialement à la population qui peu à peu s’était agglomérée autour du monastère. Cette église, indépendante de l’ancienne abbatiale et construite a l’extrémité opposée de la localité, constituait une dépendance prieurale de l’abbaye qui lui avait donné naissance. Elle présente certaines particularités rares en Touraine ; mais la plupart de ses éléments offrent une filiation intéressante avec ceux qui existent encore dans les ruines de l’ancienne abbatiale qui, elle-même, les a visiblement puisés dans la basilique de Saint-Martin de Tours, dont l’abbaye de Cormery fut, après Marmouset, l’une des fondations les plus remarquables.


I

les restes romans de l’ancienne église abbatiale de cormery.

L’origine de l’abbaye de Cormery remonte a Hitier, abbé de Saint-Martin de Tours et chancelier de l’empereur Charlemagne. Dans la charte de fondation datée du février 791[1], Hitier désigne ainsi sa fondation : “…qui nuncupatur cella sancti Pauli, quod Cormaricus a priscis et hactenus vocatur”.

Après sa mort, Hitier fut inhumé dans un caveau à l’entrée de la nef et du côté gauche de l’église de Cormery[2].

Alcuin, qui succéda à Hitier comme abbé de Saint-Martin, eut une prédilection marquée pour la fondation de son prédécesseur. Il profita du séjour de Charlemagne à Tours, en l’an 800, pour obtenir de celui-ci l’autorisation d’établir à Cormery des moines soumis à la règle de saint Benoit et de nombreux privilèges pour le nouveau monastère[3] transformant ainsi la modeste cella fondée par son prédécesseur en une abbaye puissamment organisée, à la condition qu’elle resterait perpétuellement sous la dépendance des abbés de Saint-Martin de Tours.

Alcuin ne cessa, pendant sa vie, de s’occuper du nouveau monastère de Cormery et de l’enrichir. Le séjour dans cette abbaye avait pour lui un charme particulier, comme en témoignent les vers suivants adressés par le vénérable lettré à sa retraite préférée, lorsque le poids des années ne lui permit plus de quitter Tours


O mea cella, mihi habitatio dulcis, amata,
Semper in æternum, o mea cella, vale.
Undique te cingit ramis resonantibus arbor
Silvula florigeris semper onusta comis.
l’rata salutiferis florebunt omnia et herbis
Quas medict quent dextra salutis ope.
Flumina te cingunt florentibus undique ripis,
Retia piscator qua sua tendit ovans.
Pctnifensi’edotent pom !s tua claustra per hortos,
Lilia cum rosulis candida mixta rubris.
Omne genus votucrum matutinas personat odas,
Atque creatorem laudat in ore Deum[4].

Alcuin mourut en 804 et fut enseveli dans la basilique de Saint-Martin.

Fridégise, chancelier de Charlemagne, succéda à Alcuin en qualité d’abbé de Saint-Martin de Tours et de Saint-Paul de Cormery. Il obtint de Louis-le-Débonnaire, en 8ai, un diplôme accordant aux moines de Cormery le droit d’élire eux-mêmes un abbé suivant la règle de saint Benoit, à condition de le faire agréer par le chapitre de la basilique[5].

L’abbaye étant solidement constituée, des habitations particulières se groupèrent autour d’elle et une petite ville se forma.

Une charte publiée par dom Bouquet et datée du 27 mars 831 nous apprend que le premier abbé élu par les religieux de Cormery s’appelait Jacob. Ce fut lui qui acheva de nouvelles et importantes constructions, entre autres )’église commencée par Fridégise[6].

Sous l’abbé Audacher (837-868), le monastère et la localité de Cormery furent ravagés par les Normands ; le désastre fut réparé et les édifices restaurés vers 856[7].

Au commencement du xe siècle, toutes ces vieilles constructions remaniées à différentes époques et restaurées à la hâte après les invasions normandes menaçaient ruine. L’abbé Robert Ier du nom (1026-1048) les réédifia en puisant ses inspirations architecturales dans la basilique de Saint-Martin de Tours qui venait d’être reconstruite par Hervé. Cormery lui doit très vraisemblablement la tour Saint-Paul constituant le plus important des restes romans dont nous allons faire l’étude et contenant surtout une curieuse salle voûtée en coupole, qui est visiblement la copie d’un modèle un peu plus ancien existant encore dans la tour dite de Charlemagne, ancien clocher qui terminait le croisillon septentrional de la basilique de Saint-Martin. La mort surprit cet abbé Robert en 1040 avant la fin des travaux.

Robert Il, son successeur, les termina et la dédicace en fut faite le 13 novembre io5& par Barthélémy de Faye, archevêque de Tours[8].

Dans le cours du xiie siècle, les moines remanièrent entièrement l’église de Notre-Dame-de-Fougeray affectée spécialement, comme nous l’avons déjà dit, à la population qui s’était groupée autour du monastère.

Cet intéressant monument qui sert encore d’église paroissiale à la localité actuelle, renferme lui aussi, avec d’autres éléments de même provenance, une coupole construite dans la seconde moitié du xiie siècle et représentant une évolution tangible des vieux spécimens bâtis dans la première moitié du xie siècle, dans la basilique de Saint-Martin et la tour de l’église abbatiale de Cormery.

Dans le cours des siècles suivants, l’abbaye de Cormery subit diverses vicissitudes, principalement en 1358 pendant les invasions anglaises et en i56a durant les guerres de religion. Enfin la Révolution française amena sa suppression.

Jusqu’à la fin de son existence, malgré plusieurs dissensions, l’abbaye de Cormery conserva des liens avec Saint-Martin de Tours.

À la mort de l’abbé de Cormery, le bâton abbatial était déposé sur le tombeau de saint Martin, et le nouvel élu était tenu, en signe de sujétion, d’aller le reprendre[9].

Telles sont les notions historiques qu’il nous a paru indispensable de donner avant de procéder à l’étude des spécimens archéologiques de Cormery. Tous les restes romans existant encore dans les ruines de l’abbaye de Cormery ont fait partie de l’ancienne église abbatiale. Cette église se composait d’un important clocher formant façade (la tour Saint-Paul actuelle) ; d’une nef divisée en cinq travées, flanquée de bas côtés étroits qui se prolongeaient autour d’un chœur porté sur six colonnes. Ces bas côtés donnaient accès à plusieurs chapelles latérales et absidales. Un transept séparait la nef du chœur. Une vue de l’abbaye de Cormery de 1699 nous apprend qu’un second clocher plus petit surmontait le milieu de la croisée. À l’heure actuelle, une rue occupe la place de la nef, et les bas côtés sont englobés dans des constructions modernes.

Comme l’attestent les vestiges qui nous sont parvenus, ce monument, comme un certain nombre d’églises tourangelles,représentait un sanctuaire antérieur au xie siècle, restauré à cette dernière époque et durant les périodes suivantes. Plusieurs dessins de Gaignières, conservés a la Bibliothèque nationale, nous ont conservé le souvenir de différents tombeaux ornant encore au xviie siècle l’intérieur de cet abbatiale. De cet ensemble qui devait être si intéressant, il ne reste plus, indépendamment de la tour Saint-Paul, d’une chapelle gothique du chevet et d’une troisième tour appelée la tour Saint-Jean, construite en 1463, à l’extrémité du croisillon Sud pour fortifier l’abbaye de ce côté, que des vestiges en petit appareil, quelques ouvertures très anciennes et deux colonnes surmontées de curieux chapiteaux.

Parmi ces divers éléments, examinons par ordre de dates ceux qui intéressent notre étude, c’est-à-dire les restes romans.

Vestiges antérieurs à l’an mille. — Ces vestiges construits en petit appareil ont fait partie, comme nous allons le démontrer, de la façade, des bas côtés et du transept d’une église très ancienne qui fut restaurée au xe siècle et à diverses reprises dans la suite. Cette église carolingienne était assez vaste, ayant été édifiée sans doute après la constitution définitive du monastère, lorsque les constructions de la modeste cella fondée par Hitier devinrent insuffisantes.

La charte de l’an 831 publiée par dom Bouquet et que nous avons citée, nous apprend que Fridégise, successeur d’Alcuin comme abbé de Saint-Martin de Tours et de Saint-Paul de Cormery, commença dans ce dernier monastère l’entière réfection de l’église : “Monasterii ecclesiam a novo opere inibi construi fecit”, dit cette charte. Suivant Raoul Monsnier qui, vers 1665, écrivit une histoire de l’église Saint-Martin dont il était chanoine, l’abbé Jacob, successeur de Fridégise, acheva ces travaux vers l’an 834.

Ce furent probablement ces constructions que dévastèrent les Normands environ vingt ans plus tard, comme semble l’attester une autre charte en date du mois de mai 856, suivant laquelle Audacher, alors abbé de Cormery, acceptant une donation faite par un personnage de Perrusson en Touraine, en laisse la jouissance aux frères du donateur, à la condition que ceux-ci “travaillent avec zèle à rebâtir, à restaurer et à agrandir l’église Saint-Paul de Cormery”[10]. L’abbé en agréant ces conditions se plaint “des anxiétés que la communauté souffre de la part d’un siècle plein de malice”.

Ces documents historiques, malgré leur précision et leur authenticité, ne peuvent évidemment nous faire admettre a priori que les vestiges en petit appareil qui nous occupent appartiennent aux constructions et restaurations dont il vient d’être question. Ils ne constituent, a notre avis, que d’utiles indications, car des maçonneries de cette nature peuvent, sans preuves plus tangibles, être tout aussi bien attribuées à la période du xie siècle pendant laquelle, dans notre région et dans d’autres, on employa ce genre d’appareil parallèlement avec le moyen appareil à gros joints. Nous allons donc discuter ce point important en suivant une méthode consistant, après avoir analysé leurs caractères physiques, à examiner le degré de liaison qui existe entre ces vestiges en petit appareil et ceux qui présentent les caractères très tranchés et très reconnaissables du xi° siècle. Nous étudions justement un ensemble de spécimens juxtaposés, dont l’état de délabrement se prête admirablement à ce genre d’observations.

Les vestiges construits en petit appareil dont nous recherchons l’âge sont indiqués sur le plan ci-joint (fig. 1) par des hachures.

Fig. 1. — Plan des restes de l’église abbatiale de Cormery.

Ils faisaient partie, comme le plan l’indique, de la façade, des bas côtés et du transept d’une église plus ancienne remaniée et restaurée successivement au xie siècle et durant les périodes suivantes. Le mur de la façade laisse encore voir un oculus probablement contemporain de ce pan de mur primitif. Cet oculus surmonte une porte en plein cintre et à plusieurs voussures décorées d’entrelacs, de palmettes et de moulures. Cette porte, englobée à l’heure actuelle dans une petite construction moderne, provient, croyons-nous, d’une restauration du xiie siècle. Elle ne peut, en effet, malgré son aspect archaïque, être antérieure à cette période, en raison de ses joints étroits et de son ornementation dont certains motifs, comme les palmettes, se retrouvent, au xiie siècle, dans l’église de Notre-Dame-de-Fougeray, à Cormery.

Remarquons également sur la façade de ce bas côté et sur l’extérieur du mur perpendiculaire à cette façade, des traces de restaurations du xie siècle, caractérisées par la présence de matériaux en grand appareil et par les restes d’un ornement en forme de damier, motif que le même siècle répandit assez abondamment sur les faces extérieures de la tour Saint-Paul.

Fig. 2 et 3. — Chapiteaux de l’église abbatiale de Cormery
.

La partie intérieure de ce bas côté a conservé encore deux colonnes engagées, à gros joints, surmontées d’intéressants chapiteaux, malheureusement dépourvus de leurs tailloirs. Nous les croyons antérieurs au xie siècle. L’un de ces chapiteaux, très fruste, représente trois personnages debout, drapés et disposés avec un certain art mais de facture naïve. La figure centrale personnifie sans doute le Bon Pasteur (fig. 2). L’autre chapiteau (fig. 3) constitue, à notre avis, un spécimen très curieux et très original de la période carolingienne dans laquelle il faut le classer, en raison de la naïveté de sa facture qui l’éloigne nettement des spécimens du xie siècle.

La partie du transept faisant suite à ce bas côté présente aussi quelques traces de petit appareil et une série de restaurations effectuées à l’époque gothique. Le croisillon du côté Sud est terminé par la tour Saint-Jean, bâtie dans la seconde moitié du xve siècle par l’abbé Pierre III Berthelot (1452-1476), lorsqu’il fortifia l’abbaye après le départ des bandes anglaises. Le rez-de-chaussée de cette tour communiquait avec l’intérieur du transept par une grande arcade en tiers-point aujourd’hui aveuglée.

Le bas côté Nord et le croisillon du transept lui faisant suite, englobés dans des constructions modernes, présentent également des restes importants de petit appareil. Quant à la partie de la façade correspondant au Las côté Nord, elle a été noyée, vers la fin du xiiie siècle, dans l’un des murs du réfectoire dont le pignon s’appuie sur la face Nord de la tour Saint-Paul.

Le petit appareil présente une particularité, que nous nous permettrons de signaler ici, en raison de l’intérêt qu’offrent toutes les observations concernant la période romane primitive. Dans certaines assises, les petits moellons qui le composent, au lieu d’être placés à plat, sont posés de champ. Or, nous avons remarqué la même disposition dans diverses constructions carolingiennes de notre région. Ainsi, dans des fouilles que nous avons pratiquées à Langeais (Indre-et-Loire), nous avons mis au jour un mur limitant un terrain rempli de sarcophages carolingiens, et les assises encore existantes de ce mur étaient entièrement formées de moellons placés de champ.

Ajoutons qu’à l’époque carolingienne les parements de forme allongée s’introduisirent quelquefois parmi les moellons presque carrés et que cette forme allongée fut même exclusivement employée dans certains monuments, comme dans le petit clocher de Reignac, près de Cormery, dans lequel nous voyons un spécimen antérieur au xie siècle.

Les vestiges que nous venons d’examiner présentent donc un ensemble de caractères tendant à les faire remonter avant l’an mille. L’examen de leur degré de liaison avec ceux du xie siècle va nous donner la certitude de leur antériorité à cette période. La tour Saint-Paul, ancien clocher de l’abbatiale de Cormery, a été construite au xiie siècle, comme ses caractères l’indiquent nettement ; elle fait saillie sur la façade. Si nous montons dans la salle qui occupe son premier étage et si nous en examinons la face intérieure située à l’Est (fig. 4), nous remarquons d’abord deux grandes arcades romanes, A et B, dont le fond est aveuglé par un mur présentant lui-même en C, D, E d’autres ouvertures à plein cintre également bouchées, et en F une portion de corniche. Or, ce mur en petit appareil est un reste de la façade primitive dont les fragments de petit appareil fermant les bas côtés ne sont que la continuation. Par conséquent, la tour Saint-Paul a été appliquée au x~ siècle contre la façade d’un monument plus ancien avec lequel elle n’offre aucune homogénéité, les deux murs, l’un en petit appareil, l’autre en grand, se trouvant simplement appliqués l’un contre l’autre. Remarquons encore que les axes des deux grandes arcades A et B du xie siècle ne correspondent pas avec ceux des autres ouvertures insérées dans le mur qui aveugle les premières, ce qui prouve leur différence de dates[11].

Fig. 4. — Église abbatiale de Cormery.
Tour Saint-Paul. Salle du premier étage.

L’examen méthodique des vestiges que nous venons d’explorer nous permet donc de les classer dans la période carolingienne du ixe ou du xe siècle, et en les dégageant de ceux du xie, de nous faire une idée assez positive de la façade de l’église carolingienne avec ses trois ouvertures centrales placées sous une corniche à modillons et les deux oculi éclairant l’extrémité de ses bas côtés (fig. 5).

Fig. 5. — Église abbatiale de Cormery. Restitution de la façade carolingienne.

Voyons maintenant les restes de la période suivante, c’est-à-dire du xie siècle.

Restes du xie : la tour Saint-Paul. — Comme nous venons de le démontrer, l’ancien clocher de l’église abbatiale, ou tour Saint-Paul, a été appliqué, au x :’ siècle, contre la façade d’un monument plus ancien dont certains éléments sont encore visibles. Cette tour, de forme carrée, primitivement à trois étages, dont deux subsistent encore, est étayée à l’Est par le mur de l’ancienne façade carolingienne qui, au xie siècle, fut surhaussé presque jusqu’à la hauteur du second étage de cette tour. Ses autres faces sont soutenues chacune par trois contreforts à plusieurs ressauts qui montent jusqu’au faite du deuxième étage (pl. XXXV).

Cette disposition générale, de forme carrée, avec deux ou trois contreforts sur chaque face, suivant l’importance des clochers, doit dériver, dans notre région, du prototype construit, au commencement du xie siècle, à la basilique de Saint-Martin de Tours où l’on peut encore, à l’heure actuelle, constater sa présence au rez-de-chaussée et au premier étage de la tour Charlemagne, malgré les remaniements qui ont altéré les caractères primitifs de ce clocher. La tour de l’horloge, autre vestige de la basilique martinienne, dont la base appartient à la même période, offre également la même disposition. Mais revenons à la tour Saint-Paul de Cormery.

Fig. 6. — Église abbatiale de Cormery. Tour Saint-Paul. État ancien.

Les parties subsistant encore appartiennent presque entièrement au monument primitif, à l’exception de quelques portions modernes, telles que le pan de mur soutenant l’horloge communale et le rez-de-chaussée de la tour, restauré vers la fin du xiie siècle, comme l’attestent quelques fenêtres en tiers-point et les caractères des voûtes d’arêtes recouvrant le passage pratiqué sous le clocher. Les étages sont séparés par de simples glacis ou par des tablettes de pierre portées sur des modillons.

Le troisième étage qui s’est écroulé en 1891 avec la flèche octogonale du xive siècle qui le surmontait, était percé sur chaque face de quatre baies au lieu de deux qui existent aux étages inférieurs (Fig. 6).

Fig. 7. — Église abbatiale de Cormery.
Tour Saint-Paul. Salle du premier étage, vue d’angle.

Le premier étage de la tour Saint-Paul renferme une très curieuse salle voûtée en coupole que nous allons examiner en détail, et dont l’abbé Robert Ier, dans la première moitié du xie siècle, prit l’inspiration et presque la copie dans la basilique de Saint-Martin de Tours (fig. 7). Un escalier en vis, construit comme le reste du monument, à gros joints qui, en Touraine, caractérisent si nettement les constructions du xie siècle, fait accéder à cette salle de forme carrée, de 7 m. 30 de côté et dont chacune des quatre faces est percée de deux belles ouvertures romanes. Ces ouvertures sont toutes plus ou moins aveuglées à l’heure actuelle, mais leurs éléments constitutifs ont été à peu près respectés. Les fenêtres des faces Nord et Ouest sont légèrement ébrasées. Elles présentent, à l’intérieur, un seul arc dont l’archivolte lisse et unie repose sur des colonnes avec chapiteaux. À l’extérieur, les mêmes ouvertures se composent de deux voussures superposées et légèrement surhaussées, dont l’inférieure, en retrait, s’appuie sur des pilastres, et la plus élevée, qui a son extrados décoré d’un cordon de damiers et son intrados d’un boudin, retombe sur les tailloirs de chapiteaux aujourd’hui disparus ainsi que leurs colonnettes (pl. XXXV en A).

La face Sud offre une disposition semblable pour l’une de ses ouvertures seulement, l’autre constituant une porte basse, unie, établissant la communication avec l’escalier. Les cintres des deux grandes arcades non ébrasées de la face située à l’Est, dont il a été déjà question dans l’analyse des vestiges antérieurs à l’an mille, reposent sur de simples pieds-droits (fig. 4). L’arcade de gauche est percée latéralement d’un couloir qui établissait une communication avec le premier étage d’une vaste construction de la fin du xiiie siècle contenant le réfectoire dont le pignon s’appuie sur la face Nord du clocher.

L’espace compris entre les deux baies existant sur chaque face de la salle est occupé par une grosse colonne demi-cylindrique adossée à un pilier rectangulaire. Les chapiteaux de ces quatre grosses colonnes supportent les retombées de deux puissants arcs en croix dont les cintres sont surhaussés. Ces arcs soutiennent la coupole qui recouvre cette salle. Quatre autres colonnes, mais cylindriques et de dimensions plus petites, cantonnent les angles de la salle et supportent les pendentifs rudimentaires de la coupole.

Les chapiteaux de toutes ces colonnes et colonnettes sont d’ordre corinthien, à part deux de ceux des colonnes d’angles représentant des animaux affrontés et à queue fourchue. Les tailloirs sont formés d’une simple tablette dont l’arête inférieure est abattue. L’astragale est un simple tore.

La présence des deux volumineuses nervures destinées à soutenir la coupole atteste un visible embarras de l’architecte roman qui, appliquant ce système de voûte encore peu répandu en France dans la première moitié du xie siècle, jugea prudent de soutenir sa voûte par ce primitif et inutile accessoire qui, selon les explications que nous donnerons dans le cours de notre travail, ne peut être comparé à la croisée d’ogive soutenant certaines voûtes dites « domicales ». Cette coupole dont le plan forme un polygone à seize côtés, s’appuie à sa naissance sur les murs de la salle et sur quatre pendentifs rudimentaires. (Voir le plan de la salle et de la coupole, fig. 8.)

Fig. 8. — Église abbatiale de Cormery.
Tour Saint-Paul. Plan de la salle dremier étage.

Les murs de la salle jusqu’à la naissance de la coupole sont construits en grand appareil à gros joints. Puis l’appareil se réduit progressivement jusqu’à une certaine hauteur pour arriver à n’être plus représenté que par de simples moellons noyés dans d’excellent mortier.

Telle est la description de la salle de la tour Saint-Paul de Cormery, où l’on retrouve l’aspect général, les procédés et les caractères architecturaux qu’on remarque encore au premier étage de la tour Charlemagne[12], à la basilique de Saint-Martin de Tours. Mais cette dernière, de date un peu plus ancienne, à notre avis, présente dans l’ensemble de ses détails une plus grande sobriété d’ornementation ses grosses colonnes demi-cylindriques recevant la retombée des arcs en croix sont surmontées de chapiteaux moins ornés mais présentant le même tailloir qu’à Cormery ; les angles de la salle de Saint-Martin, au lieu d’être cantonnés de colonnes cylindriques, le sont par des piliers rectangulaires dépourvus de chapiteaux et terminés par un simple tailloir ; enfin la coupole de facture plus irrégulière, plus primitive que celle de Cormery, a ses pendentifs simplement butés aux angles, à 1 m. 50 environ au-dessus des piliers. En résumé, les deux spécimens de la basilique de Saint-Martin de Tours et de l’église abbatiale de Cormery qui ont dû appartenir, le premier à la basilique construite par Hervé et consacrée en 1014 le second à une église dont la dédicace a été faite en 1054, présentent dans leurs détails quelques variantes qu’explique cette différence d’âge.

La comparaison de ces deux salles nous montre la transformation que subit, dans notre région, l’architecture de la fin du xe siècle et des premières années du xie. Cormery nous offre un bon exemple de la seconde phase de notre architecture romane tourangelle, phase qui s’affirma dans la première moitié de ce dernier siècle par l’emploi plus étendu de la colonne et des autres éléments décoratifs.

Passons au second étage de la tour Saint-Paul, nous examinerons ensuite certaines particularités qu’offrent ses faces extérieures.

Le même escalier fait accéder à ce second étage dont la voûte a disparu et qui, à l’heure actuelle, est fâcheusement exposé à l’air libre. Nous y trouvons les restes d’une autre salle également carrée dont les éléments existant encore appartiennent à la même période, c’est-à-dire à la première moitié, ou mieux, au second quart du xie siècle. Cette salle n’a conservé que ses fenêtres, intéressantes du reste, et la plupart des colonnes et colonnettes, qui décoraient ces dernières et l’intérieur de la salle. Leurs chapiteaux, par la conception et l’exécution, vraiment supérieures pour l’époque, mettent en relief le degré] avancé de la sculpture en Touraine au moment de la formation de nos écoles d’architecture et de sculpture[13]. (Fig. 9.)

Fig. 9. — Église abbatiale de Cormery. Tour Saint-Paul.
Colonnes et chapiteaux de la salle du second étage.

La plupart de ces chapiteaux décorés de motifs corinthiens ou de feuillages de fantaisie sont identiques à ceux de la salle du premier étage. Quelques-uns sont ornés de gracieux entrelacs comme ceux sculptés environ trois quarts de siècle plus tard sur certains chapiteaux du cloître de Moissac.

La facture facile et savante des spécimens du milieu du xie siècle que nous venons de rencontrer aux deux étages de la tour Saint-Paul, est très éloignée de l’exécution naïve que présente la sculpture des chapiteaux carolingiens (fig. 2 et 3). Cette comparaison donne une idée de la vitalité de notre école romane régionale et des progrès qu’elle avait déjà réalisés.

Les motifs des chapiteaux que nous venons d’examiner aux deux étages de la tour Saint-Paul de Cormery se retrouvent pour la plupart dans les restes de la basilique de Saint-Martin de Tours.

Les ouvertures de la salle de ce second étage sont au nombre de deux sur chaque face, et présentent chacune deux arcs superposés dont les cintres sont légèrement en fer à cheval. À l’extérieur du monument, l’extrados de l’arc le plus élevé est dessiné par un cordon de billettes et sa voussure ornée d’un gros tore retombe de chaque côté de la fenêtre sur le chapiteau d’une colonnette (pl. XXXV, en B). L’arc inférieur, en retrait sur le précédent, s’appuie de chaque côté de l’ouverture, à la même hauteur, sur le chapiteau d’une demi-colonne appliquée contre le tableau de la baie (voir même planche en B).

À l’intérieur de la salle, l’arc supérieur de chaque fenêtre est lisse et uni, mais il fait également saillie et retombe comme à l’extérieur sur les deux colonnettes limitant chaque fenêtre. Les deux colonnettes qui sur chaque face de la salle se rapprochent du centre, sont séparées par un pilier rectangulaire, de 0 m. 40 de large, surmonté d’un tailloir chanfreiné recouvrant les chapiteaux de ces deux colonnettes.

La face occidentale de la tour, c’est-à-dire sa façade principale, offre encore entre les contreforts, à partir de la base des deux grandes fenêtres du premier étage et jusqu’au sommet de ce dernier, des parements constituant plusieurs variétés d’appareils (réticulé, en écailles, etc.) formant plusieurs panneaux insérés parmi les matériaux à larges joints du xie siècle.

En observant attentivement la configuration de ces panneaux, on remarque son irrégularité provenant de restaurations postérieures faites à cette façade. La date de ces appareils variés ne peut remonter, à notre avis, qu’à la construction primitive de la tour, c’est-à-dire au second quart ou au milieu du xie siècle, parce que, s’ils avaient été ajoutés dans le cours du xiie, afin de rehausser la décoration de la façade, cette opération eût été évidemment faite avec symétrie et régularité. On ne peut non plus admettre que la portion de la tour Saint-Paul, contenant ces appareils variés, soit un reste du monument antérieur au xie siècle, puisque nous avons démontré que l’ensemble de ce clocher a été très visiblement appliqué dans le cours de ce siècle contre un édifice plus ancien.

L’usage de ces appareils décoratifs est très ancien en Touraine où nous le retrouvons fréquemment çà et là dans les plus vieux monuments de la région, tels que les églises d’Azay-le-Rideau (dépendance de l’abbaye de Cormery depuis le xe siècle), de Bourgueil, de Saint-Mexme de Chinon, de Cravant, etc. Quelquefois, mais à une époque plus reculée, la brique intervient dans cette décoration, comme par exemple dans une construction très ancienne remontant probablement à la période carolingienne et comprise autrefois parmi les dépendances immédiates de la basilique de Saint-Martin de Tours[14].

Enfin, pour terminer l’analyse des caractères de la tour Saint-Paul, remarquons encore sur sa face extérieure Nord la présence d’une arcature avec colonnettes, remplissant entre deux contreforts l’espace laissé libre après l’application faite vers la fin du xiiie siècle, sur cette face du clocher, du pignon du réfectoire.

Constatons l’existence d’une arcature analogue dans les restes de la basilique de Saint-Martin de Tours, au premier étage de la tour Charlemagne. Il devait en exister également une au second étage de la même tour ; le xiie siècle en altéra visiblement le caractère en la transformant en une longue arcature reposant sur de hautes colonnettes, disposition que l’on retrouve ailleurs, en Touraine, par exemple, à Beaulieu, près de Loches. Le troisième étage de la même tour a été tellement remanié vers le xive siècle que son examen, au point de vue qui nous occupe, est devenu impossible.

L’arcature avec colonnettes qui décore le premier étage de la tour Charlemagne, est peut-être un remaniement, comme sembleraient l’attester certaines traces encore visibles sur les faces Sud et Ouest du même clocher, mais surtout la présence d’une arcature portée sur de petits pilastres sur la face Est de la tour de l’Horloge, autre vestige de la basilique de Saint-Martin appartenant également et partiellement au xie siècle. Les caractères primitifs de cette tour ont été altérés par de nombreuses restaurations qu’elle a subies dans le cours des périodes suivantes.

Cette substitution de la colonnette au pilastre serait donc contemporaine de l’évolution architecturale dont nous avons déjà parlé et qui, d’après les exemples que nous citons, s’est effectuée en Touraine dans le second quart du xie siècle. La tour Saint-Paul de Cormery offre l’un des exemples les plus précoces et les plus précis de cette phase de notre architecture romane régionale non seulement dans l’arcature extérieure qui décore sa face Nord, mais encore dans d’autres parties, surtout dans la salle voûtée en coupole occupant son premier étage, où nous trouvons sur l’une des quatre faces de cette salle — celle située à l’Est — des arcs reposant sur de simples pilastres, selon les traditions antérieures, tandis que les cintres des ouvertures des trois autres faces de la même salle s’appuient sur des colonnettes. Nous pouvons donc, à notre avis, considérer cette salle et même l’ensemble de cette tour comme un spécimen de transition entre les traditions transmises par la période carolingienne dont s’inspira, au début du xie siècle, l’architecte de la tour Charlemagne, ancien clocher de la basilique de Saint-Martin de Tours, et les dispositions appliquées à Cormery entre les années 1026 et 1054.

Cette architecture romane nouvelle, contenant dans notre région la plupart des germes de celle du xiie siècle, suivit en Touraine sa marche ascendante pour arriver à la plénitude de ses moyens vers la fin du xie, comme l’attestent plusieurs monuments bâtis entre la fin de ce siècle et les premières années du xiie. Parmi ces exemples nous citerons le clocher de l’ancienne abbatiale bénédictine de Saint-Julien de Tours, et surtout la majeure partie de la belle église de Preuilly, ayant fait également partie, avant la Révolution, d’une abbaye placée sous la règle de saint Benoît et fondée au commencement du xi" siècle avec le concours d’Hervé, trésorier de la basilique de Saint-Martin de Tours.

II

l’église notre-dame-de-fougeray, à cormery

L’église paroissiale actuelle de Cormery désignée sous le nom de Notre-Dame-de-Fougeray a été bâtie par l’abbaye et affectée spécialement à la population qui peu à peu s’était agglomérée autour du monastère. Nous ignorons la date exacte de sa fondation ; mais elle existait en l’année 1139 comme l’atteste un privilège du pape Innocent Il, confirmant à l’abbaye de Cormery ses diverses possessions parmi lesquelles l’église de Notre-Dame de Cormery : “ecclesia Cormaricensis Sanctae Mariae[15].

Fig. 10. — Plan de l’église Notre-Dame-de-Fougeray, à Cormery.

Elle se compose : d’une nef sans bas côtés, d’un transept sur chacun des bras duquel s’ouvre, à l’Orient, une absidiole, d’un clocher surmontant le centre de la croisée et d’un chœur terminé par une abside en hémicycle, comme les absidioles (fig. 10).

De cet ensemble, le clocher presque détruit et une vaste toiture dont le pignon, à l’Est, a englobé très postérieurement une partie du chevet, sont sans intérêt pour notre étude.

Au point de jonction de la nef et du transept, une retraite indique que cette dernière partie, y compris celles qui lui font suite, c’est-à-dire le chœur, l’abside et les absidioles, ont été ajoutées à la nef à une date postérieure, comme l’attestent également leurs caractères architectoniques. À notre avis, les murs de la nef remonteraient à la première moitié du xiie siècle ; les ouvertures de cette dernière auraient été remaniées ou agrandies à l’intérieur dans le cours de la seconde moitié du même siècle.

Examinons les différents éléments de cet ensemble.

Le plan du chevet est commun dans les églises de médiocre importance ; nous le retrouvons à l’extrême fin du xe siècle, à l’église de Louans (Indre-et-Loire), ancienne dépendance de l’abbaye de Cormery.

À part certaines parties, telles que le haut du clocher, les contreforts, la presque totalité de l’abside et le fond des absidioles, bâtis en grand appareil à joints étroits, l’ensemble du monument est construit extérieurement en moellons irréguliers reliés par un mortier d’excellente qualité, ayant acquis par l’action du temps la dureté de la pierre. Ce genre de maçonnerie fourni par une roche silico-calcaire, à éléments poreux et feuilletés très abondants dans cette région des bords de l’Indre, y a été, d’après nos observations personnelles, fréquemment et économiquement employé dans des constructions d’importance secondaire, mais à partir du xie siècle seulement, parallèlement avec le grand appareil. Avant l’an mille, comme l’attestent les restes de l’ancienne abbatiale de Cormery, quelques parties de l’église d’Esvres, le clocher de Reignac, etc., le petit appareil cubique à éléments régulièrement taillés et de tradition romaine s’y montre exclusivement. Tandis qu’après cette date nous rencontrons très souvent la construction en moellons comme à Notre-Dame-de-Fougeray, par exemple dans les spécimens suivants, voisins de Cormery : ancienne chapelle Saint-Blaise, prieuré du Grès, églises de Courçay, de Veigné, d’Esvres[16], etc., construites ou presque entièrement remaniées pendant les xie et xiie siècles. La maçonnerie était recouverte d’un enduit.

Toutes les ouvertures de l’église de Notre-Dame-de-Fougeray sont en plein cintre, sauf les deux portes sans intérêt qui donnent accès dans la nef, à l’Ouest et au Sud, et qui sont en arc brisé.

Fig. 11. — Église Notre-Dame-de-Fougeray, à Cormery.
Chœur et coupole du transept.

Cette nef est éclairée par six grandes fenêtres semblables dont l’une surmonte la porte de la façade. Les cinq autres sont toutes percées du côté Sud, le côté opposé ne présentant aucune ouverture. À l’extérieur, ces fenêtres présentent deux arcs superposés dont les pieds-droits sont dépourvus de colonnettes. L’extrados de l’arc supérieur est dessiné par une moulure qui se prolonge horizontalement, avec plus d’épaisseur dans l’intervalle des fenêtres.

Les faces Ouest des deux croisillons sont percées chacune d’une ouverture à peu près semblable, extérieurement, à celles de la nef ; mais à l’intérieur elles sont très différentes. De ce côté, la baie est entourée d’une ligne de zigzags et d’un tore retombant sur les chapiteaux de deux fines colonnettes.

Les extrémités Nord et Sud de ces croisillons offrent chacune une large fenêtre dont l’archivolte à double voussure comprend un tore supporté par deux colonnettes et une moulure ornée d’un cordon de fleurettes qui se poursuit jusqu’à l’appui de la fenêtre.

À l’intérieur, l’archivolte de la fenêtre du croisillon Sud est décorée de la même moulure torique qui, de chaque côté de la fenêtre, retombe sur les chapiteaux de deux colonnettes dont les fûts sont de forme prismatique avec une décoration assez variée. Indépendamment de ses moulures toriques et de ses colonnettes diversement ornées, cette fenêtre présente encore à l’intérieur, autour de ses arcs et le long de ses jambages, une décoration de palmettes, de violettes et de bâtons rompus.

La fenêtre percée à l’extrémité du croisillon Nord n’offre aucun intérêt à l’extérieur du monument. À l’intérieur, elle est encadrée de deux tores dont un seul est porté sur des colonnettes, l’autre se prolongeant sans interruption le long des jambages de la fenêtre, jusqu’à l’appui.

L’abside est éclairée par deux rangs superposés de fenêtres, disposition très rare dans la région (fig. 11).

Les trois grandes fenêtres du rang inférieur, à l’extérieur, ont pour toute décoration un cordon de fleurs à quatre pétales qui les encadre et se continue horizontalement de l’une à l’autre (fig. 12). À l’intérieur, chaque fenêtre est amortie par un arc en plein cintre à double voussure. La voussure supérieure est ornée d’un boudin qui se prolonge sans interruption le long des jambages jusqu’à l’appui de la fenêtre (fig. 11). La fenêtre qui éclaire chacune des deux absidioles est semblable à celles dont il vient d’être question.

Les fenêtres du second étage, beaucoup plus petites que les précédentes, sont ornées, à l’extérieur, d’une archivolte de pointes de diamant (fig. 12). À l’intérieur, chacune de ces fenêtres alterne avec un petit arceau aveugle dont les retombées portent sur les colonnettes qui flanquent les fenêtres.

Chacun de ces arceaux abrite une curieuse statue représentant un personnage debout, tenant un livre et une verge.

Fig. 12. — Église Notre-Dame-de-Fougeray, à Cormery. Abside.

À l’extérieur, les murs latéraux de la nef, les faces à l’Ouest et à l’Est des croisillons et le pourtour de l’abside et des absidioles sont surmontés d’une corniche supportée par des modillons décorés de sujets variés. Les éléments et les caractères de cette corniche de la seconde moitié du xiie siècle différent peu de ceux du deuxième quart du xie siècle, rencontrés dans la tour Saint-Paul. Les moulures de la corniche diffèrent seules ; mais les modillons et les autres dispositions présentent aux deux époques une analogie marquée.

La corniche, en partie détruite, sauf à l’abside et aux absidioles où elle est intacte, présente à sa partie supérieure un bandeau plat orné de quatre feuilles à la première, et de dents arrondies aux secondes. La partie inférieure de cette corniche offre un biseau creusé d’une moulure concave.

Le bandeau plat est lisse et uni dans les parties subsistant encore à la nef et au transept.

Quatre colonnes engagées surmontées de chapiteaux servent de contreforts à l’abside et deux aux absidioles. La substitution de la colonne au contrefort rectangulaire a été assez rare en Touraine.

Le chœur est voûte en berceau brisé. L’abside et les absidioles sont voûtées en cul-de-four également brisé. Ces voûtes ont dû être construites à la même époque et appartiennent, croyons-nous, au second remaniement de l’église, c’est-à-dire à la deuxième moitié du xiie siècle, époque à laquelle on ajouta à la nef d’une église plus ancienne un transept, un clocher, un chœur et un chevet.

Ces berceaux brisés ont été parallèlement employés avec le plein cintre dans beaucoup de régions, principalement en Poitou, en Bourgogne, en Provence, etc.

La coupole surmontant le carré du transept (fig. 11) s’appuie sur le sommet de quatre grands arcs brisés, dont deux s’ouvrent sur les croisillons du transept, un autre sur le chœur et constituant l’arc triomphal, le quatrième sur la nef. Elle s’appuie sur quatre pendentifs sphériques. On remarquera que cette coupole est à seize pans, comme celle du clocher de l’église abbatiale. Elle marque le terme d’une évolution dont nous avons le point de départ à Tours dans la tour Charlemagne. La Touraine possède plusieurs autres spécimens de coupoles sur pendentifs sans nervures.

En élevant sa coupole, l’architecte du m* siècle a subi visiblement l’influence du clocher de l’ancienne église abbatiale, puisqu’il prit à ce dernier sa forme à seize pans, qu’on retrouve par exemple à Villandy, Monts, Savonnières, etc. dont la provenance, comme pour celle de Notre-Dame-de-Fougeray de Cormery, est à tort attribuée à l’influence de Fontevrault[17].

Indépendamment de ces coupoles à pendentifs distincts, nous rencontrons en Touraine un autre type représenté par des spécimens très anciens, comme par exemple à Preuilly. Ce type, à pendentifs non distincts selon l’expression de M. de Verneilh, présente le plus souvent sous son intrados des nervures qui lui servent à la fois de décoration et de supports. Ces arcs sont bandés diagonalement, du moins les deux principaux, comme dans la croisée d’ogive, ce qui les différencie de ceux de nos vieilles coupoles tourangelles de la première moitié du xie siècle, où les arcs sont perpendiculaires aux quatre faces du carré.

Ces voûtes sans pendentifs distincts, avec nervures se croisant diagonalement sous leur intrados, peuvent représenter dans notre région, comme en Anjou, la première étape de la coupole romane vers la voûte dite Plantagenet, car nous devons faire remarquer qu’à Preuilly cette disposition date peut-être de la fin du xie siècle ou du commencement du xiie.

La description raisonnée des monuments romans de Cormery est le point de départ d’une série de recherches concernant la même période que nous avons l’intention de poursuivre en Touraine. Nous nous efforcerons, dans cette région imparfaitement étudiée, de déterminer, d’après les mêmes méthodes, les principes d’architecture et de sculpture qu’elle a su tirer de sa propre vie artistique et d’en suivre les évolutions jusqu’à la fin de la période romane. Nous pourrons ainsi dégager ces élaborations locales dues aux efforts de ses architectes, des influences qu’elle a reçues des autres écoles, et apprécier d’une façon positive l’action qu’a pu exercer notre art tourangeau dans le cours des xie et xiie siècles.

Octave Bobeau
Correspondant du Comité.
  1. « Data septimo idus februarii, indictione quarta decima, anno vigesimo tertio regni domim nostri Caroli, gloriosissimi regis, Abbé Bourassé, Cartulaire de Cormery.
  2. Abbé Bourassé, Hist. de l’abbaye et de la ville de Cormery, p. xiii.
  3. Cartulaire de Cormery, chartes {{sc[ii}} et suiv.
  4. Migne, Patrol. lat., vol. CI, col. 1431.
  5. Raout Monsnier, Hist. eccl. S. Mart., t. I, p. 112.
  6. Raoul Monsnier, Hist. eccl. S. Mart., t. I, p. 113.
  7. Cart. de Cormery, charte n° XX.
  8. Ibid., charte n° XXXI.
  9. Abbé Bourassé, Hist. de l’abbaye et de la ville de Cormery, p. lviii.
  10. Cartulaire de Cormery, charte n° XX.
  11. La grande arcade de droite (B) a conservé les restes d’une cheminée sans intérêt ajoutée dans le cours du moyen âge.
  12. Cette salle de la tour Charlemagne, malgré son classement comme monument historique, est encombrée par un énorme réservoir d’eau qui empêche absolument de la dessiner ou de la photographier. Nous regrettons de ne pouvoir en donner une figure.
  13. La facture savante de tous ces chapiteaux pourrait faire supposer qu’ils ont été ajoutés postérieurement ou sculptés environ un quart de siècle après l’achèvement de la tour ; mais, à notre avis, il faut tenir compte de ce qui existe et non de ce qui pourrait exister. De fait, les colonnes qui les supportent font incontestablement partie de la construction primitive de Cette tour, en raison de la largeur des joints qui, en Touraine, ne se sont amincis que vers le troisième quart du xie siècle.
  14. Bulletin archéologique du comté, 1907, pl. XV.
  15. Cartulaire de Cormery, charte LXI.
  16. L’église d’Esvres est très démonstrative à ce sujet la base de la façade, antérieure au xiie siècle, est construite en petit appareil de tradition romaine, tandis que le reste de cette façade et les autres parties de l’église remaniées vers la fin du xie siècle montrent l’appareil irrégulier analogue à celui de Notre-Dame-de-Fougeray de Cormery.
  17. F. de Verneilh, Influences byzantines en Anjou, dans le Congrès archéologique de France, XXIXe session (1862-1863), p. 314.