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Les Femmes arabes en Algérie/Alger sans écoles arabes de filles

La bibliothèque libre.
Société d’éditions littéraires (p. 138-144).


Alger sans écoles Arabes de filles




Les deux mille fillettes arabes ou kabyles disséminées dans les écoles françaises du territoire de l’Algérie, infligent un éclatant démenti à ceux qui affirment que les indigènes sont inaptes à profiter de l’instruction qui leur est donnée. Ces jeunes musulmanes, non seulement font preuve de capacités intellectuelles remarquables, mais à la fin de l’année, leurs parents ont le droit d’être fiers de leurs succès puisqu’elles remportent de beaux prix, ou subissent très bien les examens.

Ces garanties d’intelligence ne décident pas les rapporteurs du budget de l’Algérie à proposer d’instruire les filles arabes : « Pas pour elles, disent-ils, d’écoles qui en feraient des déclassées. »

L’instruction produit le même effet en France qu’en Algérie. En élevant moralement celui qui l’a reçue, elle le déclasse, elle lui crée des besoins. Voudrait-on pour s’épargner la difficulté d’une heure de transition, supprimer l’instruction, enrayer le progrès ? Personne ne songe à cela. Tout le monde n’est d’accord que pour mieux organiser la société, de manière à ce que l’humanité instruite, y trouve la satisfaction de ses besoins.

Il a été émis au Conseil général d’Alger, un vœu en faveur d’un institut professionnel de jeunes musulmanes ; mais les arabophobes, de concert avec les arabes qui siègent dans cette assemblée, ont vu là un détour pris pour ouvrir une école de filles et ils l’ont repoussé.

Les fillettes en sortant de l’école, s’écrient épouvantés les algériens, ne voudraient plus subir la séquestration !…

Or, c’est cette séquestration de la femme qui maintient l’homme sous le joug et en fait une proie facile.

La ville d’Alger, habitée par beaucoup d’indigènes, est donc, par le caprice des ennemis de la fusion des races arabe et française privée d’écoles de filles indigènes.

Les jeunes musulmanes qui ne peuvent aller dans les écoles françaises faute d’être familiarisées avec notre langue, sont dans l’impossibilité absolue de s’instruire dans la capitale de l’Algérie. Mais on réclame pour elles. Nous avons adressé une requête aux pouvoirs publics, afin que les filles arabes ne soient pas plus condamnées à l’ignorance en 1900, que durant la période de 1845 à 1861 où elles avaient des écoles.

Les Français qui osent soutenir que les filles arabes — en raison des statuts — nous échappent relativement à l’instruction ; et que nous devons respecter les droits successoraux musulmans qui les font dépouiller de leur patrimoine, devraient bien avouer, qu’ils ont intérêt à autoriser la tyrannie mahométane puisque l’ignorance de la femme leur assure l’exploitation de toute la race indigène.

Quand la musulmane, qui ne touche qu’un tiers de la succession paternelle, n’a pas de cohéritiers mâles, l’État français s’empare des deux autres tiers.

Aucune loi ne sanctionne ce dépouillement de la fille arabe, et l’usage établi ressemble assez à une convention tacite de brigands, où les Français semblent dire aux musulmans :

« Nous vous laissons détrousser les femmes, à condition que quand vous ne serez pas là, ce sera nous qui les détrousserons ! »

Le gouvernement français ne peut pas continuer à donner en Algérie l’exemple de la pillerie, en laissant s’emparer et en s’emparant de la fortune des filles arabes.

Les rapporteurs du budget de l’Algérie qui demandent la réduction des écoles primaires de garçons, ne s’étonnent pas naturellement, que les villes comme Alger et Oran soient privées d’écoles arabes de filles ; ils sont au contraire, comme de simples geôliers musulmans, plutôt disposés à dénoncer le danger de l’école émancipatrice pour les filles. Car, faire lire les femmes paraît aussi déplacé en Algérie, qu’en France les faire voter.

On vante les bienfaits de l’instruction et l’on refuse de la répandre en pays Arabe.

On pourrait cependant le faire à peu de frais, si au lieu de procéder en créant de toutes pièces et magnifiquement des écoles spéciales, où les musulmans parqués à part restent musulmans, on facilitait l’accès des écoles françaises existantes aux filles et garçons indigènes, par l’adjonction aux directeurs et directrices de ces écoles, d’un instituteur et d’une institutrice parlant arabe.

Fusionner avec les jeux, l’émulation et les efforts des enfants, ne serait-ce pas tuer dans l’œuf le ridicule préjugé de race qui nous fait prendre notre supériorité d’éducation pour une supériorité native ?

Même dans les Centres où l’élément européen ne s’est pas fixé, il ne faudrait que des écoles françaises-arabes. Pourquoi vouloir renfermer à part dans des écoles exclusivement réservées à leur race les indigènes que l’on veut franciser ? Est-ce en séparant les enfants que l’on arrivera à unir les adultes ?

Pas d’enseignement religieux à l’école ; donc, au lieu de respect des croyances musulmanes — ce qui serait un encouragement à conserver ces croyances — neutralité, indifférence vis-à-vis des religions diverses des élèves.

Contrairement à ceux qui demandent la réduction du nombre des écoles primaires arabes, moi qui ai vécu quatre ans parmi les indigènes, curieusement en enquêteuse, je crie : Des écoles ! encore des écoles !

On se plaint de ce que l’arabe reste inentamé par notre civilisation et l’on ne voudrait pas l’initier, en l’instruisant, à ce qu’on lui reproche de ne pas connaître !

Où serait l’excuse de la conquête si l’arabe que l’on a assujetti pour le civiliser (sic) continuait à vivre à l’état de nature ?

Si dans le débat mémorable qui eut lieu en 1861 au Conseil général d’Alger, les Algérois n’avaient pas laissé sans protester, les arabes qui exècrent les écoles émancipatrices des filles de leur race, représenter ces écoles comme des imitations de gynécées de Corinthe et d’Athènes et profiter de leur nombre pour voter leur fermeture, l’assimilation serait proche, si elle n’était un fait accompli. Car les femmes gagnées promptement, comme elles le sont, à notre civilisation, nous auraient puissamment aidés à nous concilier les Arabes, à nous ménager des intelligences dans le monde musulman.