Aller au contenu

Les Femmes arabes en Algérie/Wagons pour Arabes

La bibliothèque libre.
Société d’éditions littéraires (p. 27-29).


Wagons pour Arabes




Si les Algériens, qui ne sont pas pour le rapprochement des races, ne vont jamais se promener le samedi de peur d’être pris pour des juifs, ils n’entendent point non plus frayer avec les Arabes ; aussi protestent-ils contre la présence des indigènes dans les compartiments de chemin de fer réservés aux voyageurs. Les Arabes ne sont, paraît-il, ni des humains, ni des voyageurs et l’on demande gravement que les compagnies de chemins de fer aient pour les indigènes comme elles ont pour les bestiaux, des wagons spéciaux. Attendu, qu’il est répugnant de s’asseoir auprès de dépouillés mal vêtus.

Aux stations, Algériens et étrangers usent de violence pour empêcher les Arabes de monter dans leurs compartiments et quand les commissaires de surveillance des gares se montrent humains, prêtent main forte aux malheureux indigènes, ils sont dénoncés.

Chacun se fait un jeu de torturer les Arabes, de les injurier et de les frapper, sous l’œil bienveillant de l’autorité ; quand ce n’est pas l’autorité elle-même qui les brutalise, comme le prouve la plainte ci-dessous :

« Monsieur le Maire,

« Hier matin, je me promenais paisiblement rue Sidi-Allal avec un camarade, lorsque l’agent no 69 s’est approché de moi et, sans provocation aucune de ma part, m’a frappé d’un violent coup de pied et de trois gifles. J’ai été tout surpris de cette algarade et les témoins en ont été indignés ; sans ma patience et mon sang-froid, un mauvais parti allait être fait au dit agent. J’ai protégé sa fuite, me promettant d’avoir raison de son forfait en m’adressant à vous. Je crois avoir bien fait.

« Il n’y a eu, Monsieur le Maire, je me complais à le répéter, ni provocation, ni dispute, ni cris séditieux, ni quoi que ce soit ayant pu nécessiter l’intervention du dit agent, à plus forte raison l’assommade dont j’ai été victime.

« Je n’ai jamais été en prison, je n’ai jamais eu un seul procès-verbal ; j’ignore donc totalement les causes qui l’ont fait agir ainsi.

« Je ne doute pas, Monsieur le Maire, que vous n’ordonniez sa révocation immédiate.

« Veuillez agréer, etc.

M’Ahmed ben Mohamed. »

Cette agression démontre qu’il est bien temps de mettre la proie arabe en état de se défendre, en l’armant du bulletin.

M. Henri Rochefort, qui a, le premier, dénoncé la cruauté envers les indigènes, est très aimé d’eux. En entendant prononcer son nom, des arabes s’écrient : « Rochefort ! C’est mon père ! »