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Les Grotesques de la musique/ch29

La bibliothèque libre.
Librairie nouvelle (p. 82-83).

La Jettatura.


M. X… dirige à Paris un affreux petit théâtre que la pudeur m’empêche de nommer. Ce théâtre et son directeur sont tous les deux jettatori ; c’est-à-dire qu’ils jettent des sorts, qu’on meurt ordinairement dans le cours de l’année si l’on serre la main au directeur, et qu’on est infailliblement atteint d’une diarrhée violente si l’on entre dans le théâtre.

Dans une maison où je me trouvais ces jours-ci, l’amphitryon, qui pousse la simplicité et l’incrédulité jusqu’à douter de l’influence des jettattori, s’avisa, pour tourmenter un de ses invités, homme de beaucoup d’esprit et de foi au contraire, de lui jouer le tour suivant. Le nom de chaque convive était écrit, selon l’usage, sur un carré de papier placé devant sa serviette. Il s’arrangea pour que le carré de papier du croyant fût retourné, et, indiquant de la main son siège à celui-ci : « Voilà votre place, » lui dit-il. Le malheureux s’assied sans méfiance, déploie sa serviette, retourne machinalement le papier qu’il croyait porter son nom, et y découvre celui de M. X…, écrit sur un coupon de loge du théâtre jettatore. L’homme d’esprit fait un bond en arrière, et aussitôt, sans crier gare, est pris de vomissements violents… avant dîner !