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Les On-dit

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Anonyme
Les On-dit
Les On-ditLa Quotidienne, édition du 24 août (p. 2-8).

Les On-dit.


[En vers libres.]


On dit que la Dame d’Urgelle,
Dont l’âme est généreuse et belle,
Et qui sait que Dieu nous commande
Aux pauvres de faire l’offrande,
Fit à sa bonne cousine
Charité d’un peu de farine,
Pour aider son père indigent.

Tout chrétien en eut fait autant.

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     Mais un commis fesse-Mathieu,

Qui pourrait tricher le bon Dieu,
Ladre, mouchard, délateur, traître,
Enfin disciple de son maître,
En fidèle porte-panier,
Fut en avertir ce dernier,
Et puis, comme c’est l’ordinaire,
Sut très bien allonger l’affaire.


Soudain, mon nouvel Harpagon
Tombe dans une pamoison !
Il était là, raide, insensible,
Ne remuant rien de visible
Si ce n’est ses doigts tout crochus
Qui semblaient compter des écus.
Son ……, plein d’épouvante,
Appelle à grands cris la servante,
Et dit d’apporter sans retard
Du sel à conserver le lard.
Javotte, tendre de nature,
En fourait à bonne mesure,
Dont fortement on lui frotta
Temples, mains, pieds et cætera.


Bientôt l’avare se réveille,
Ouvre les yeux, dresse l’oreille,
Et se voyant ainsi salé :
« Malheur ! dit-il, je suis ruiné !
« Sur moi tout le monde se rue :
« On veut me mettre dans la rue,
« Jusqu’à Javotte, juste Ciel !
« Voyez la dépense de sel !!!
« Sans rien coûter, l’eau froide et claire
« Aurait fait aussi bien l’affaire.
« Hier, c’était ma fleur froment,
« Demain, ce sera mon argent !!
« Ah ! sauvez-moi de la détresse,
« Saints, je paye une basse messe !!!

(Craignant d’avoir été entendu et qu’on ne le
vole il se reprend aussitôt.)

« Mon argent, grand Dieu ! qu’ai-je dit ?
« Je n’ai pas un maravédis.
« Sur mon honneur ; et c’est bien pire,
« Ma tante LaMain peut le dire,
« Je suis trahi, volé, pillé,
« Je suis… je suis… as… sas… siné !!! »


Il allait retomber en transes,
Mais au souvenir des dépenses,
En un clin d’œil il se calma.
Ça ne devait pas rester là,
Il lui fallait une vengeance !
Des grands cœurs c’est la jouissance.
Il fit appeler devant lui
La jeune cousine et lui dit :
« Je veux que le diable escamotte
« Toi puis la maudite Javotte,
« Et…… » Soudain la petite fine,
Qui prévoit où cela termine,
Coupant court à notre orateur,
Lui dit : « mais pour votre bonheur,
« Vous ne devez pas m’envoyer
« Où vous devez vous-même aller. »
Et lui fesant la révérence,
Elle s’esquive en diligence,

Laissant notre avare irrité
Prêcher contre la charité,
Soutenir que c’est un grand vice
Que de rendre aux pauvres service,
Et promettant pour de l’argent
Le Paradis à tout venant.

Enfin l’impénitent Urgelle,
Depuis ce temps, fait sentinelle
À tous les coins de sa maison,
De crainte de quelque larron.


La nuit, il ne dort, ne sommeille,
A toujours la puce à l’oreille,
Et si parfois son vieux matou,
Damné vaurien, vrai loup-garou,
En revenant de la maraude
Avec sa compagne minaude,
S’avise de faire un faux pas,
On l’entend crier : « Qui va là ? »
Et donner aussitôt l’alarme
À terrifier un gendarme.
Et quand, découvrant son erreur,
Du vieux routier il n’a plus peur,
Il tire ses clés de sa poche,
S’assure que rien ne cloche,
Et s’en va reprendre son quart.


Pour ce que devint le mouchard,
Qui fut l’auteur de ce tapage,
Il eut l’opprobre pour partage,
Et porte sur son maudit front
La marque ignoble de l’espion !!!
Et dans une chambre isolée,
Une jeune femme attristée
Implore de l’Être infini
Le repentir de son mari.

Anonyme