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Les Sciences au XVIIIe siècle/II/IV

La bibliothèque libre.
Librairie Germer Baillière (p. 185-196).

CHAPITRE IV

La section de chimie. — Bourdelin. — Homberg et Leymery. — Un savant classique, Rouelle, — Lavoisier et la chimie nouvelle.

Les physiciens que nous venons de citer, sans obtenir une renommée du premier ordre, ont laissé des travaux excellents et définitifs, des travaux qui ont encore pour nous tout leur prix sous la forme même où ils les ont produits. La section de chimie nous présente un spectacle bien différent. À nos yeux, la chimie date de Lavoisier, et tout ce qui précède est comme non avenu. L’Académie, jusqu’au dernier quart du xviiie siècle, ne nous offre que des chimistes tout à fait surannés. Rien de puéril pour la science moderne comme leurs doctrines, rien de confus comme leurs recherches. Ce sont eux qui, dans les procès-verbaux de l’Académie, nous fournissent le mot pour rire ; Duclos, un chimiste de la fondation, un des seize membres choisis par Colbert, établit les principes des corps. « Quand on résout les mixtes naturels, il ne reste que de l’eau. C’est elle qui, altérée par un efficient impalpable et spirituel, produit le mercure, le soufre, le sel et les autres mixtes. Les esprits parfaits et qui ont quelque participation de la vie, contiennent un troisième principe nommé archée, en sorte qu’il existe en tout trois principes : le corps matériel, qui est l’eau ; l’esprit altératif, et l’âme vivifiante ou archée. » Un autre, s’en tenant à la théorie des quatre éléments, déclare qu’à ces quatre éléments qui composent les corps correspondent quatre couleurs élémentaires : le rouge, qui est la couleur du feu ; le bleu, qui est la couleur de l’air ; le vert et le blanc enfin, qui sont respectivement les couleurs de l’eau et de la terre. La distillation est le procédé incessamment employé par les chimistes de cette époque. L’Académie, à l’instigation de ses chimistes, passe un temps considérable à suivre des distillations : on espérait ainsi séparer les essences des corps ; mais on n’arrivait qu’à en détruire ou à en confondre les principes immédiats. « La compagnie étant assemblée le 14 juillet 1667, M. Bourdelin a fait voir l’analyse de quarante crapauds tout vivants. Il y en avait qui étaient gardés depuis huit jours dans un panier, et ceux-là sentaient fort mal. Ils pesaient 2 livres 11 onces et plus. On en a tiré 35 onces et 3 gros de liqueur. Les cinq premières onces ont été tirées au bain vaporeux. La première, claire et limpide, d’une saveur piquante, a blanchi l’eau de sublimé ; la troisième a troublé l’eau de vitriol, etc… Il en reste 10 onces fort sèches. » Une autre fois nous retrouvons le même M. Bourdelin apportant l’analyse de « 3 livres d’excellent café. Les trois livres ont donné 20 onces 7 gros de liqueur qu’on a tirée par la cornue. La première partie, de 4 onces, un peu austère, a rougi le tournesol. La seconde, avec un peu d’acidité, a fait couleur de vin de Chablis avec le vitriol. La troisième a fait couleur de minium en mettant une portion de vitriol sur sept de cette liqueur. La quatrième, d’odeur de cumin austère et amère, a rendu laiteuse la solution du sublimé, etc. La tête morte avait plus de volume que le café. » Voilà du café bien mal employé, M. Bourdelin eût mieux fait de le boire.

Au milieu des nuages de cette chimie antérieure à Lavoisier, deux noms se distinguent, ceux de Homberg et de Leymery. Ils ont fait autorité dans leur temps ; ils ont été cités par Voltaire, d’Alembert et les encyclopédistes.

Homberg était fils d’un gentilhomme saxon ruiné par la guerre de Trente ans, et qui avait émigré à Batavia pour essayer d’y refaire sa fortune. Le jeune Homberg vint de bonne heure en Europe, et suivit les cours des principales universités de l’Allemagne, où il acquit une instruction très-sérieuse sur toutes les sciences alors cultivées. Cette instruction fut complétée par des voyages, et Homberg avait déjà en Europe la réputation d’un savant distingué quand il fut appelé en France par Colbert. Il se lia avec le duc d’Orléans, qui le nomma son médecin, et qui installa pour lui le plus beau laboratoire de chimie qu’on eût encore vu. Ses relations avec ce prince amenèrent un jour sur la tête de Homberg de sinistres accusations. Quand la mort frappa la famille royale à coups redoublés, que le dauphin, puis la duchesse et le duc de Bourgogne disparurent soudainement, bien des gens voulurent voir dans ces catastrophes la main du duc d’Orléans ; le mot de poison fut prononcé, et l’officine de Homberg suspectée. Le roi méprisa ces clameurs accusatrices ; mais elles assombrirent les dernières années du chimiste. Les mémoires de l’Académie des sciences contiennent un grand nombre de travaux de Homberg. C’était un expérimentateur infatigable, et il touchait à tout sans avoir d’ailleurs pour se guider de principes bien lucides. On en peut juger par cet exemple. « Une personne de considération, dit-il, me demanda avec instance d’essayer si de la matière fécale je ne pourrais pas tirer une huile distillée, sans mauvaise odeur, qui fût claire et sans couleur comme de l’eau de fontaine, parce qu’elle en avait vu, comme elle le croyait, un effet surprenant, qui était de fixer le mercure commun en argent fin. » Homberg organise aussitôt les essais qu’on lui conseille, et, ne voulant pas opérer sur des éléments ramassés au hasard, il loue pour alimenter son travail quatre hommes sains et robustes ; il les enferme pendant trois mois dans une maison munie d’un grand jardin, après avoir fait avec eux la condition qu’ils ne se nourriraient que d’excellent pain de Gonesse et qu’ils ne boiraient que du vin de Champagne. Sa matière première ainsi assurée, Homberg la traite par tous les moyens connus, tantôt par voie sèche, tantôt par voie humide ; il distille, décante, filtre ses produits, recueille des liqueurs plus ou moins rousses, plus ou moins âcres. Au bout de plusieurs mois seulement, il obtient une huile incolore, presque sans odeur, et le peu qu’elle avait était légèrement aromatique » ; mais, hélas ! elle ne changeait pas le mercure en argent.

Leymery est l’auteur d’un traité de chimie qui, de 1675 à 1718, eut dix éditions, et qui fut traduit dans toutes les langues de l’Europe. Ce traité ramène tous les mixtes à cinq sortes de substances : l’eau, l’esprit, l’huile, le sel et la terre ; de ces cinq, il y en a trois actives, l’esprit, l’huile et le sel, et deux passives, l’eau et la terre ». Leymery eut surtout de grands succès comme professeur ; il faisait chez lui des cours qui étaient suivis par les hommes les plus considérables, et où l’on voyait même quantité de dames.

À cette période de l’histoire de la chimie, nous pouvons encore emprunter une figure originale. Rouelle, qui introduisit en France la doctrine du phlogistique, fondée par Stahl en Allemagne dans les premières années du xviiie siècle, peut représenter dans notre galerie un type sans lequel elle serait évidemment incomplète, le type du savant distrait, excentrique, qui met sa perruque et ses bas de travers. C’est Grimm, le nouvelliste de la philosophie et des sciences, qui nous a tracé le portrait de Rouelle. « Il était d’une pétulance extrême ; ses idées étaient embrouillées et sans netteté, et il fallait un bon esprit pour le suivre et pour mettre dans ses leçons de l’ordre et de la précision… Ordinairement il expliquait ses idées fort au long, et quand il avait tout dit, il ajoutait : Mais ceci est un de mes arcanes que je ne dis à personne !… Il avait une si grande habitude de s’aliéner la tête, que les objets extérieurs n’existaient pas pour lui. Il se démenait comme un énergumène en parlant sur sa chaise, se renversait, se cognait, donnait des coups de pied à son voisin, lui déchirait ses manchettes sans en rien savoir. Un jour, se trouvant dans un cercle où il y avait plusieurs dames, et parlant avec sa vivacité ordinaire, il défait ses jarretières, tire son bas sur son soulier, se gratte la jambe pendant quelque temps de ses deux mains, remet ensuite son bas et sa jarretière, et continue sa conversation sans avoir le moindre soupçon de ce qu’il venait de faire. » Ce sont là distractions assez innocentes ; mais un chimiste peut en avoir de plus dangereuses. Une autre fois, Rouelle, faisant un cours devant une nombreuse assemblée, disait à ses auditeurs : « Vous voyez bien, messieurs, ce chaudron sur ce brasier ? Eh bien ! si je cessais de remuer un seul instant, il s’ensuivrait une explosion qui nous ferait tous sauter en l’air. » En disant ces paroles, il ne manqua pas d’oublier de remuer, et une formidable explosion vint aussitôt lui donner raison. Tel est le portrait un peu humoristique que Grimm nous trace du vieux chimiste.

Mais voici venir Lavoisier, et avec lui apparaît la théorie de l’oxydation : c’est comme un phare éclatant qui s’allume au milieu des ténèbres de la science. Nous avons dit que la chimie date de Lavoisier. Il n’y a pas d’autre exemple d’une science qui ait été si complètement créée par un seul homme. Sans doute la chimie avait fait avant lui d’utiles découvertes ; mais elles se sont comme effacées en entrant dans le cadre nouveau qu’il a ouvert.

Lavoisier eut à détruire la théorie du phlogistique introduite en France par Rouelle, comme nous le disions tout à l’heure. Dans cette théorie, on regardait un métal comme formé d’une chaux métallique et d’un principe spécial ou phlogistique qui pouvait en être séparé par la chaleur. Le phénomène du feu était considéré comme un puissant dégagement de phlogistique. On pouvait d’ailleurs, disait-on, rendre aux métaux le phlogistique qu’ils avaient perdu, et il suffisait pour cela de les chauffer avec une substance abondamment pourvue de ce principe, comme le charbon, le bois, l’huile. Ainsi, en calcinant le plomb à l’air, on obtenait une poudre jaune, la litharge, qui était la chaux métallique séparée de son phlogistique, et, si l’on chauffait ensuite cette litharge avec du charbon en poussière, le phlogistique du charbon s’unissait à la chaux pour révivifier le plomb. Dans cette doctrine, les phénomènes étaient pris à contre-pied, et Lavoisier obtint sa première victoire en montrant qu’il se passait précisément le contraire de ce qu’on croyait. Le métal en se calcinant, au lieu de perdre une partie de lui-même, attire à lui et fixe un des éléments de l’air, et la révivification du métal a lieu précisément quand on élimine cet élément aériforme.

Pour mettre ces faits en évidence, il suffit à Lavoisier d’une balance exacte. Il pesa les corps froids et calcinés, et il vit clairement l’augmentation de poids qui résulte de la calcination. Supposer que les éléments de la matière conservent leur poids au milieu des modifications qu’ils peuvent subir était une vue ingénieuse ; y trouver le principe d’une méthode générale de recherche était un trait de génie. Les anciens chimistes s’étaient bien à l’occasion servis de la balance, mais ils l’avaient considérée comme un instrument secondaire et n’avaient pas su en tirer parti.

Robert Boyle avait reconnu que les métaux augmentent de poids par la calcination ; il avait attribué ce phénomène à la chaleur qu’ils absorbent. Stahl ne l’avait pas ignoré non plus ; mais il n’y vit qu’une circonstance indifférente qu’il ne prit même pas la peine d’expliquer. On ne s’attachait de son temps qu’à l’apparence extérieure des faits, et l’on ne considérait que le côté qualificatif des phénomènes. Il appartenait à Lavoisier de fonder une science nouvelle sur la considération des quantités.

Dès l’année 1772, il fit connaître à l’Académie que le soufre et le phosphore augmentent de poids en brûlant dans l’air, parce qu’ils absorbent une partie de cet air, et il établit que la réduction des chaux métalliques donne lieu à un dégagement de gaz. En 1774, il produisit un mémoire décisif sur la calcination de l’étain. Ayant maintenu longtemps de l’étain en fusion dans un vase clos, il montrait que l’accroissement de poids du métal était égal au poids de l’air qui rentrait dans le vaisseau lorsqu’on ouvrait celui-ci après le refroidissement. Dans cette même année 1774, Priestley découvrit le gaz oxygène, et Lavoisier reconnut tout de suite que c’était là l’élément de l’air qui entrait en combinaison avec les métaux. Déjà instruit des fonctions physiologiques de ce gaz, il l’appela d’abord air vital ou « air éminemment propre à entretenir la combustion et la respiration ».

C’est en 1778 seulement qu’il lui donna le nom d’oxygène, voulant marquer par là que ce gaz est l’origine de la qualité propre aux acides. De 1774 à 1778, en effet, il avait produit d’abord l’acide carbonique par la combustion du diamant, comme les anciens académiciens del Cimento, puis l’acide phosphorique et les acides sulfurique et nitrique.

Dans ces quelques années, le rôle de l’oxygène était devenu tout à fait prépondérant en chimie. Lavoisier avait tracé la théorie générale des acides, des oxydes, des sels. Un acide résulte de l’union d’un corps simple, ordinairement non métallique, avec l’oxygène ; un oxyde est une combinaison de métal et d’oxygène ; un sel enfin est formé par l’union d’un acide et d’un oxyde. Ainsi se formulait un système complet qui, dès l’année 1778, s’opposait aux idées de Stahl.

Celles-ci ne cédèrent pourtant le terrain que fort lentement, et Lavoisier rencontra pour adversaires plusieurs des savants mêmes qui lui apportaient le tribut de leurs découvertes. Priestley, par exemple, fut un de ces contradicteurs acharnés ; le chimiste qui avait découvert l’oxygène tint jusqu’au bout pour le phlogistique : pour lui, l’oxygène était de l’air déphlogistiqué. Priestley était un esprit ardent et inquiet ; théologien autant que physicien, il s’attira des persécutions par le zèle avec lequel il défendit l’unitarisme ; l’ardeur qu’il montra pour les principes de la Révolution française le fit nommer membre de notre Convention nationale, mais lui ferma les portes de sa patrie : il alla mourir en Amérique, près des sources du Susquehannah (1804), défendant jusqu’au dernier jour la doctrine de Stahl et repoussant les idées de Lavoisier. Quant à Cavendish, l’illustre inventeur de l’hydrogène, il publiait en 1784 une exposition détaillée de la théorie du phlogistique et la défendait par mille ingénieux arguments. Enfin Scheele, le grand chimiste suédois, mourut en 1786, sans avoir cessé de professer la doctrine du phlogistique ; il est vrai qu’il y avait apporté peu à peu divers tempéraments pour la mettre en harmonie avec les idées nouvelles.

Cependant le système de Lavoisier se répandait graduellement, et l’on y faisait rentrer un nombre de plus en plus considérable de corps. Les principes que le maître avait démontrés pour les combinaisons oxygénées s’appliquaient par extension aux corps dépourvus d’oxygène. Un sulfure résulte de la combinaison du soufre avec un métal, un phosphore renferme un métal uni au phosphore. Ces sulfures et ces phosphores, composés binaires, se combinent eux-mêmes deux à deux pour former des corps plus compliqués, des sulfosels ou des phosphosels. Ainsi toutes les combinaisons chimiques, celles qui contiennent de l’oxygène, aussi bien que celles qui en sont dépourvues, ont une constitution binaire : tel est le trait caractéristique du système. Les corps simples ou éléments s’unissent d’abord deux à deux, et les corps composés qui en résultent se combinent eux-mêmes suivant la même règle. C’est un dualisme universel.

Un langage chimique admirablement imaginé vint bientôt se mettre au service de cette théorie.

Il y avait alors à Dijon un avocat général, Guyton de Morveau, qui consacrait à l’étude de la chimie les loisirs que lui laissait sa profession de magistrat ; il avait fait établir des cours de science par les États de Bourgogne, et il y professait lui-même la chimie et la minéralogie ; il fut depuis un des principaux fondateurs et l’un des premiers professeurs de l’École polytechnique. Guyton de Morveau avait été frappé, dans les cours qu’il faisait à Dijon, des inconvénients que présentait le langage employé par les chimistes ; c’était un amas de mots bizarres inventés par les anciens alchimistes, un assemblage incohérent de qualifications qui n’apprenaient rien sur la nature des corps. Il s’ingénia pour créer de toutes pièces une nomenclature nouvelle, pour donner à chaque corps un nom rationnel qui en marquât la composition.

Dès l’année 1782 il présenta ainsi un système complet ; mais il fallut y faire de profonds changements, car Guyton n’avait pas accepté pleinement, dès le début, les idées de Lavoisier. Les chefs de la nouvelle école adoptèrent du moins le principe de la réforme proposée, et enfin, en 1787, les efforts combinés de Guyton, de Lavoisier, de Berthollet, de Fourcroy, aboutirent à la création de cette nomenclature chimique qui règne encore dans notre enseignement classique.

La série des combinaisons oxygénées occupait le premier rang dans la nomenclature comme dans les idées de Lavoisier ; elle avait servi de modèle pour les autres. Les composés les plus simples de l’oxygène sont les acides et les oxydes ; deux mots servent à les exprimer, le premier indiquant le genre de la combinaison, le second (ordinairement un adjectif) désignant le métal ou le métalloïde qui est uni à l’oxygène. Ainsi on dit : acide sulfurique, oxyde de plomb ou oxyde plombique. Pour exprimer les divers degrés d’oxydation d’un seul et même corps, la nomenclature recourt à des artifices ingénieux ; elle emploie des préfixes tirés du grec ou du latin, ou bien elle modifie la terminaison de l’adjectif. C’est ainsi qu’elle dit : protoxyde et bioxyde de plomb ; — protoxyde et peroxyde de manganèse ; — acides hyposulfureux, sulfureux, sulfurique. Deux mots servent de même à désigner les sels : le premier marque le genre, déterminé par l’acide ; l’autre l’espèce, déterminée par la base métallique. C’est ainsi que : sulfate de plomb, veut dire combinaison d’acide sulfurique et d’oxyde de plomb. Ces règles, établies d’abord en vue des corps oxygénés, furent appliquées par analogie aux composés que le soufre et le phosphore forment avec les métaux, et on les étendit avec plus ou moins de facilité à tous les corps inorganiques.

Mais ce n’est point ici le lieu d’entrer dans les détails de la nomenclature chimique ; il nous suffit d’en avoir rappelé le principe. Ce principe ne fut pas d’abord admis sans résistance. Saisie du travail des quatre réformateurs, l’Académie ne le reçut qu’avec beaucoup de réserve. « Le tableau des corps qu’on nous présente, disait le rapport académique, est l’ouvrage de quatre hommes justement célèbres dans les sciences… ; ils ne l’ont formé qu’après avoir bien comparé sans doute les bases de la théorie ancienne avec les bases de la théorie nouvelle. Ils fondent celle-ci sur des expériences belles et imposantes ; mais quelle théorie réunit jamais les savants par un concert de plus belles expériences, par une masse de faits plus brillants que la doctrine du phlogistique ? Ce n’est pas en un jour qu’on réforme, qu’on anéantit presque une langue déjà entendue, déjà familière même, dans toute l’Europe, et qu’on lui en substitue une nouvelle d’après des étymologies, ou étrangères à son génie, ou prises souvent dans une langue ancienne déjà, presque ignorée des savants, et dans laquelle il ne peut y avoir ni trace ni notion quelconque des choses ni des idées qu’on doit lui faire signifier. »

Malgré la froideur de l’Académie, on sait quels services a rendus la nomenclature, et quelle clarté elle a introduite dans histoire de la chimie. Et d’abord elle contribua puissamment au triomphe des idées de Lavoisier : dès l’année 1790, celles-ci avaient acquis une autorité à peu près incontestée ; quatre ans plus tard, au moment où il tombait sous la hache de la terreur, Lavoisier pouvait se dire que son œuvre était faite, et que la chimie moderne était fondée.