Les Tableaux vivants/04

La bibliothèque libre.
Les Tableaux vivants (1870)
Éditions Blanche (p. 33-38).

IV

L’ADULTÈRE EN ROBE DE MARIÉE

Ce fut au milieu d’un bal donné par M. de Saint-Chérin, son père, après une valse enivrante, aux accords mourants de l’orchestre, que Suzanne m’entraîna hors des salons dans un boudoir et de là dans sa chambre, dont elle ferma la porte au verrou. Se jetant alors à mon cou, elle colla brusquement sa bouche à la mienne.

— On veut me marier à ce marquis de Berg-op-Zoom que je déteste, et c’est toi que j’aime !

— Ce magot là n’aura pas du moins ton premier baiser.

— Non ! il ne l’aura pas. Ah ! Richard, que n’êtes-vous millionnaire ?

— Si je suis pauvre, c’est une raison de plus pour me donner encore un peu du bien de ce Berg-op-Zoom. Encore un baiser.

— Deux baisers.

— Vous m’aimez ?

— Je vous aime.

— Et si je vous demandais d’être à moi… à moi tout entière avant que d’être à lui.

— Ah !… que faites-vous Richard ?

D’une main j’écartais son corsage, de l’autre je soulevais les plis de gaze dont elle était enveloppée. Ce beau corps était tout moite de la chaleur du bal. Une odeur d’essence de violette mêlée à je ne sais quel parfum subtil et fauve s’éleva dans la chambre. Une goutte de sueur roulait comme une rosée tiède entre les deux seins de la jeune fille, une autre perlait sur sa cuisse. Mes doigts se noyèrent dans une motte épaisse, une véritable fourrure… Je la branlai.

Quand je songe à présent combien elle était belle avec son énorme chevelure noire tordue à la diable, avec ses yeux également noirs, brûlants et doux, ses traits hardis, sa bouche un peu épaisse, d’un rouge éclatant, je crois être encore au commencement de mon rêve. Suzanne avait au-dessus de la lèvre une moustache, une vraie moustache de jeune garçon. En vérité, elle était presque aussi velue qu’un homme. Mais elle avait une main de duchesse et un pied de fée.

Je m’agenouillai devant elle, me glissant sous ses jupes légères, qui retombèrent sur moi et m’ensevelirent sous leurs plis. Ma bouche rencontra un clitoris plus gros et plus long que ne l’ont la plupart des femmes. Je me mis à le sucer avec une avidité presque furieuse.

Je pense toujours avec indignation qu’il y a des malheureux Béotiens qui n’ont jamais fait ce genre de caresses à leur maîtresse et qui se flattent de la connaître.

Il n’y a que le baiser pour pénétrer dans l’intimité d’une femme et lui aller jusqu’au cœur. Le membre est aveugle, les lèvres et la langue sont autrement subtiles et sûres…

Il y a des cons (pourquoi reculer devant les mots ?) qui sentent le fauve ; il y en a qui ont la saveur de la framboise.

Suzanne se tenait la tête renversée sur mon épaule ; elle jouissait… Excusez-moi si je vous dis que je mis alors mon glaive à l’air et qu’elle l’empoigna de ses deux mains.

— Apprends-moi comment il faut faire, dit-elle.

Sa robe de tulle rose en fut tout inondée.

Cependant le bal était près de sa fin. Il fallait que Suzanne retournât au salon. J’essuyai sa robe. Pour elle, me montrant une armoire, elle me dit :

— Cache-toi là jusqu’à ce que je revienne.

J’obéis. Cette armoire où j’entrai respirait une odeur enivrante. Là étaient suspendues les toilettes que Suzanne avait portées. Je me mis dans ma cachette à réfléchir à mon double bonheur. Je n’épousais point Suzanne et j’allais l’avoir toute à moi ! Je n’attendis pas longtemps son retour… Suzanne rentra, suivie de sa femme de chambre. Je me renfonçai dans ma cachette entre une jupe de soie bleue et une mante de dentelle, ramenant les plis de la jupe sur mon visage et ménageant seulement un passage à l’un de mes yeux.

— Dépêchons ! dit Suzanne en entrant… Vite Julie, j’ai grande envie de dormir ce soir.

Elle dégrafa son corsage elle-même. Sa robe tomba.

— Mademoiselle, dit Julie, ne se fera donc point de coiffure de nuit ?

— Non ; ôtez-moi seulement ces fleurs.

La jupe de dessous suivit la robe.

— Que mademoiselle est pressée !… Mademoiselle s’est-elle amusée ce soir ?

— Oui, oui… Ne bavardez pas, Julie.

— Mademoiselle veut-elle le bidet ?

Suzanne regarda vers l’armoire et sourit, hésita, sourit encore et se mit à cheval sur le bidet.

La camériste vint derrière elle et lui enleva sa chemise pour lui passer le peignoir de nuit. Suzanne se releva prestement, nue comme la mère Ève.

— Une serviette, Julie ! Une serviette ! criait-elle.

Julie lui présenta cette serviette. Suzanne la prit, congédia la fille, en disant qu’elle se mettrait toute seule au lit, et ferma la porte au verrou.

Alors je sortis de l’armoire. Je couvris de millions de baisers cette chair brûlante et dorée. Tout était nouveau pour moi dans ces pays inconnus… Non ! Je n’oublierai jamais une mèche noire et soyeuse qui s’échappait du vallon ouvert entre ces admirables fesses… Cette chère fille était si bien disposée par la nature à l’amour et au plaisir, qu’elle ne s’étonna point quand je glissai ma langue par ce friand sentier…

— Tu baises aussi cela ! me dit-elle.

Une nuit la rendit experte en tout et savante. Ah ! le bon billet qu’avait Berg-op-Zoom !…

Huit jours après, ils se marièrent. Le matin, avant la cérémonie, Suzanne m’avait écrit : « Viens ! Julie cette fois est avertie. Elle t’introduira par le jardin. Je veux que tu me baises dans ma robe de mariée ! »

J’arrivai. La camériste m’attendait.

— Julie, ma fille, lui dis-je, vous pouvez faire votre fortune comme je ferai le premier enfant du marquis de Berg-op-Zoom, votre nouveau maître. Prenez, et soyez muette !

Julie prit ma bourse et me fit de grands serments.

Cependant les voitures de la noce roulaient au pied de la maison. Suzanne ne fit qu’un saut de son carrosse tout neuf à sa chambre. Le matin même, elle avait fait ajouter à la porte un verrou de plus.

Nous ne prîmes point le temps d’aller jusqu’au lit. La première chaise nous reçut tous deux. Je fis le cheval, Suzanne fut l’écuyère. C’est peut-être la posture la plus favorable au prolongement du plaisir.

Au pillage la robe de mariée ! Je troussai ma cavalière, froissant tout ensemble les jupes immaculées et le voile mystique. Suzanne portait sur le front la fleur symbolique des vierges. Jamais fleur d’oranger ne reçut pareille injure. Tout à coup la voix de Berg-op-Zoom retentit dans la maison :

— Suzanne, ma chère Suzanne !

— Ne va pas croire que je ferai jamais à ce magot les mêmes caresses qu’à toi ! me disait Suzanne. Elle me suçait en même temps la bouche. L’adorable fille, ma glorieuse élève, n’avait jamais mis tant d’art dans l’acte sacré. Elle se soulevait et se laissait alternativement retomber sur moi. Mon membre pénétrait dans son sein jusqu’à la garde, puis sortait, rentrait encore.

Bientôt sentant que le plaisir allait nous gagner malgré nous, elle demeura immobile, étroitement serrée contre, enconnée jusqu’à l’âme. Je glissai un doigt entre ses deux fesses brunes et satinées d’où s’échappait ce bouquet de soie noire qui était un de ses charmes le plus piquants. J’enfonçai ce doigt avec emportement ; j’aurai voulu toucher ses entrailles !

Nos bouches demeuraient collées, nos langues confondues…

À ce moment Berg-op-Zoom s’avisa de frapper à la porte.

— Suzanne, ouvrez-moi, ma chère Suzanne.

Elle avait sans doute un peu perdu la tête, car elle répondit tout haut :

— On ne peut plus entrer nulle part !

Le fait est que partout elle était remplie. Je ne pus m’empêcher de rire, et le mouvement que ce rire étouffé imprima à tout mon corps acheva notre volupté.

Berg-op-Zoom s’en allait grognant à travers les couloirs. Le pauvre homme ! La besogne était faite !

Il eut son premier enfant au bout de neuf mois moins une semaine, juste deux cent soixante jours après le bal dont j’ai décrit l’heureuse fin.