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Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 27

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Chappitre XXVIIe
De la suer saint Bernart


Un autre vous vueil dire après de ceste matière. Il advint que saint Bernart, qui fut moult saint homme et noble et de hault lignaige, laissa toutes ses possessions et grans noblesses pour servir Dieu en abbaye ; et pour sa sainte vie il fut esleu en abbé. Si vestoit la haire et faisoit grans abstinences et estoit grant aumosnier aux povres. Si avoit une suer moult grant dame, qui le vint veoir à grant foyson de gens et moult noblement adournée de riches robes et d’atour de perles et de precieuses pierres, et vint en cest estat devant son frère qui preudomme estoit, et quant le saint homme vit en cest grant arroy sa suer, sy se seigna et luy tourna le dos, et la dame eut grant honte et lui envoya sçavoir pourquoy il ne daignoyt parler à elle, et il lui manda que elle lui avoit fait grand pitié de l’avoir veue en tel ourgueil et desguisement et ainsi deffaite. Et lors elle osta ses riches robes et riches atours et se arroya moult simplement, et il lui dist : « Belle suer, se je aime vostre corps, je doy par raison plus amer vostre ame ; ne cuidiez vous pas qu’il ne desplaise à Dieu et à ses angelz de veoir tel bobant et tel orgueil mettre à parer une telle charoingne, qui, après VII jours que l’ame en sera hors, purra que créature ne le pourra sentir ne veoir sans grant horreur et abbominacion. Belle suer, que ne pensez-vous une fois de journée comment les povres meurent de froit et de faing là hors, que du Xe de vostre cointerie et de voz noblesces feussent plus de XL personnes ressaisiz et revestus contre le froit ? » Lors lui dist le saint preudomme tant de bien et lui desclaira sy la folie du monde et les bonbans, et aussi le sauvement de l’ame, que la bonne dame ploura et depuis fist vendre le plus de ses robes et de ses riches atours, et l’argent donna pour Dieu, et prist simples vestemens et humbles atours, et mena sy sainte vie que elle eut la grace de Dieu et du monde, c’est-à-dire des saiges et des preudes gens, qui vault mieux que celles des folz. Et pour ce, belles filles, a cy bon exemple comment l’en ne doit pas tant avoir le cuer au monde, ne mettre en ses cointises pour plaire aux folz et au monde, que l’en ne departe à Dieu, qui tout donne et dont l’en puet acquerre son sauvement ; car il vault mieulx moins avoir de riches robes et d’atours que les povres gens n’en ayent leur part ; car qui met tout pour avoir la plaisance du monde, je suis certain que c’est folie et temptaion d’ennemy, et se doit l’en mieulx parer pour honneur et amour de Dieu, c’est aux dimanches et aux festes, en reverance et louange de luy et de ses sains, que pour la folle plaisance du monde, qui n’est que umbre et vent au regart de lui qui tout puet et tout donne, et tous diz durera sa gloire.