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Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 50

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Chappitre Le
Du chevalier qui eut III femmes


Belles filles, je vouldroye que vous sceussiez et eussiez bien retenu l’exemple d’un chevalier qui ot troys femmes. II fut un chevalier moult preudomme et de bonne vie qui avoit un oncle hermite, saint homme et de religieuse vie. Ce chevalier eut sa première femme qu’il ama à merveilles. Si va advenir que la mort, qui tout prent, la print, dont le chevalier fut si dolent que a peu qu’il n’en mourut de dueil et de couroux. Si ne savoit son confort prendre fors que aler soy complaindre à l’ermite son oncle, que il savoit saint homme. Si vint a lui plourant et doulousant et regrettant sa femme, et le saint hermite le confortoit le plus bel qu’il povoyt, et au fort le chevalier le pria à jointes mains que il voulsist Dieu prier que il sceust se elle estoit perdue ou sauvée. Le saint homme eut pitié de son neveu et ala en la chappelle et adoura Dieu, et requist que il lui pleust lui demonstrer où elle estoit, et quant il eut esté grant pièce en oroison, il s’endormi et lui fut advis qu’il veoit la povre ame devant monseigneur saint Michiel et l’ennemy de l’autre part, et estoit en une balance et son bien fait avec elle et d’autre partie l’ennemy avec les maulx qu’elle avoit faits, et, entre les autres choses, la chose qui plus pesoit et qui plus la grevoit, c’estoient ses robes qui moult estoient fines et fourrées de vair et de gris et letticées de hermines. Si se escrioit l’ennemi et disoit : « Ha, saint Michiel, sire, ceste femme avoit dix paires de robes, que longues, que courtes, que costes hardies, et vous savez bien qu’elle en eust assez de la moitié moins, c’est d’une robe longue et de deux courtes et de deux cottes hardies, pour bien se y passer selon une simple dame, et encore elle s’en deust bien passer à moins selon Dieu ; elle en a trop de plus de moitié et de la valeur d’une de ses robes I povres gens en eussent I bonnes cottes de burel, qui ont souffert tel froit et tel mesaise en cest yver environ elle, ne oncques pitié n’en eust, et du forfait de ses robes ces povres en fuissent revestuz et garentiz de froit ». Sy apportoit l’ennemi les robes qui par forfait estoient, et les mist en la balance, et les anneaulx et petits joyaux qu’elle avoit receuz des compagnons par amourettes, et grant foyson de nuies et de mauvaises parolles que elle avoit dictes en diffamant autruy par envie et toulir leur bonne renommée ; car moult avoit esté envieuse et mesdisant ; ne elle n’avoit riens fait que tout ne feust illecques rapporté, et toutes ses robes et celles chosetes furent pesez en la balance, tant que ses maulx passèrent son bien fait et l’emporta l’ennemy, et lui vesty ses robes toutes ardantes et plainnes de feu et de flambe, et la povre ame plouroit et se doulousoit moult piteusement. Et puis l’ermite s’esveilla et racompta ce fait au chevalier son neveu, et commanda que toutes ses robes feussent données pour Dieu et toutes departies aux povres.