Lotus de la bonne loi/Chapitre 14

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Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 180-191).
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CHAPITRE XIV.

APPARITION DES BÔDHISATTVAS.

Ensuite des Bôdhisattvas Mahâsattvas, en nombre égal à celui des sables de huit Ganges, faisant partie de ces Bôdhisattvas f. 159 a.qui étaient venus des autres univers, se levèrent en cet instant du milieu de l’assemblée. Réunissant leurs mains en signe de respect, regardant en face Bhagavat, ils lui parlèrent ainsi après l’avoir adoré : Si Bhagavat nous y autorise, nous aussi puissions-nous expliquer cette exposition de la loi dans l’univers Saha, lorsque le Tathâgata sera entré dans le Nirvâṇa complet ! Puissions-nous la prêcher, l’adorer, l’écrire ! Puissions-nous consacrer nos efforts à cette exposition de la loi ! Que Bhagavat veuille bien nous accorder, à nous aussi, cette exposition de la loi ! Alors Bhagavat dit à ces Bôdhisattvas : À quoi bon, ô fils de famille, vous charger de ce devoir ? J’ai ici, dans cet univers Saha, des milliers de Bôdhisattvas en nombre égal à celui des sables de soixante Ganges, qui servent de cortège à un seul Bôdhisattva. Or il y a des milliers de Bôdhisattvas de cette dernière espèce, en nombre égal à celui des sables de soixante Ganges, ayant chacun pour cortège une suite aussi nombreuse de Bôdhisattvas qui, lorsque je serai entré dans le Nirvâṇa complet, à la fin des temps, dans la dernière période, posséderont cette exposition de la loi, qui la prêcheront, f. 159 b.qui l’expliqueront.

À peine cette parole fut-elle prononcée par Bhagavat, que l’univers Saha se fendit de tous côtés, se couvrit de fentes, et que du milieu de ces fentes apparurent plusieurs centaines de mille de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas, ayant le corps de couleur d’or, doués des trente-deux signes qui caractérisent un grand homme, lesquels se trouvant sous cette grande terre(159 b), au point de l’espace qui est situé dessous, s’étaient rendus dans l’univers Saha ; en effet, aussitôt qu’ils avaient entendu la parole que venait de prononcer Bhagavat, ils étaient sortis du sein de la terre. Chacun de ces Bôdhisattvas avait une suite de milliers de Bôdhisattvas, en nombre égal à celui des sables de soixante Ganges, qui formaient derrière lui une troupe, une grande troupe, une troupe dont il était le précepteur. Ces Bôdhisattvas Mahâsattvas, suivis ainsi de ces troupes, de ces grandes troupes, de ces troupes dont ils étaient les précepteurs, et dont on voyait des centaines de mille de myriades de kôṭis, en nombre égal à celui des sables de soixante Ganges, étaient sortis tous ensemble des fentes de la terre, pour paraître dans cet univers Saha. À plus forte raison s’y trouvait-il des Bôdhisattvas Mahâsattvas, ayant un cortège de Bôdhisattvas en nombre égal à celui des sables de cinquante, de quarante, de trente, de vingtf. 160 a., de dix, de cinq, de quatre, de trois, de deux Ganges, d’un Gange, d’une moitié, d’un quart, d’un sixième, d’un dixième, d’un vingtième, d’un cinquantième, d’un centième, d’un millième, d’un cent millième, d’un dix-millionième, d’un cent-dix-millionième, d’un mille-dix-millionième, d’un cent-mille-dix-millionième, d’une myriade de cent-mille dix-millionièmes de Gange. À plus forte raison s’y trouvait-il des Bôdhisattvas Mahâsattvas, ayant un cortége f. 160 b.de plusieurs centaines de mille de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas, d’un kôṭi, de cent mille kôṭis, de cent mille myriades de kôṭis, de cinq cent mille, de cinq mille, de mille, de cinq cents, de quatre cents, de trois cents, de deux cents, de cent, de cinquante, de quarante, de trente, de vingt, de dix, de cinq, de quatre, de trois, de deux Bôdhisattvas, d’un Bôdhisattva. À plus forte raison s’y trouvait-il un nombre immense de Bôdhisattvas Mahâsattvas qui étaient seuls. En un mot, les nombres, le calcul, les comparaisons, les similitudes ne peuvent donner une idée de ces Bôdhisattvas Mahâsattvas, f. 161 a.qui sortirent tous ensemble des fentes de la terre, pour paraître dans l’univers Saha. Dès qu’ils en furent sortis, ils se rendirent au lieu où se trouvait ce grand Stûpa, fait de substances précieuses, suspendu dans le ciel, au milieu des airs, où le Bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna, parvenu au Nirvâṇa complet, était assis sur un trône avec Çâkyamuni. Quand ils s’y furent rendus, ces Bôdhisattvas, après avoir salué les pieds de ces deux Tathâgatas, en les touchant de leur tête, après avoir salué et vénéré toutes ces formes de Tathâgata, créées miraculeusement de son corps par le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, qui, réunies de tous les côtés dans les dix points de l’espace, chacune dans son univers, étaient assises sur des trônes auprès d’arbres formés de diverses substances précieuses, après avoir fait plusieurs fois cent mille tours, en laissant à leur droite ces Tathâgatas, vénérables, etc., après les avoir célébrés dans divers hymnes faits par des Bôdhisattvas, ces Bôdhisattvas, dis-je, se tinrent debout à l’écart, et réunissant leurs mains en signe de respect, ils adorèrent le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., et le bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna.

Or, en ce temps-là, cinquante moyens Kalpas s’écoulèrent pendant que les Bôdhisattvas Mahâsattvas, f. 161 b.qui étaient sortis des fentes de la terre, saluaient les Tathâgatas, et les célébraient dans divers hymnes faits par des Bôdhisattvas. Et pendant ces cinquante moyens Kalpas, le bienheureux Çâkyamuni garda le silence, ainsi que les quatre assemblées. Ensuite Bhagavat produisit un effet de sa puissance surnaturelle, tel que, par la force de cette puissance, les quatre assemblées crurent, l’après-midi, que lui seul était présent, et qu’elles virent l’univers Saha embrassant dans l’espace l’étendue de cent mille univers, et rempli de Bôdhisattvas. Les quatre Bôdhisattvas Mahâsattvas qui étaient les chefs de cette grande troupe et de cette grande masse de Bôdhisattvas, savoir : les Bôdhisattvas Mahâsattvas nommés Viçichtatchâritra, Anantatchâritra, Viçuddhatchâritra et Supratichthitatchâritra, se trouvaient à la tête de cette grande foule et de cette grande masse de Bôdhisattvas. Alors ces quatre f. 162 a.Bôdhisattvas Mahâsattvas s’étant placés en avant de cette grande troupe et de cette grande masse de Bôdhisattvas, réunissant les mains en signe de respect, debout devant Bhagavat, lui parlèrent ainsi : Bhagavat n’a-t-il que peu de peine(162 a), peu de maladies ? Vit-il au milieu de contacts agréables ? Sans doute, les créatures qui te sont soumises, douées de formes agréables, d’une intelligence parfaite, faciles à discipliner, faciles à purifier, ne causent pas de douleur à Bhagavat ?

Ensuite les quatre Bôdhisattvas Mahâsattvas adressèrent à Bhagavat les deux stances suivantes :

1. Est-il heureux le Chef du monde, celui qui répand la lumière ? Es-tu, ô toi qui es sans péché, libre d’obstacles dans les contacts que tu rencontres ?

2. Puissent les créatures qui te sont soumises, douées de formes agréables, faciles à discipliner, faciles à purifier, ne pas causer de douleur au Chef du monde pendant qu’il parle !

Ensuite Bhagavat s’adressa ainsi aux quatre Bôdhisattvas, qui étaient placés en tête de cette grande troupe et de cette grande foule de Bôdhisattvas : Il est ainsi, ô fils de famille, je me trouve au milieu de contacts agréables, je rencontre peu de peine, et je n’ai que peu de maladies. Ces créatures qui me sont soumises, sont douées de formes agréables, d’une intelligence parfaite ; elles sont faciles à discipliner, faciles à purifier, et elles ne me causent pas de douleur, quand je m’occupe à les purifier. Pourquoi cela ? C’est que, ô fils de famille, ces créatures qui me sont soumises, ont été jadis purifiées par moi-même, sous d’anciens Buddhas parfaitement accomplis ; aussi, ô fils de famille, f. 162 b.elles n’ont qu’à me voir et qu’à m’entendre pour m’accorder leur confiance, pour comprendre, pour approfondir la science de Buddha. Et ceux qui ont complètement rempli les devoirs qui leur étaient imposés, soit sur le terrain des Auditeurs, soit sur celui des Bôdhisattvas, sont ici perfectionnés par moi dans la connaissance des lois de Buddha, et je leur fais atteindre la vérité suprême. Alors ces Bôdhisattvas Mahâsattvas prononcèrent en ce moment les stances suivantes :

3. Bien, bien, ô grand héros, nous sommes satisfaits de ce que ces créatures sont douées de formes agréables, de ce qu’elles sont faciles à discipliner et à purifier ;

4. Et de ce qu’elles écoutent, ô Guide [des hommes], cette science profonde que tu leur enseignes, et de ce que, après l’avoir écoutée, elles y ont confiance et la comprennent.

Cela dit, Bhagavat exprima son assentiment aux quatre Bôdhisattvas Mahâsattvas qui se trouvaient à la tête de cette grande troupe et de cette grande foule de Bôdhisattvas, en disant : Bien, bien, ô fils de famille, vous avez raison de féliciter aujourd’hui Bhagavat.

Or, en ce moment même, cette réflexion vint à l’esprit du Bôdhisattva Mahâsattva Mâitrêya, et des centaines de mille de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas, en nombre égal à celui des sables de huit Ganges : Nous n’avons pas vu auparavant une aussi grande troupe, une aussi grande foule de Bôdhisattvas. Nous n’avons pas entendu dire auparavant qu’une pareille foule, après être sortie des fentes de la terre, se tenant debout en présence de Bhagavat, ait honoré, respecté, f. 163 a. vénéré, adoré Bhagavat, et ait causé à Bhagavat de la satisfaction. D’où viennent donc ces Bôdhisattvas Mahâsattvas réunis ici ? Alors le Bôdhisattva Mahâsattva Mâitrêya reconnaissant par même les doutes et les questions qui se produisaient dans son esprit, et comprenant les incertitudes auxquelles étaient livrées ces centaines de mille de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas, en nombre égal à celui des sables de huit Ganges, réunissant en ce moment les mains en signe de respect, demanda la cause de ces faits à Bhagavat, en chantant les stances suivantes :

5. Voici plusieurs milliers de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas infinis, tels que nous n’en avons pas vu auparavant ; dis-nous, ô toi qui es le meilleur des hommes,

6. D’où et comment viennent ces personnages doués d’une grande puissance surnaturelle, et d’où ils sont arrivés ici avec les grandes formes de leur corps.

7. Tous sont pleins de fermeté ; tous sont des grands Richis doués de mémoire ; leur extérieur est agréable ; d’où donc viennent-ils ici ?

8. Chacun de ces sages Bôdhisattvas, ô roi du monde, a une immense suite, une suite aussi nombreuse que les sables du Gange.

9. La suite de chacun de ces glorieux Bôdhisattvas est égale au nombre des grains de sable contenus dans soixante Ganges complets ; tous sont arrivés à l’étal de Buddha.

10. Oui, le nombre de grains de sable contenus dans soixante Ganges, exprime le nombre de ces héros, f. 163 b.de ces Protecteurs, suivis chacun de leur assemblée.

11. Bien plus nombreux encore sont les autres sages qui, accompagnés de leur innombrable suite, sont comme les Sables de cinquante, de quarante ou de trente Ganges,

12. Comme les sables de vingt Ganges, avec leur suite entière ; et bien plus nombreux encore sont ces fils de Buddha, ces protecteurs,

13. Qui ont chacun une suite égale aux grains de sable contenus dans dix, dans cinq Ganges ; d’où vient donc, ô Guide [des hommes], cette assemblée qui se trouve réunie aujourd’hui ?

14. D’autres ont chacun une suite de Maîtres(163 b), unis ensemble par les liens de la confraternité, suite égale aux sables contenus dans quatre, dans trois, dans deux Ganges.

15. Il y en a d’autres bien plus nombreux, encore, et dont aucun calcul ne pourrait atteindre le terme, dut-il durer des milliers de kôṭis de Kalpas.

16. Il y a d’autres suites de ces héros, de ces Bôdhisattvas protecteurs qui égalent les sables contenus dans un demi-Gange, dans un tiers de Gange, dans un dixième, dans un vingtième de Gange.

17. On en voit de plus nombreux encore, et dont il n’existe pas de calcul ; il serait impossible d’en faire le compte, dût-on y employer des centaines de kôṭis de Kalpas.

18. Il en existe de bien plus nombreux encore, avec leurs cortéges sans fin ; ils ont à leur suite dix millions, dix millions et encore dix millions, et aussi cinq millions de personnages.

19. On voit un bien plus grand nombre encore de ces grands Rĭchis, un nombre dépassant tout calcul ; ces Bôdhisattvas, doués d’une grande sagesse, se tiennent tous debout dans l’attitude du respect.

20. Leur cortége est de mille, de cent, de cinquante personnes ; ces Bôdhisattvas ne sauraient être comptés, dût-on y passer des centaines de kôṭis de Kalpas.

21. Le cortége de quelques-uns de ces héros est de vingt, de dix, de cinq, de quatre, de trois, de deux personnes, et ces héros dépassent tout calcul.f. 164 a.

22. Ceux, enfin, qui marchent seuls, ceux qui, seuls, trouvent la quiétude, et que je vois tous rassemblés ici aujourd’hui, sont au-dessus de tout calcul.

23. Quand même un homme passerait à les énumérer des Kalpas en nombre égal à celui des sables du Gange, en tenant à la main une baguette [à compter], il n’en pourrait atteindre le terme.

24. Quelle est l’origine de ces héros, de ces Bôdhisattvas, tous magnanimes, protecteurs et pleins d’énergie ?

25. Par qui la loi leur a-t-elle été enseignée ? Par qui ont-ils été établis dans la science de Buddha ? Quel est celui dont ils accueillent la loi ? De qui possèdent-ils l’enseignement ?

26. Ces sages, doués d’une grande prudence et de facultés surnaturelles, sont sortis de la terre, après l’avoir ouverte entièrement et dans la direction des quatre côtés de l’horizon.

27. Ce monde tout entier, ô Solitaire, est crevassé de tous côtés, par la sortie de ces intrépides Bôdhisattvas.

28. Non, jamais nous n’avons vu auparavant de tels personnages ; dis-nous, ô Guide des mondes, le nom de cette terre.

29. Nous nous sommes trouvés, à plusieurs reprises, dans les dix points de l’espace, et jamais nous n’y avons vu ces Bôdhisattvas.

30. Nous ne t’avons jamais vu un seul fils ; ceux-ci viennent de nous apparaître subitement : expose-nous leur histoire, ô Solitaire.

31. Des centaines, des milliers, des myriades de Bôdhisattvas, tous pleins de curiosité, regardent le Meilleur des hommes.f. 164 b.

32. Ô grand héros, être incomparable, toi qui es affranchi de l’accumulation

[des éléments constitutifs de l’existence], explique-nous d’où viennent ces héros, ces Bôdhisattva intrépides.

Dans ce moment, les Tathâgatas, vénérables, etc. qui, miraculeusement créés par le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, étaient arrivés de cent mille myriades de kôṭis d’autres univers ; qui, dans ces univers, enseignaient la loi aux créatures ; qui, en présence du bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., étaient venus de tous côtés, des dix points de l’espace, s’asseoir, les jambes croisées, sur des trônes de diamant, auprès d’arbres faits de substances précieuses ; puis ceux qui faisaient cortége à chacun de ces Tathâgatas, tous, à la vue de cette grande troupe et de cette grande foule de Bôdhisattvas, sortant de tous côtés des fentes de la terre, et se tenant suspendus dans l’élément de l’éther, furent frappés d’étonnement et de surprise, et parlèrent ainsi chacun à son Tathâgata. D’où viennent, ô Bienheureux, ces Bôdhisattvas Mahâsattvas, en nombre immense, incommensurable ? Ainsi interrogés, ces Tathâgatas, vénérables, etc., répondirent ainsi chacun à ceux qui les suivaient : Approchez un instant, ô fils de famille ; le Bôdhisattva Mahâsattva Mâitrêya, qui vient d’apprendre de la bouche du bienheureux Çâkyamuni f. 165 a.qu’il doit parvenir après lui à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, a demandé au bienheureux Tathâgata Çâkyamuni , vénérable, etc., la cause de ce qui vous frappe. Le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni, vénérable, etc., va la lui expliquer. Vous pouvez donc entendre aussi.

Ensuite Bhagavat s’adressa ainsi à Mâitrêya : Bien, bien, ô toi qui es invincible ! C’est une noble circonstance, ô toi qui es invincible, que celle sur laquelle tu m’interroges. Puis Bhagavat s’adressa ainsi à la foule tout entière des Bôdhisattvas : Soyez tous recueillis, ô fils de famille ; soyez tous parfaitement immobiles et fermes dans votre position. Le Tathâgata, vénérable, etc., ô fils de famille, explique maintenant à la foule toute entière des Bôdhisattvas la vue de la science du Tathâgata ; il explique la prééminence, les œuvres, les voluptés, la puissance, l’héroïsme du Tathâgata. Ensuite Bhagavat prononça dans cette occasion les stances suivantes :

33. Soyez recueillis, ô fils de famille, je vais parler, et toutes mes paroles seront véridiques ; défendez-vous ici du découragement, ô sages : la science des Tathâgatas est inconcevable.

34. Soyez tous pleins de fermeté et de mémoire ; restez tous dans un parfait recueillement ; il vous faut aujourd’hui entendre une loi dont vous n’avez pas ouï parler auparavant, une loi qui fait l’étonnement des Tathâgatas.

f. 165 b.35. Qu’aucun de vous ne conçoive de doute ; car c’est moi-même qui vous donne la plus ferme assurance ; je suis le Guide [des hommes] qui ne parle pas contre la vérité, et ma science est incalculable.

36. Le Sugata connaît les lois profondes, supérieures au raisonnement et dont il n’existe pas de mesure ; ce sont ces lois que je vais vous exposer ; écoutez quelles elles sont et comment elles sont.

Ensuite Bhagavat, après avoir prononcé ces stances, s’adressa ainsi en ce moment au Bôdhisattva Mahâsattva Mâitrêya. Je vais te parler, ô toi qui es invincible, je vais t’instruire. Oui, ces Bôdhisattvas Mahâsattvas, ô toi qui es invincible, en nombre immense, incommensurable, inconcevable, incomparable, incalculable, qui n’ont pas été vus par vous auparavant, qui sont sortis des fentes de la terre pour paraître ici, tous ces Bôdhisattvas Mahâsattvas, dis-je, ô toi qui es invincible, après que, dans cet univers, j’ai eu atteint à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, ont reçu de moi cet état ; ils y ont été perfectionnés ; ils en ont reçu de la joie ; ils y ont été transformés. Ces fils de famille ont été par moi mûris, établis, introduits, confirmés, instruits, perfectionnés dans cet état de Bôdhisattva. Ces Bôdhisattvas Mahâsattvas, ô toi qui es invincible, habitent, dans cet univers Saha, l’enceinte de l’élément de l’éther, située au-dessous de nous. Occupés à comprendre f. 166 a.à fond avec leur intelligence, l’objet de leur lecture et les préceptes qu’ils reçoivent, ces fils de famille n’aiment pas les lieux où se presse la foule ; ils aiment ceux où on n’en rencontre pas ; ils ne se débarrassent pas de leur fardeau ; ils déploient leur énergie. Ces fils de famille, ô toi qui es invincible, se plaisent dans la distinction ; ils sont passionnés pour la distinction. Ces fils de famille ne demandent l’appui ni des hommes ni des Dêvas ; ils aiment une vie éloignée du monde ; ils sont passionnés pour les plaisirs de la loi ; ils s’appliquent à la science de Buddha.

Ensuite Bhagavat prononça dans cette occasion les stances suivantes :

37. Ces Bôdhisattvas incommensurables, inconcevables, dont il n’existe pas de mesure, possèdent les facultés surnaturelles, la sagesse, l’instruction, et ils se sont exercés à la science pendant de nombreux kôṭis de Kalpas.

38. Tous ont été mûris par moi pour l’état de Buddha, et ils habitent dans la terre qui m’appartient ; oui, tous ont été mûris par moi, et tous ces Bôdhisattvas sont mes fils.

39. Tous recherchent les déserts et les lieux purs ; ils évitent sans cesse les lieux où se rencontre la foule et ils vivent dans les endroits solitaires, ces sages qui sont mes enfants, et qui sont instruits dans la pratique de ma règle excellente.

40. Ils habitent dans l’enceinte de l’éther ; leur empire s’étend sur les lieux placés au-dessous de cette terre ; là ils passent les jours et les nuits dans le recueillement, occupés à se rendre maîtres de l’excellent état de Bôdhi.

41. Déployant leur énergie, tous doués de mémoire, se tenant fermes dans la vigueur de la science qui est incommensurable, f. 166 b.ces êtres intrépides exposent la loi ; tout resplendissants de lumière, ils sont mes enfants.

42. Et tous ont été mûris ici pour l’excellent état de Bôdhi, depuis que je l’ai obtenu moi-même, dans la ville de Gayâ, auprès d’un arbre, et que j’ai fait tourner la roue éminente de la loi.

43. Exempts de toute faute, écoutez tous ma parole, et ayez-y foi : oui, c’est après avoir atteint à l’excellent état de Bôdhi, que tous ont été mûris par moi pour cet état.

Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Mâitrêya et ces nombreuses centaines de mille de myriades de kôṭis de Bôdhisattvas, furent frappés d’étonnement et de surprise. Comment se fait-il que, dans l’espace d’un instant, dans un si court intervalle de temps, ces Bôdhisattvas, dont le nombre est si immense, aient été conduits, aient été mûris par Bhagavat dans l’état suprême de Buddha parfaitement accompli ? Alors le Bôdhisattva Mahâsattva Mâitrêya s’adressa ainsi à Bhagavat : Comment, ô Bhagavat, le Tathâgata qui était Kumâra, après être sorti de Kapilavastu, la ville des Çâkyas, et être parvenu à la suprême et intime essence de l’état de Bôdhi(166 b), non loin de la ville de Gayâ, a-t-il obtenu l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. Il y a aujourd’hui, ô Bhagavat, un peu plus de quarante ans, depuis [que tu es sorti de ta maison]. Comment donc le Tathâgata a-t-il pu, en si peu de temps, remplir les devoirs f. 167 a.sans nombre d’un Tathâgata, atteindre à la prééminence d’un Tathâgata, déployer l’héroïsme d’un Tathâgata ? Comment a-t-il pu conduire et mûrir dans l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, en un si court espace de temps, cette troupe et cette foule de Bôdhisattvas, troupe et foule dont cent mille myriades de kôṭis de Kalpas ne suffiraient pas pour atteindre le terme ? Et de plus, ce nombre immense de Bôdhisattvas, ô Bhagavat, ce nombre incalculable a longtemps rempli les devoirs de la vie religieuse ; tous ont fait croître les racines de vertus [qui étaient en eux], sous plusieurs milliers de Buddhas ; ils ont été conduits à la perfection pendant plusieurs centaines de mille de Kalpas.

C’est, ô Bhagavat, comme s’il y avait un homme jeune, un adolescent avec des cheveux noirs, un homme de la première jeunesse, âgé de vingt-cinq ans ; que cet homme montre comme ses enfants des centenaires, et qu’il parle ainsi : Ces fils de famille sont mes enfants. Que ces centenaires parlent ainsi à cet homme : Celui-là est notre propre père. Certes, ô Bhagavat, le discours de cet homme serait difficile à croire, le monde y croirait difficilement. Il en est de même, ô Bhagavat, du Tathâgata qui n’est arrivé que depuis si peu de temps à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, et de ces Bôdhisattvas Mahâsattvas si nombreux, qui ont accompli les devoirs de la vie religieuse pendant plusieurs centaines de mille de myriades de kôṭis de Kalpas ; f. 167 b.qui sont depuis si longtemps arrivés à la certitude ; qui sont habiles à produire et à posséder les cent mille voies qui conduisent à la méditation de la science de Buddha ; qui ont pratiqué complètement les grandes connaissances supérieures ; qui ont rempli complètement les devoirs qui conduisent à la science des grandes connaissances supérieures ; qui sont savants dans le rôle de Buddha ; qui sont habiles à converser sur les conditions des Tathâgatas ; qui sont pour le monde un sujet d’étonnement et d’admiration ; qui ont acquis une grande énergie, une grande force et une grande puissance. Et Bhagavat leur parle ainsi : C’est par moi que tous ces Bôdhisattvas ont été dès le commencement conduits, préparés, mûris, transformés dans ce rôle de Bôdhisattva. C’est depuis que je suis parvenu à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, que j’ai exécuté cet acte de force et d’héroïsme. Comment, Bhagavat, comment pouvons-nous ajouter foi aux paroles du Tathâgata, quand il nous dit : Le Tathâgata ne dit rien de contraire à la vérité ; c’est le Tathâgata qui sait cela ?(167 b) Oui, Bhagavat, les Bôdhisattvas entrés dans le nouveau véhicule éprouvent de l’incertitude. Quand le Tathâgata sera entré dans le Nirvâṇa complet, ceux qui entendront cette exposition de la loi, ne la croiront pas, n’y auront pas foi, ne lui accorderont pas leur confiance. C’est pourquoi, Bhagavat, ils seront livrés à des idées d’actes qui seront étrangères à la loi(167 b 2). Explique-nous donc ce fait, ô Bhagavat, afin que nous n’ayons aucun doute, en ce qui touche cette loi, f. 168 a.et que, dans l’avenir, les fils ou filles de famille entrés dans le véhicule des Bôdhisattvas, qui viendront à l’entendre, n’éprouvent pas d’incertitude.

Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Mâitrêya adressa, dans cette occasion, les stances suivantes à Bhagavat.

44. Lorsque tu fus venu au monde dans la ville de Kapila, demeure principale des Çâkyas, tu sortis de ta maison, et tu obtins l’état de Bôdhi(168 a) ; il n’y a pas de cela bien longtemps, ô Chef du monde.

45. Et ces grandes troupes de personnages, respectables, intrépides, qui ont rempli leurs devoirs pendant de nombreux kôṭis de Kalpas ; qui se sont tenus fermes et inébranlables dans la force des facultés surnaturelles ; qui ont été bien instruits, et qui ont pénétré entièrement la force de la sagesse,

46. Qui sont inaltérables, comme le lotus l’est au contact de l’eau ; qui, après avoir fendu la terre, sont arrivés aujourd’hui en ce lieu, et qui sont là les mains réunies et l’extérieur respectueux ; en un mot, ces Bôdhisattvas doués de mémoire, ô Maître du monde, [que tu dis tes] fils et [tes] disciples,

47. Comment pourront-ils ajouter foi à l’étonnant langage que tu viens de faire entendre ? Parle pour détruire leur incertitude, et explique-leur le sens de ce que tu as voulu dire.

48. C’est comme s’il y avait ici un homme jeune, de la première jeunesse, ayant les cheveux noirs, qui eût vingt ans ou plus, et qui en montrant des centenaires, les donnât pour ses fils.

49. Que ceux-ci soient couverts de rides et aient les cheveux blancs, et qu’ils disent : C’est cet homme qui nous a donné l’existence. Certainement, ô Chef du monde, on aurait peine à croire que ces vieillards soient les fils de ce jeune homme.

f. 168 b.50. De la même manière, ô Bhagavat, nous ne comprenons pas comment ces nombreux Bôdhisattvas pleins d’intelligence, de mémoire et d’intrépidité, qui ont été bien instruits pendant des milliers de kôṭis de Kalpas ;

51. Qui sont doués de fermeté ; qui ont la pénétration de la sagesse ; qui sont tous beaux et agréables à voir ; qui sont intrépides dans la démonstration de la loi, qui ont été loués par le Guide du monde,

52. Nous ne comprenons pas comment, semblables au vent, ils marchent, exempts de toute affection, au travers de l’espace, sans connaître jamais d’autre demeure, ces fils de Sugata qui produisent en eux l’énergie nécessaire pour atteindre à l’état de Bôdhi. 53. Comment, lorsque le Guide du monde sera entré dans le Nirvâṇa complet, pourra-t-on croire à un pareil récit ? Nous qui l’entendons de la bouche du Chef du monde, nous ne concevons aucun doute.

54. Puissent les Bôdhisattvas ne pas tomber dans la mauvaise voie, en concevant des doutes à ce sujet ! Fais-nous connaître, ô Bhagavat, la vérité, et dis-nous comment ces Bôdhisattvas ont été complètement mûris par toi.


Notes du chapitre XIV

CHAPITRE XIV.

f. 159 b. Lesquels se trouvant sous cette grande terre.] La comparaison de ce passage avec une description analogue du même chapitre, ci-dessous, f. 165 b, me prouve que j’ai mal traduit le mot âkâça par « espace. » Le texte obscur ici, est, au f. 165 b, rendu très-clair par l’addition du mot parigraha. Il faut donc substituer à ma première interprétation la traduction suivante : « qui habitent l’élément de l’éther au-dessous de cette grande terre. » Ce sens est de plus mis hors de doute par l’énoncé de la stance 40 de la rédaction versifiée.

f. 162 a. Bhagavat n’a-t-il que peu de peine ?] Sur cette expression qui sert de formule de salutation, voyez une note spéciale ci-dessous, chap. xxiii, f. 224 a, p. 425. J’y renvoie le lecteur, parce que la formule étant plus développée au chap. xxiii, ce que j’en dirai en cet endroit comprend et dépasse tout ce que j’en pourrais dire ici.

f. 163 b. St. 14. Une suite de Maîtres.] Lisez, « une suite de disciples. »

f. 166 b. À la suprême et intime essence de l’état de Bôdhi.] Lisez, « sur le trône éminent de la Bôdhi. » Je crois inutile de répéter ici ce que nous ont appris A. Rémusat et d’autres sur la ville de Kapilavastu, sur celle de Gayâ, et sur les autres noms rappelés incidemment dans ce passage. On consultera cependant avec fruit les remarques de M. Cunningham sur la partie de l’itinéraire de Fa hian relative à ces localités[1].

f. 167 b. C’est le Tathâgata qui sait cela.] Il faut détacher cette proposition de la précédente, et la mettre en dehors des paroles que Mâitrêya fait dire à Çâkyamuni ; car la particule iti qui doit guillemeter ces paroles, est placée dans le texte avant la petite phrase : « c’est le Tathâgata qui sait cela. » On doit donc traduire cette phrase : « que le Tathâgata le sache, » en la faisant rapporter à ce qui suit.

Ils seront livrés à des idées d’actes, etc.] Il faut traduire plus exactement, « ils seront livrés à des idées d’actes dont le résultat sera le malheur de la loi. »

f. 168 a. St. 44. Et tu obtins l’état de Bôdhi.] Ajoutez, « dans la ville nommée Gayâ. »


  1. Verification of the itinerary of the Chinese Pilgrim Hwan thsang through Afghanistan and India during the first half of the seventh century, dans Journ. as. Soc. of Bengal, t. XVII, 2e part. p. 29.