Lotus de la bonne loi/Notes/Chapitre 8

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Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 393-396).
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Notes du chapitre VIII

CHAPITRE VIII.

f. 109 bPûrṇa se tint à part.] Je rends ainsi l’expression êkânté ou ékântam, qui est très-fréquemment employée dans le style buddhique, pour dire d’un côté, de côté, c’est-à-dire à une des places qui se trouvent dans l’enceinte, soit ouverte, soit fermée, où est assis un Buddha qui enseigne. On la trouve au commencement du Vadjra tchtchhêdika, dans cette phrase, êkânté nyachîdat, ce que I. J. Schmidt traduit par setzten sich an einer Seite[1] ; l’expression tibétaine est, phyogs-gtchig-tu[2]. Elle ne se représente pas moins fréquemment en pâli, mais toujours à l’accusatif et sous cette forme, êkam antam : on en peut voir un exemple dans une des légendes publiées par Spiegel[3]. Quant à la forme, elle est tout à fait d’accord avec l’esprit des dialectes prâkrits, où il est d’usage de résoudre dans leurs éléments les composés où figurent les pronoms ; et quant au sens que lui donnent les Buddhistes du Sud, je remarque cette traduction un peu forcée des Barmans, တင် အပ် သော အရပ် ꧳်, táng ap so arap hnoik, « dans un endroit convenable[4]. »

f. 110 a Les diverses connaissances distinctes.] Le texte se sert du terme pratisam̃vidâ lâbhî, « possesseur des pratisam̃vidâ. » On trouvera sur ce terme une note spéciale à l’Appendice, n° XVII.

f. 110 b Bhadrakalpa.] C’est ainsi que les Buddhistes nomment le Kalpa ou la période actuelle de création ; ce terme signifie le Kalpa fortuné ou le Kalpa des bienheureux, parce qu’il doit posséder cinq Buddhas. On peut voir sur cette période une note de Klaproth dans le Foe koue ki d’A. Rémusat[5]. Cette notion est commune aux Buddhistes du Sud comme à ceux du Nord ; toutefois je n’ai pas trouvé jusqu’ici de preuve positive que les Buddhistes singhalais connussent les mille Buddhas des Chinois et des Tibétains. La meilleure exposition que nous ayons des Kappas (Kalpas) d’après les Buddhistes du Sud, est celle qu’on doit à G. Turnour[6].

f. 111 aNi sexe féminin.] L’expression dont se sert le texte est mâtrĭgrâma, littéralement « collection des mères. » C’est, dans le style buddhique, une locution consacrée à désigner la femme en général, ce que d’autres peuples appellent le sexe. L’expression est également connue des Buddhistes du Sud, et elle est traduite avec précision par le seul lexicographe de Ceylan qui soit à ma disposition : mâtugâma y est synonyme de femme[7]. Parmi les textes pâlis, encore en petit nombre, qui ont été publiés jusqu’ici, on peut consulter les Anecdota pâlica de Spiegel, où se trouve ce terme[8], mais imprimé fautivement avec un a bref, matu pour mâtu.

f. 111 b. Tous les êtres y naîtront par des métamorphoses miraculeuses.] Il faut bien qu’il en soit ainsi, puisqu’il ne doit pas exister de femmes dans ces univers. Le mot dont se sert le texte est âupapâduka, adjectif dérivé d’un substantif apapâda, que je ne trouve pas dans Wilson, mais qui doit signifier, selon toute apparence, « une naissance autre que le mode de reproduction naturel. » Wilson donne déjà l’adjectif upapâduka, qui entre autres significations a celle de démon, être surhumain. Clough indique, dans son Dictionnaire singhalais, un mot très-voisin de celui qui nous occupe, âupapâtika qu’il traduit ainsi, « Un être produit par le hasard, sans aucune cause créatrice, un être existant par lui-même[9]. » Or ce mot qui est régulièrement dérivé de upapâta, a son correspondant en pâli où ôpapâtika signifie, selon Turnour, apparitional birth, « naissance par apparition[10]. » Jusqu’à ce que quelque autorité décisive établisse positivement quelle est la meilleure de ces deux orthographes, âupapâduka et âupapâtika, je conserve, au moins pour les livres sanscrits du Nord, celle que donne le texte de notre Lotus. Outre qu’elle est uniformément confirmée par les trois manuscrits qui sont actuellement sous mes yeux, je la trouve encore dans le texte sanscrit du Vadjra tchtchhêdika. Ce terme, qui dans ce dernier livre, comme dans notre Lotus, est une épithète de sattvâḥ, « les êtres, » signifie, selon I. J. Schmidt, « qui est produit par le changement. » Mais le texte tibétain, ou plutôt le Dictionnaire de Csoma, fournit une interprétation plus précise, puisque l’expression tibétaine brdzus-te skyes-pa signifie « être produit par une transformation miraculeuse[11] ; » on peut donc admettre que âupapâduka signifie « venu au monde par un miracle. » Enfin ce qui me porte à croire que l’orthographe âupapâduka est préférable à celle de âupapâtika, en d’autres termes que ce mot vient par dérivation du radical pad et non de pat, c’est qu’il n’est pas rare de voir, dans les manuscrits pâlis, un d étymologiquement nécessaire remplacé par un t. Ainsi le mot uppâda, « naissance, » est souvent écrit uppâta par le copiste auquel est dû mon manuscrit du Dîgha nikâya[12] ; et ce qui laisse encore moins de doute, les noms propres brâhmaniques de Pôkhharasâdi et Yamadaggi, pour Pâuchkarasâdi et Djamadagni, sont souvent écrits Pôkkharasâti et Yamataggi[13]. J’aurai occasion de revenir sur ces deux derniers noms propres à la fin du no II de l’Appendice.

Entièrement maîtres des diverses connaissances distinctes.] Voyez relativement à cette expression la note reportée à l’Appendice, sous le no XVII.

f. 112 a.Voilà ce que dit Bhagavat.] Le texte se sert pour exprimer cette idée d’une formule sacramentelle que je retrouve également dans les textes pâlis, et qui donne lieu à des remarques analogues à celles qu’a déjà suggérées à Lassen la célèbre maxime yê dharmâ hêtaprahhavâḥ. Cette formule est ainsi conçue : idam avôtchad Bhagavân idam̃ viditvâ sugatô, hyathaparam êtaduvâtcha çâstâ. Les trois manuscrits que j’ai sous les yeux lisent uniformément viditvâ, « ayant connu. » Les deux manuscrits de M. Hodgson ont seulement hyêchâm̃, au lieu de hyatha ; je crois que la leçon du manuscrit de la Société asiatique est la meilleure, parce qu’elle s’accorde avec celle de la rédaction en pâli qui lit atha. Quant à viditvâ, si j’ai traduit ce participe par « ayant parlé, » c’est encore sous l’influence de la formule pâlie qui a vatvâ, « ayant parlé. » Il est fort possible que l’on ait dit dans le principe uditvâ, « ayant parlé, » ou même populairement vaditvâ, et que cette forme ait été confondue plus tard avec viditvâ, « ayant connu. » Et quant au pâli vatvâ, qui pourrait venir de vad + tvâ, il se sera substitué, comme plus ordinaire et quand le pâli eut atteint sa régularité factice, à la forme moins commune d’uditvâ. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en lisant vaditvâ dans le texte pâli, au lieu de vatvâ, on obtient, pour la fin de la première ligne de la formule pâlie, exactement la même quantité que celle de la première ligne de la formule sanscrite. Voici en effet la phrase en pâli :

Idam avôtcha Bhagavâ idam̃ vatvâ sugatô athâparam êtad avôtcha satthâ[14],
ce qui, divisé en deux lignes, donne à côté du thème sanscrit ˘ ˘ ˘ ˉ ˘ ˘ ˘ ˉ ˘ ˉ ˉ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘
˘ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘ ˉ ˉ ˉ
˘ ˘ ˘ ˉ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘ ˉ ˘ ˉ ˉ ˘ ˘ ˉ
˘ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘ ˉ ˉ ˉ

On voit que si dans la formule pâlie on lisait avôtchad ou avôtchâ, on aurait une longue là ou elle se trouve dans la formule sanscrite, tout comme idam̃ vaditvâ, à la fin de la première ligne, rétablirait l’uniformité des deux formules ; et d’un autre côté, dans la seconde ligue sanscrite on doit lire hyathâparam et non hyêchâm param ; pour avoir la quantité de la formule en pâli. Cette espèce de stance est manifestement formée d’éléments empruntés pour la plus grande partie au genre Trichṭubh ; cela est surtout reconnaissable dans la seconde partie de la stance où la mesure se rapproche davantage de la régularité classique. Quel que soit du reste le type auquel on doive ramener la première de ces deux lignes, leur ensemble ne pourrait former tout au plus que trois Pâdas, de cette manière :

1 2 3
˘ ˘ ˘ ˉ ˘ ˘ ˘ ˉ ˘ ˉ ˉ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘ ˘ ˉ ˘ ˉ ˉ ˘
˘ ˉ ˘ ˉ ˉ ˘ ˘ ˉ

Mais l’examen de la rédaction sanscrite permet d’affirmer que l’on a eu l’habitude de prononcer la stance d’un seul jet ; car on ne peut expliquer la présence de la particule hi commençant la seconde ligne, que par l’intention qu’on a eue d’éviter un hiatus entre sagatô et athâparam, dont la rencontre eût entraîné la suppression de l’a initial de atha. Je ne crois pas que nous ayons ici d’indices suffisants pour nous décider sur la question de l’antériorité relative de ces deux rédactions. Si d’un côté la présence de la conjonction hi devant athâparam semble un signe de postériorité[15], il faut avouer d’un autre que l’expression idam̃ vatvâ du pâli ne peut être plus ancienne que vaditvâ ou encore uditvâ de la formule sanscrite. Les deux langues, dans ce texte, ne s’éloignent pas assez l’une de l’autre pour que leur divergence soit décisive ; d’ailleurs, ici comme dans le cas de formules très-générales et d’un fréquent usage, les deux phrases ont pu naître et coexister dans le même temps. Je signalerai à la fin de ces notes, sur le fol. 248 b, une formule analogue où paraissent également quelques traces de mètre.

f. 114 a.St. 23. Doué de la force d’un Buddha.] Lisez, « doué des forces d’un Buddha. »

f. 114 b.St. 33. Expose également.] Il faut dire, « j’expose également, » en suivant les deux manuscrits de M. Hodgson qui mettent avec raison le verbe à la première personne, au lieu de la seconde que donne le manuscrit de la Société asiatique.

f. 115 a.Contents, satisfaits, etc.] Les expressions dont se sert le texte pour rendre l’idée de contentement et d’allégresse, reviennent toujours les mêmes, et sont comme des formules officielles auxquelles il ne paraît pas que les copistes aient osé porter la main. On retrouve une de ces expressions, celle de prîtisâumanasyadjâta, dans les livres pâlis, où elle désigne le plus haut degré de satisfaction auquel les créatures puissent arriver, quand elles entendent la prédication du Buddha. Voici le passage même à la fin duquel les mots en question se rencontrent : Yadâhi Bhagavâ manassa dêva mâra brahmaparisa­madjdjhagatô dhammam̃ dêsêti tchatuvêsâradjdjasamannâgatôyêva hôti ; na tassa kôtchi samaṇôvâ brâhmaṇôva sakkôvâ dévôvâ mârôvâ brahmâvâ pativattâ hôti ; athakhô bahudêvamanussâ dhammam̃ sutvâ haṭṭhalômahônti udagga­tchittâ pîtîsômanassadjâtâ. » Quand en effet Bhagavât s’étant « présenté devant l’assemblée des hommes, des Dêvas, des Mâras et des Brahmâs, enseigne la loi, il est doué des quatre confiances. Aucun être, soit Samaṇa (Çramaṇa), soit Brâhmana, soit Sakka (Çakra), soit Dêva, soit Mâra, soit Brahmâ, n’élève la voix pour le contredire. Mais alors les nombreux Dêvas et hommes ayant entendu la loi, sentent leurs poils se hérisser sur tout leur corps ; leur esprit s’éveille, ils sont pleins de plaisir et de satisfaction[16]. »

La science ainsi limitée.] Le mot du texte que je traduis par limité est parîtta pour paridatta, formation d’ailleurs régulière et donnée par Pâṇini. Ce sens est confirmé par le pâli, où paritta signifie « petit, en petite quantité[17]. »

  1. Vadjra tchtchhêdika, f. 3 a, comp. avec Schmidt, Ueber das Mahâyâna, dans Mém. de l’Acad. de Saint-Pétersbourg, t. iv, p. 186.
  2. Ueber das Mahâyâna, ibid. p. 128, l. 4.
  3. Anecdota pâlica, p. 26, l. 7.
  4. Suvaṇṇasâma djâtaka, ms. pâli-barman de la Bibl. nat. f. 2 b et p. 6 de ma copie.
  5. Foe koue ki, p. 245 et 246 ; ajoutez, p. 357.
  6. Mahâwanso, introd. p. xxxii et suiv. Cf. Spiegel, Anecdota pâlica, p. 62.
  7. Abhidh. ppadîp. l. II, chap. III, st. 5 ; Clough, p. 28.
  8. Anecdota pâlica, p. 62, l. 22.
  9. Singhal. Diction. t. II, p. 91.
  10. Turnour, Mahâwanso, introd. p. xxxiv et xxxv.
  11. Schmidt, Ueber das Mahâyâna, dans Mém. de l’Acad. des sciences de S. Pétersbourg, t. IV, p. 130 et 187 ; Csoma, Tibet. Diction. p. 121.
  12. Dîgha nikâya, f. 22 b, 2 fois.
  13. Ibid. f. 61 a.
  14. Dîgha nikâya, f. 173 b.
  15. Bœhtlingk, Sanskrit Chrestomathie, p. 446.
  16. Djina alam̃kâra, f. 24 b.
  17. Âbhidhâna ppadîpikâ, l. III, chap. i, st. 14, et chap. iii, st. 252 ; Clough, p. 95 et 132.