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Mécanique analytique/Notes du volume 1/Note 6

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Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIp. 468-484).
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Note du tome I

NOTE VI.

Sur les équations différentielles des problèmes de Mécanique, et la forme que l’on peut donner à leurs intégrales.


Dans la Section IV de la seconde Partie, Lagrange fait connaître la forme très remarquable que prennent les équations de la Dynamique, lorsque l’on substitue aux coordonnées des divers points un système quelconque de variables. Nous allons revenir, dans cette Note, sur la formation de ces équations. Nous indiquerons ensuite une transformation très heureuse que leur a fait subir M. Hamilton, et dont on peut déduire plusieurs propriétés de leurs intégrales qui conviennent à tous les problèmes auxquels s’applique la transformation de M. Hamilton.

I.

Soient les coordonnées des points d’un système ; équations de liaisons qui définissent le système. Dans ces équations, les coordonnées peuvent figurer d’une manière quelconque avec le temps désignons par variables nouvelles, telles que l’on puisse exprimer les coordonnées en fonction de ces variables et du temps les formules qui expriment les coordonnées étant telles, bien entendu, que les équations deviennent identiques lorsqu’on y substitue aux diverses coordonnées leur expression en fonction des variables nouvelles.

Les équations du mouvement ont, comme on sait, pour type général

(1)

la lettre désignant un nombre entier quelconque au plus égal à la masse du point dont les coordonnées sont et les composantes de la force qui sollicite ce point.

Multiplions les équations (1), respectivement, par et ajoutons-les à toutes les équations analogues que l’on obtiendrait en attribuant à les valeurs dont il est susceptible ; il viendra

(2)

les facteurs disparaissent dans l’addition à cause de la relation

(3)

qui résulte de ce que la fonction ( désignant un indice quelconque au plus égal à ) s’annule identiquement lorsque sont remplacés par leurs valeurs en et

Le second membre de l’équation (2) doit être regardé comme une fonction connue des variables et car sont donnés par l’énoncé du problème en fonction de ces variables. Il n’y a donc pas lieu de transformer ce second membre, et nous le désignerons par une lettre

Pour transformer le premier membre, écrivons-le de la manière suivante

(4)

en désignant par les composantes de la vitesse du point dont les

coordonnées sont On a identiquement
(5)

sont donnés, par hypothèse, en fonction de et en différentiant les formules qui les expriment, on aura

(6)

d’où l’on conclut

on a, d’ailleurs,

ce qui équivaut évidemment, d’après la valeur de fournie par l’équation (6), à On obtiendrait de même

Si nous avons égard à ces relations et si, de plus, nous posons

l’équation (4) deviendra

On obtiendra équations de même forme en attribuant successivement à

l’indice chacune des valeurs et l’on formera ainsi les équations différentielles suivantes :

qui sont précisémentles équations de Lagrange. Dans ces équations, les inconnues sont et leurs dérivées sont des fonctions données de ces inconnues ; il en est de même de car étant donnés, par hypothèse, on peut former, par la différentiation, Il est importantde remarquer que, d’après les règles de la différentiation, seront des fonctions linéaires de et que, par suite, sera une fonction algébrique entière et de degré de ces diverses dérivées. Si les expressions de ne contiennentpas explicitement la lettre et cela aura lieu toutes les fois que les liaisons seront indépendantes du temps, on voit facilement que seront des fonctions homogènes du premier degré, et, par suite, une fonction homogène de degré par rapport aux variables Cette remarque a une grande importance.

II.

Nous supposerons, dans les considérations qui vont suivre, un système dont les liaisons sont indépendantes du temps, sollicité par des forces ayant pour composantes les dérivées partielles d’une même fonction. Nous admettrons, en un mot, que le principe des forces vives soit applicable au problème dont nous nous occupons.

Reprenons les équations différentielles du mouvement

(1)
ces équations sont du second ordre, mais on peut les ramener au premier ordre en considérant comme inconnues nouvelles définies par les équations
(2)

et nous aurons, de cette manière, un système de équations du premier ordre.

Poisson a eu l’idée de transformer le système des équations (1) et (2) en substituant aux inconnues les inconnues nouvelles qui en sont des fonctions linéaires ; mais il n’a pas développé son calcul de transformation, et M. Hamilton a donné, le premier, les équations très simples auxquelles ces variables nouvelles vont nous conduire.

Posons

les équations (1) deviendront

mais la substitution des variables à exige que les seconds termes de ces équations soient transformés. Il est clair, en effet, que étant exprimé en fonction de puis en fonction de n’aura pas, sous les deux formes, la même dérivée par rapport à

étant une fonction homogène de degré des variables on a, identiquement,

ce que l’on peut écrire

(3)

Prenons la variation des deux membres en faisant varier toutes les variables

à la fois ; il vient
(4)

(Nous supprimons, dans le second membre, les termes et qui se détruisent.)

Or, en considérant comme fonction de on conclut évidemment de l’équation (4)

Les équations (6) donnent aux équations du mouvement la forme

(A)

et, si on leur adjoint les relations (5),

(B)

on aura équations différentielles du premier ordre entre les inconnues Pour simplifier ces équations, rappelons-nous que composantes de la force qui sollicite le point sont, par hypothèse, les dérivées partielles d’une même fonction et que l’on a

donc, en se reportant à la définition de la fonction

on en conclut

Si l’on remet dans les équations (A), à la place de les valeurs fournies par cette formule, et que l’on pose, de plus, ces équa-

tions deviennent
(C)

si l’on remarque, en outre, que, ne contenant pas on a les équations (B) pourront s’écrire

(D)

Les systèmes et donnent, sous la forme la plus simple, les équations d’un problème de Mécanique auquel s’applique le principe des forces vives. On voit que deux problèmes de ce genre ne diffèrent l’un de l’autre que par le nombre des variables et la forme de la fonction

III.

Quoique l’on soit loin de savoir intégrer, en général, les équations (C) et (D) du paragraphe précédent, leur forme permet, néanmoins, d’établir plusieurs théorèmes fort importants, qui s’appliquent à toutes les questions représentées par ces équations.

Nous commencerons par établir le théorème suivant, qui est dû à Hamilton :

Théorème.Les intégrales d’un problème de Mécanique auquel s’applique le principe des forces vives peuvent toutes s’exprimer en égalant à des constantes les dérivées partielles d’une même fonction prises par rapport à d’autres constantes.

Reprenons les équations différentielles d’un problème de Mécanique auquel s’applique le principe des forces vives :

(1)

Supposons que, ces équations ayant été intégrées, soient connus en fonction de et de constantes arbitraires. Si nous remet-

tons ces valeurs dans la fonction nous aurons, en différentiant le résultat par rapport à l’une des constantes

c’est-à-dire, en ayant-égard aux équations (1), qui sont, par hypothèse, satisfaites,

(2)

ce que l’on peut écrire de la manière suivante :

(3)

Mais, la fonction étant homogène, de degré par rapport à on a

Or cette expression ne diffère pas de celle dont la dérivée, par rapport à figure dans le second membre de l’équation (3), en sorte que cette équation devient

ou encore

(4)

ou, en intégrant les deux membres par rapport à

(5)

les indices et placés au-dessous des parenthèses indiquant qu’il faut y supposer le temps égal à zéro ou à

L’intégrale est une fonction de et des constantes arbitraires ; désignons-la par l’équation précédente deviendra

(6)

si nous la multiplions par pour l’ajouter ensuite à toutes les équations analogues que l’on obtiendrait en remplaçant la constante successivement, par toutes celles qui figurent dans les intégrales du problème, on aura

(7)

en désignant par le signe la variation totale d’une fonction des diverses constantes, lorsque celles-ci varient toutes à la fois.

Remarquons, actuellement, que étant une fonction de et des constantes arbitraires, peut s’exprimer en fonction de et de On a admis, en effet, que sont des fonctions de et de constantes ; si, dans les équations qui les déterminent, on fait on obtiendra équations nouvelles, dans lesquelles remplaceront et qui, jointes aux précédentes, permettent d’exprimer les constantes en fonction de et de Si nous supposons que le calcul indiqué soit effectué, l’équation (7) fournira la variation de lorsque toutes les variables dont cette fonction dépend, à l’exception de seulement, reçoivent des accroissements infiniment petits. On en conclut, d’après les principes du Calcul différentiel,

(8)

et ces équations ayant lieu entre le temps et les constantes elles sont, évidemment, les intégrales complètes du problème. On peut remarquer que les équations qui composent la deuxième ligne du groupe (8) forment un système à part, dans lequel ne figurent pas et permettent, par conséquent, de calculer les inconnues en fonction du temps et de toutes les valeurs initiales

IV.

D’après la manière dont la fonction s’est introduite au paragraphe précédent, il semble que, pour la connaître, il soit nécessaire d’avoir préalablement résolu le problème dont on s’occupe. Mais nous allons montrer que cette fonction satisfait à une équation différentielle partielle du premier ordre, dont toute intégrale complète peut la remplacer dans la formation des équations intégrales du problème de Mécanique.

Nous avons posé

(1)

en se reportant au paragraphe II, on a

donc

Différentions les deux membres par rapport à et remarquons que contient explicitement, et aussi à cause de qui en dépendent ; nous aurons

(2)

Or sont des fonctions linéaires de c’est-à-dire (§ III) de de sorte que, par la substitution de ces valeurs, l’équation (2) deviendra une équation différentielle partielle du second degré par rapport aux dérivées de Pour former cette équation, il faudrait transformer, comme nous l’avons indiqué, la somme

qui figure dans le second membre ; or le résultat de ce calcul sera évidemment le même si l’on substitue à cette somme l’expression

qui n’en diffère que par le changement de en changement dont l’effet sera détruit par le changement inverse que l’on doit faire à la fin du calcul. Or, la fonction étant homogène du second degré par rapport à on a, identiquement,

en sorte que l’équation (2), à laquelle satisfait la fonction peut s’écrire symboliquement

c’est-à-dire

(3)

les parenthèses qui entourent indiquant que cette fonction doit être exprimée en fonction de et que ces variables seront ensuite remplacées par

L’équation (3) admettra une infinité de solutions contenant chacune constantes arbitraires, et que Lagrange nomme les intégrales complètes. L’une de ces intégrales sera la fonction que nous avons définie dans le paragraphe précédent ; mais nous allons montrer que toute autre intégrale complète peut remplacer celle-là et fournir la solution du problème de Mécanique dont on s’occupe.

Soit, en effet,

(4)

une telle intégrale, satisfaisant identiquement à l’équation (3) et contenant constantes arbitraires ; si l’on pose

(5)

je dis que l’on aura la solution complète du problème proposé, et que ces équations (5) fourniront les valeurs de en fonction de et de constantes arbitraires. Pour le démontrer, rappelons-nous que les

équations différentielles du mouvement sont
(6)

dans lesquelles désigne la différence ne contenant pas on a

en sorte que la seconde ligne des équations (6) peut s’écrire

(7)

Nous commencerons par montrer que ces équations (7) peuvent se déduite du système des équations (5).

En différentiant ces équations (5) par rapport à nous aurons

(8)

à laquelle il faudra adjoindre équations que l’on formera en changeant dans celle-ci en Le système des équations ainsi obtenues donnera les valeurs de qui résultent des relations (5).

Or, en différentiant par rapport à l’équation (3), à laquelle satisfait identiquement, il vient

(9)

désignant ici la dérivée par rapport à de l’expression dans laquelle se transforme lorsque l’on y remplace par On a évidemment, d’après cela,

(10)

et, dans le second membre de cette équation, il faudra encore transformer en y remplaçant par

Pour indiquer cette transformation, nous placerons ces quantités entre des parenthèses. L’équation (9) deviendra alors
(11)

à laquelle on pourra joindre équations que l’on formerait en changeant dans celle-ci en Or, si l’on compare le système des équations ainsi obtenues avec celui dont l’équation (8) est le type, on en conclut que ce dernier sera satisfait par les valeurs suivantes des inconnues

(12)

Or, on a démontré [§ II, équation (5)] les relations

en sorte que les formules précédentes peuvent s’écrire

(13)

désignant ce que deviennent les expressions lorsque, après les avoir exprimées en fonction de on remplace ces dernières variables par Supposons maintenant qu’en faisant subir cette transformation aux seconds membres des équations (12) on exprime en même temps, et par les formules mêmes dont on aura à faire usage, les premiers membres en fonction de on formera un système d’équations dont les deux membres ne différeront que par le changement de en et dont on déduira, par conséquent,

(14)

Si nous revenons actuellement aux équations (12), on peut les écrire

(15)

en supprimant les parenthèses qui n’ont plus d’autre objet que d’indiquer la

substitution de à des quantités qui leur sont égales en vertu des équations (14). Les formules (15) forment une moitié des équations différentielles du mouvement, qui sont, par conséquent, satisfaites.

Les équations qui, jointes au système (15), représentent les conditions complètes du problème sont les suivantes :

(16)

Pour montrer qu’elles sont également satisfaites, différentions par rapport à les équations (14) ; les résultats obtenus seront de la forme

(17)

ou, en remplaçant par leurs valeurs

(18)

Différentions actuellement par rapport à l’équation

(19)

il viendra

(20)

ou, en remplaçant par leurs valeurs

(21)

En comparant les équations (17) et (21), on conclut

Or on peut, en vertu des relations (14), enlever les parenthèses qui entourent et l’on a enfin

C’est précisément la relation que nous voulions établir ; on obtiendrait des valeurs analogues pour et il est prouvé, par conséquent, que toutes les équations du mouvement sont satisfaites par le système des relations (5).

L’idée de substituér à la fonction de M. Hamilton l’une quelconque des intégrales de l’équation à laquelle elle satisfait est due à Jacobi[1]. La démonstration a été développée par lui dans le cas d’un système sans liaisons. Plusieurs géomètres ont traité depuis la même question, mais je crois la démonstration précédente plus simple que celles qui avaient été données jusqu’ici.

V.

M. Hamilton nomme la fonction à laquelle se rapportent les calculs précédents, la fonction principale du problème. Il a considéré, en outre, une autre fonction qu’il nomme caractéristigue, et que nous désignerons par Nous croyons devoir placer ici la définition de cette fonction et l’indication de sa propriété la plus importante. C’est elle qui s’est présentée d’abord à M. Hamilton, et c’est en l’étudiant qu’il est, je crois, le plus facile d’apercevoir les idées qui l’ont guidé.

La fonction n’est autre chose que l’intégrale que l’on considère dans le principe de la moindre action, de telle sorte qu’en cherchant à démontrer ce principe on peut être conduit de la manière la plus naturelle, comme on va le voir, à la belle découverte de M. Hamilton.

D’après la notation adoptée dans cette Note, on a

on en déduit

le signe se rapportant à la variation de toutes les constantes qui figurent dans

En intégrant par parties les termes de la première intégrale, et remarquant que il vient

les indices et placés après les parenthèses indiquant qu’il faut y remplacer successivement le temps par et et faire la différence des deux résultats. Or, d’après les équations différentielles du mouvement, on a évidemment

en sorte que, étant constant en vertu du principe des forces vives, l’équation précédente devient

Si donc on considère comme une fonction de et de on aura

Ces équations peuvent être considérées comme la solution complète du problème proposé, qui sera, par conséquent, résolu si l’on parvient à déterminer la fonction caractéristique satisfait comme à une équation différentielle partielle dont une seule intégrale complète suffit pour résoudre le problème. Mais nous renverrons, pour l’étude de cette équation, au Mémoire de Jacobi, qui a traité avec développement le cas d’un système libre ; le

cas d’un système à liaisons quelconques ne présentera aucune difficulté aux personnes qui auront étudié les propositions analogues démontrées plus haut et relatives à la fonction

Nous ne pouvons indiquer ici aucune application particulière de la théorie qui fait l’objet de cette Note. On pourra consulter utilement plusieurs Mémoires de M. Liouville, insérés aux tomes XIV et XVI de son Journal et dans les Additions à la Connaissance des Temps pour 1850. (Note de M. J. Bertrand.)

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  1. Journal de Crelle, t. 17.