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Manifeste II de De Stijl 1920

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De Stijlannée 3, numéro 6 (p. 52-54).
MANIFESTE II DE „DE STIJL” 1920
LA LITTÉRATURE

l’organisme de la littérature contemporaine vit encore de la sentimentalité d’une génération affaiblie

LA PAROLE EST MORTE

les clichés naturalistes et les films dramatiques de mots
que les fabricants de livres nous fournissent
par mètre et au poids
ne contiennent rien des nouveaux coups d'audace de notre vie

LA PAROLE EST IMPUISSANTE

la poësie asthmatique et sentimentale
le “moi” et “lui”
qui est toujours usitée partout
et principalement en hollande
est sous l’influence d’un individualisme craintif de l’espace
résidu fermenté d’un temps vieilli
et nous remplit de dégoût

la psychologie dans notre littérature romanesque
ne repose que sur l’imagination subjective
l’analyse psychologique
et la rhétorique encombrante
ont TUÉ LA SIGNIFICATION DU MOT

ces phrases soigneusement mises l’une après l’autre et l’une en dessous de l’autre
cette phraséologie FRONTALE et sèche
dans laquelle les réalistes anciens présentaient leurs expériences bornées à eux-mêmes
sont entièrement impuissantes et ne peuvent exprimer les expériences collectives de notre temps

de même que l’ancienne conception de la vie
les livres sont basés sur la
LONGUEUR la DURÉE
ils sont
VOLUMINEUX
la nouvelle conception de la vie réside dans la
PROFONDEUR et L’INTENSITÉ
et ainsi nous voulons la poësie

pour construire littérairement les événements multiples
autour de nous et à travers de nous
il est nécessaire que la parole soit reconstituée
aussi bien suivant le SON que suivant L’IDÉE
si dans l’ancienne poësie
par la domination des sentiments relatifs et subjectifs
la signification intrinsèque de la parole est détruite
nous voulons par tous les moyens qui sont à notre disposition
la syntaxe
la prosodie
la typographie
l’arithmétique
l’orthographie
donner une nouvelle signification de la parole et une nouvelle force à l’expression

la dualité entre la prose et la poésie ne peut subsister
la dualité entre le contenu et la forme ne peut subsister
alors pour l’écrivain moderne la forme aura une signification directement spirituelle
il ne décrira aucun événement
il ne crira point
mais il ÉCRIRA

il recréera en la parole le collectif des événements :
unité constructive du contenu et de la forme

nous comptons sur l’appui moral et esthétique de tous ceux qui collaborent à la rénovation spirituelle du monde

leyde-hollande avril 1920
theo van doesburg/ piet mondriaan/ antony kok