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Manuel d’Épictète (trad. Thurot)

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Pour les autres éditions de ce texte, voir Manuel d'Épictète.

 ; Introduction de Charles Trurot
Traduction par Jean-François Thurot.
Librairie Hachette et Cie.
Page:Manuel d’Épictète, trad. Thurot, 1889.djvu.pdf/9

INTRODUCTION.


§ 1.

Épictète, né à Hiérapolis en Phrygie, fut, on ne sait pendant combien d’années, esclave d’Épaphrodite, affranchi de Néron[1]. Il était encore esclave, quand il entendit les leçons du philosophe stoïcien, Musonius Rufus, qui avait déjà du temps de Néron une grande réputation[2].

Épictète dut avoir dans sa condition plus d’une occasion de pratiquer les préceptes du stoïcisme[3]. On racontait[4] même que son maitre lui faisant appliquer à la jambe un instrument de torture, il dit en souriant : « Tu vas la casser », et que, la jambe ayant été cassée en effet, il reprit : « Ne te disais-je pas que tu allais la casser ? »

Quand il fut affranchi, il fit profession de philosophie. Car alors la philosophie était une vraie profession : ceux qui l’exerçaient étaient séparés des autres hommes non-seulement par leur manière de penser et de sentir, mais aussi par leur manière de vivre, par leur langage (ils employaient une foule de mots dans une autre acception que l’acception commune), et même par leur extérieur leur mine refrognée, leur teint jaune, leur grande barbe. Le philosophe se distinguait de celui qui n’était pas philosophe (ίδιώτης)[5], à peu près comme le moine se distingue des gens du siècle. Un autre rapport non moins frappant entre les philosophes de ces temps-là et les moines, c’est qu’ils excitaient, dans la société au milieu de laquelle ils vivaient isolés, des admirations enthousiastes et des antipathies non moins vives. Epictète représente à celui qui veut faire profession de philosophie, qu’il doit s’attendre au mépris des petits esclaves, à la risée de ceux qui le rencontreront, à être partout Page:Manuel d’Épictète, trad. Thurot, 1889.djvu.pdf/13 auraient trouvé que le grabat sur lequel il couchait[6]. Il se retira à Nicopolis, en Épire[7], où il était encore certainement sous le règne de Trajan. Peut-être a-t-il poussé sa carrière jusqu’à Adrien. Son enseignement faisait une impression profonde sur ses auditeurs, qui ne pouvaient s’empêcher d’éprouver les sentiments qu’il voulait leur inspirer[8]. Épictète trouva des enthousiastes et presque des dévots : un de ses admirateurs acheta sa lampe de terre 3000 drachmes (2160 francs)[9].

Il n’avait rien écrit. Mais Flavius Arrien, originaire de Nicomédie en Bithynie, qui avait suivi ses leçons à Nicopolis sous Trajan, rédigea les notes qu’il avait prises. Il publia les Discours (Διατριβαί) d’Épictète en huit livres, dont il ne nous reste plus que quatre ; et il tira de ces discours ce qui lui parut le plus essentiel et le plus

propre à faire impression sur les âmes[10] pour le condenser dans un petit livre qu’on pût avoir toujours sous la main (ἐγχειρίδιον, sous-ent. βιβλίον[11], en français manuel) et porter avec soi.
§ 2.

Épictète dit lui-mème (xlix) que c’est à Chrysippe, le second fondateur du stoïcisme, qu’il faut s’adresser, si l’on veut connaître la loi que l’on doit suivre. Le Manuel ne nous offre pas seulement les principes du stoïcisme, il nous les offre dans la langue technique, très-riche, que les stoïciens, grands inventeurs de mots nouveaux et surtout d’acceptions nouvelles, avaient imaginée et dont ils avaient défini tous les termes. Il est donc nécessaire de faire connaître le sens précis des mots techniques employés dans le Manuel et qu’il suppose connus ; c’est à ce point de vue que nous allons exposer les doctrines du stoïcisme ; nous laisserons de côté ce qui ne va pas à ce but[12].

Une première remarque essentielle à faire, c’est que ce petit livret ne s’adressait pas aux gens cultivés en général qui ne s’occupaient pas spécialement de philosophie, mais uniquement à ceux qui voulaient faire profession de philosophie et qui avaient déjà été instruits dans la logique, la physique et la morale stoïcienne ; c’est un memento à l’usage de ceux qui sont en progrès (προκοπή). Quoiqu’en principe les stoïciens n’admissent pas d’intermédiaire entre la sagesse et la folie, entre la vertu et le vice[13], ils reconnaissaient pourtant qu’il y avait des degrés dans la folie et le vice, que les uns sans posséder la sagesse en étaient tout près, qu’il ne leur manquait que d’avoir été mis à l’épreuve ; que les autres n’étaient pas assez sûrs d’eux-mêmes et pouvaient retomber dans les vices dont ils avaient été guéris ; qu’une troisième classe enfin comprenait tous ceux qui n’étaient qu’incomplétement guéris[14]. C’est évidemment à ces deux dernières classes que s’adressait le Manuel.

Les stoïciens divisaient la philosophie en trois parties (τόποι) coordonnées, logique, physique (ou plutôt science de la nature qui était en mème temps pour eux la divinité) et morale[15] ; mais, en réalité, ils subordonnaient la logique et la physique à la morale. Épictète ne parle en ce Manuel que de logique et de morale (lii) : il faut d’abord et avant tout pratiquer, par exemple ne pas mentir ; ensuite savoir la raison pourquoi il ne faut pas mentir ; en troisième et dernier lieu savoir ce que c’est qu’une raison et une démonstration.

La première question de la logique stoïcienne était celle de la certitude. Une idée (φαντασία) est l’impression faite sur l’âme soit par les objets sensibles, soit par les objets incorporels, comme une abstraction, la conclusion d’un raisonnement[16]. Quand l’impression est faite par quelque chose de réel et est conforme à cette réalité, l’idée est évidente (καταληπτική), tellement vraie qu’elle ne peut pas être fausse[17]. Mais une idée peut n’être pas tout à fait ce qu’elle représente (i, 5) ; il faut alors suspendre son jugement, l’examiner, et n’y acquiescer (συγκατατίθεσται) que quand on l’a reconnue conforme à son objet. Il ne dépend pas de nous d’avoir une idée, de ne pas recevoir une impression ; mais il dépend toujours de nous de donner ou de refuser notre acquiescement. En entendant tout à coup un grand fracas, le philosophe ne peut s’empêcher de recevoir l’impression, ni même de changer de visage ; mais tandis que celui qui n’est pas philosophe acquiesce, tient l’idée pour conforme à la chose, c’est-à-dire pour redoutable, le philosophe, lui, n’acquiesce pas ; il conserve fermement sa manière de voir, il sait que l’impression reçue n’est qu’une vaine apparence qui n’a rien de réellement redoutable[18]. D’autre part les stoïciens, ou du moins Épictète admet, comme Platon, que l’homme ne se refuse jamais volontairement à reconnaitre la vérité, que l’homme vicieux ne voit pas le bien comme l’aveugle ne voit pas la lumière, et qu’il fait le mal non pas parce qu’il croit que c’est le mal, mais parce qu’il le prend pour le bien[19]. Cependant le principe que l’acquiescement dépend de nous est l’un des fondements de la morale stoïcienne[20].

Voici sur quels principes (κανόνες)[21] on doit régler son acquiescement.

Il n’y a de bon, d’autre bien (ἀγαθόν) que la vertu et ce qui tient de la vertu. Il n’y a de mauvais, d’autre mal (κακόν) que le vice et ce qui tient du vice. Ce qui est bon est beau, honorable (καλόν), ce qui est mauvais est laid, honteux (αἰσχρόν). Ce qui est bon est en même temps utile (συμφέρον) et sert, profite (ὠφελεῖ), c’est-à-dire porte à la vertu ou y maintient. Ce qui est mauvais est nuisible, est un dommage (βλαβερόν, βλάβη). On ne peut nuire, causer de dommage (βλάπτειν) qu’en portant au vice ou en y maintenant. Comme le propre du feu est d’échauffer et non de refroidir, le propre de ce qui est bon est de servir et non pas de nuire. L’homme vertueux ne nuit donc à personne, et personne ne peut lui nuire (i, 3 ; xxx ; liii, 4)[22].

A un autre point de vue, ce qui est bon est conforme à la nature (κατὰ φύσιν). On reconnaît ce qui est conforme à la nature à ce que tous les hommes sont d’accord là-dessus[23] (xxvI). Tout le monde dit d’un commun accord que ce qui est bon est utile, doit être choisi, recherché en toute circonstance. La dispute ne commence que quand il s’agit d’appliquer le principe aux cas particuliers, de décider si telle chose en particulier est bonne[24]. Vivre conformément à la nature, c’est vivre conformément à sa propre nature, qui est celle d’être raisonnable (ζῷον λογικόν)[25], et à celle de l’univers, en ne faisant rien de ce que défend la loi commune ; cette loi commune est la raison qui pénètre toutes choses et qui est elle-même identique à Jupiter, en tant qu’il préside au gouvernement de l’univers[26]. Ce qui est mauvais est contraire à la nature (παρὰ φύσιν).

Vivre conformément à la nature, c’est vivre heureux (εὐροεῖν)[27]. Le bonheur consiste dans l’impassibilité (ἀπάθεια), le calme (ἀταραξία) d’une âme exempte de passions qui la troublent (ταράσσει). Il ne faut être frappé (θαυμάζειν) de rien, même d’un spectacle intéressant (xxxiii, 9). Toute passion, πάθος, est un faux jugement ; ainsi l’avarice est la pensée que l’argent est un bien[28]. Ce qui trouble les hommes ce ne sont pas les choses, mais les jugements (δόγματα) qu’ils en portent ; ainsi la mort n’est pas quelque chose de redoutable : ce qui est redoutable en elle c’est le jugement qu’elle est redoutable (v).

Les passions étaient distinguées en quatre genres : peine (λύπη), crainte (φόβος), appétition (ἐπιθυμία), plaisir (ἡδονή). On subdivisait ces genres en espèces : ainsi, comme la jalousie (ζηλοτυπία) ou peine qu’on éprouve de voir un autre en possession de ce qu’on a soi-même, la pitié ou peine qu’on éprouve de voir quelqu’un dans un malheur immérité était une espèce de peine et une peine dont on devait être exempt[29]. Épictète montre (xvi) que la pitié est un faux jugement parce que celui qu’on plaint est malheureux non par ce qui lui arrive, mais par le jugement qu’il en porte. Pour se garantir de ces faux jugements il faut se servir (χρῆσθαι, χρῆσις) de ses idées conformément à la nature, en recherchant ce qui est réellement bon, en évitant ce qui est réellement mauvais, c’est-à-dire en n’acquiesçant à ses idées que d’après les principes qui déterminent ce qui est bon et ce qui est mauvais[30].

Mais il y a autre chose que des idées dans la partie supérieure de l’âme (ἡγεμονικόν)[31], il y a aussi les mouvements (κινήσεις) par lesquels l’âme se porte vers ce qu’elle considère comme un bien et évite ce qu’elle considère comme un mal. Il y a des tendances (ὁρμή), des désirs (ὄρεξις), des averPage:Manuel d’Épictète, trad. Thurot, 1889.djvu.pdf/22 tombe jamais dans ce qui est l’objet de son aversion[32], car il ne désire que ce qui est bon et il n’a d’aversion que pour ce qui est mauvais ; c’est ce qui dépend toujours de nous, puisque notre acquiescement dépend de nous et que nous restons les maîtres de juger bon ce qui tient de la vertu et mauvais ce qui tient du vice.

Or la vertu (ἀρετή) consiste précisément à juger bon ce qui est réellement bon et mauvais ce qui est réellement mauvais ; aussi est-elle une science, et elle est composée de maximes (θεωρήματα)[33]. Les quatre vertus principales sont des sciences[34] : la prudence (φρόνησις) est la science de ce qu’il faut faire ou ne pas faire et de ce qui est indifférent, la tempérance (σωφροσύνη) est la science de ce qu’il faut rechercher et éviter et de ce qui est indifférent, la justice (δικαιοσύνη) est la science de ce qu’il faut attribuer à chacun, le courage (ἀνδρεία) est la science de ce qui est à craindre et à ne pas craindre et de ce qui est indifférent[35] ; au contraire, le vice (κακία) est une ignorance, et les quatre vices opposés aux quatre vertus sont l’ignorance de ce qu’il faut faire ou ne pas faire, etc. Il est essentiel de remarquer que l’expression grecque est beaucoup plus étendue que notre mot français vice, et comprend défaut, imperfection, puisque toute émotion qui trouble l’âme était vicieuse pour les stoïciens. A un autre point de vue, les vertus sont des facultés (ἀσφαλής), que nous avons reçues et dont nous devons user pour agir dans l’occasion avec prudence, avec tempérance, avec justice, avec courage, comme nous avons reçu la faculté de voir, celle d’entendre, etc.[36].

L’homme vertueux est sûr de lui (ἀσφαλής), sûr de ne pas tomber dans l’erreur et le vice[37] ; il est sans contrariété (ἀπαραπόδιστος), c’est-à-dire rien ne le gêne dans son action ; il est sans empêchement (ἀκώλυτος), c’est-à-dire rien ne le met dans l’impossibilité d’agir[38] ; il est libre (ἐλεύθερος), car personne n’est maître de lui donner ou de lui refuser ce qu’il veut ou ce qu’il ne veut pas[39]. L’homme vicieux, au contraire, est inconsistant (ἀσθενής) : il est contrarié (ἐμποδίζεται), il est empéché (κωλύεται), enfin il est esclave (δοῦλος).

Tout ce qui est bon et tout ce qui est mauvais dépend de nous (ἐφ’ ἡμῖν ἐστι), puisque l’acquiescement et toutes les opérations de notre âme pendent de nous[40]. Ce qui dépend de nous est à nous (ἡμέτερον), nous est propre (ἴδιον) ; ce qui ne dépend pas de nous est à autrui (ἀλλότριον)[41].

Ce qui ne dépend pas de nous est neutre (ἀδιάφορον), c’est-à-dire n’est ni bon ni mauvais. Ce qui est neutre ou bien ne contribue en rien au bonheur ou au malheur, comme la richesse, la réputation, la santé, la force, ou bien ne met pas en jeu nos tendances, comme d’étendre ou de ne pas étendre le doigt, de ramasser un fétu ou une feuille[42]. Cette seconde classe de choses neutres est véritablement indifférente, au sens où nous prenons ce mot en français. Si la première l’eût été également, il devenait impossible d’agir en une foule de circonstances ; on n’aurait pas eu de raison de se décider dans un sens plutôt que dans l’autre, par exemple de soigner un malade plutôt que de ne pas le soigner. Aussi les stoïciens, tout en maintenant qu’il n’y a de bon que la vertu, de mauvais que le vice, étaient-ils obligés de reconnaître entre les choses neutres de la première classe des différences de valeur (ἀξία) et de non-valeur (ἀπαξία)[43]. Ils ne voulaient pas dire que les choses qui ont de la valeur fussent bonnes (ἀγαθά), ils disaient qu’elles étaient avantageuses, προηγμένα[44] ; de même les choses qui manquent de valeur ne sont pas mauvaises (κακά), elles sont désavantageuses, ἀποπροηγμένα, rudes (τραχέα)[45], une contrariété (ἐμπόδιον)[46]. Les choses neutres sont ou conformes à la nature, comme la santé, la force, la bonne disposition des organes des sens, ou contraires à la nature, comme la maladie, l’infirmité, ou ni conformes ni contraires à la nature, comme la constitution en vertu de laquelle l’âme est susceptible d’idées et le corps de maladie ou d’infirmités. Les choses avantageuses sont relatives ou à l’âme, comme les dispositions pour la vertu, l’intelligence, la finesse, etc., ou au corps, comme la santé, la force, ou au dehors (ἐκτός), comme les parents, les enfants, la fortune, la considération[47]. Les choses désavantageuses, comme le manque de dispositions pour la vertu (ἀφυΐα), la maladie, la pauvreté, étaient classées de la même manière. Les choses relatives au corps et au dehors étaient aussi réunies sous la dénomination commune de choses extérieures (τὰ ἔξω) par opposition aux choses intérieures (τὰ ἔσω) ou de l’âme[48].

La manière de se conduire à l’égard des choses neutres rentrait dans la théorie de ce que les stoïciens appelaient offices (καθήκοντα). Un office est un acte dont on peut donner une raison plausible. A ce point de vue général, les animaux et même les plantes ont des offices[49]. Notre office, à nous autres êtres raisonnables, c’est de faire ce que la raison prescrit (αἱρεῖ ὁ λόγος)[50]. Les actes de vertu sont, bien entendu, prescrits par la raison et constituent l’espèce d’office que les stoïciens appelaient κατόρθωμα[51]. Dans les choses neutres nous trouvons ce que la raison prescrit, et nous apprécions (παραμετροῦμεν) nos offices en considérant les rapports de corrélation (σχέσις)[52] que la nature et la société ont établis entre le père et le fils, le frère et le frère, le magistrat et le subordonné, le concitoyen et le concitoyen, le voisin et le voisin, etc. Il y a corrélation entre deux choses quand chacune de deux qualités ne convient à chacune de deux choses que par rapport à l’autre, et cela quelques qualités qui conviennent d’ailleurs aux deux choses ; ainsi ce qui est à droite n’est à droite que par rapport à ce qui est à gauche et, à ce point de vue, n’est qu’à droite, et réciproquement ; de même le père n’est père que par rapport à son fils et, à ce point de vue, n’est que père par rapport à lui ; réciproquement, le fils n’est fils que par rapport à son père et, à ce point de vue, n’est que fils par rapport à lui[53]. En considérant ce rapport de corrélation, le fils trouve quel est son office à l’égard de son père ; la raison lui prescrit de le soigner et de le respecter, quel qu’il soit d’ailleurs, méchant ou bon, uniquement parce qu’il est son père et que pour lui, fils, il n’est pas autre chose : la méchanceté ou la bonté n’entrent pas dans le rapport de corrélation que la nature a établi entre le fils et le père (xxx).

Sur les principes que nous venons d’exposer, Épictète ne s’écarte en rien de l’enseignement de son école. Il en est autrement de l’application, du moins en quelques parties ; un moraliste ne peut pas ne pas mettre quelque chose de son caractère et même de sa situation personnelle dans la manière dont il traite de la morale.

En ce qui touche la religion, Épictète professe les sentiments des stoïciens sans différence appréciable. Il admet avec eux un Dieu suprême qui est en même temps l’intelligence universelle dont l’âme humaine est une parcelle détachée[54], la raison qui gouverne tout, la destinée qui conduit tout[55], le monde, κόσμος[56], et il lui donne, comme eux, le nom populaire de Jupiter, Ζεύς. Ce panthéisme, où la personnalité divine s’évanouit, se conciliait très-bien avec un polythéisme qui reconnait d’autres dieux subordonnés[57], parties du Dieu suprême, comme les astres, les éléments et en général tout ce qui dans la nature est avantageux à l’homme. Aussi Épictète, en parlant de la divinité, passe-t-il sans cesse du singulier au pluriel et du pluriel au singulier, sans que l’idée change sensiblement. Il y a corrélation entre la divinité et nous, et nous avons des offices à remplir à l’égard de Jupiter[58]. Le fond de la piété (εὐσέβεια) ou science du culte des dieux, c’est de porter sur eux des jugements droits, c’est de juger qu’ils gouvernent toutes choses avec sagesse et avec justice et de se soumettre de bonne grâce à tout ce qu’ils ordonnent[59]. La piété est fondée sur l’intérêt, l’utile (συμφέρον) ; car tout être animé est porté naturellement à rechercher ce qui lui est utile et à éviter ce qui lui est nuisible, à aimer celui qu’il considère comme la cause de son bien, à haïr celui qu’il considère comme la cause de son mal. Par conséquent, quand on est persuadé que la divinité ne peut nuire, qu’elle ne peut faire que du bien, on ne lui en voudra jamais[60]. Les stoïciens admettaient la divination et les présages ; ils y voyaient une conséquence de la bonté divine qui n’a pu refuser aux hommes une connaissance aussi précieuse pour eux que celle de l’avenir[61]. Épictète suit encore ici ses maitres (xxxii, xviii).

C’est surtout en ce qui touche la famille et l’État, en général nos relations avec les autres hommes, qu’Épictète s’écarte, sinon de la lettre, au moins de l’esprit du stoïcisme. Épictète rapporte toutes choses à l’homme intérieur, à l’usage de nos idées, à ce qui dépend de nous, c’est-à-dire aux opérations de notre âme, et il le fait si exclusivement que les différences de valeur entre les choses extérieures deviennent pour lui beaucoup moins importantes que les stoïciens n’étaient en général disposés à l’admettre.

Les stoïciens enseignaient que les affections de famille sont les plus pures de toutes, qu’il est conforme à la nature d’aimer ses enfants, que le sage se mariera, qu’il aura des enfants, que c’est un office à remplir envers l’État[62]. Le maître d’Épictète, Musonius, exhortait vivement et éloquemment au mariage[63]. Mais Épictète, qui avait été longtemps esclave et qui était demeuré célibataire, parle des affections de famille en homme qui ne les avait jamais connues. Il compare la perte d’un fils à celle d’une marmite ou d’une coupe (iii, xxvi) ; la divinité nous permet d’avoir une femme et un enfant, comme le pilote laisse le matelot qu’il a envoyé faire de l’eau ramasser sur son chemin un coquillage ou un oignon (vii) ; on ne doit pas s’inquiéter d’un mauvais présage, parce qu’il ne peut menacer que votre corps, votre fortune, votre réputation, vos enfants ou votre femme ; il n’a rien de menaçant pour vous si vous le voulez : quoi qu’il arrive, il dépend de vous d’en tirer profit (xviii). Épictète enseignait même que celui qui est arrivé au plus haut point de la sagesse ne se mariera pas pour ne point s’embarrasser dans des liens qui l’empêcheraient d’instruire les hommes, de leur prêcher la vertu et le bonheur, d’être le messager et le héraut des dieux[64].

Suivant les stoïciens, la vertu consistant dans l’action, et la justice, qui règle les rapports entre les hommes, étant de nature et non de convention, le sage se mêlera des affaires publiques, s’il n’y a pas d’empêchement absolu : ce sera pour lui une occasion de réprimer le vice et de pousser à la vertu, par conséquent de contribuer au bonheur de ses concitoyens[65]. On conçoit que, sous le régime impérial, un affranchi honnête homme n’ait pas eu ces visées. Épictète répète bien d’après ses maîtres qu’il faut se risquer pour sa patrie (xxxii, 3) ; mais il dit ailleurs[66] : « Tu me demandes si le sage se mêlera des affaires publiques ; mais quel état est plus grand que celui qu’il gouverne ? Il ne parlera pas aux Athéniens de leurs revenus, mais il s’adresse à tous les hommes, Athéniens, Corinthiens, Romains indifféremment, pour leur parler non de leurs revenus, non de paix ni de guerre, mais de bonheur et de malheur, d’esclavage et de liberté. » Le philosophe ne se fâchera pas d’être méprisé, de n’être compté pour rien ; il ne sera pas inutile à sa patrie s’il est un citoyen réservé et sûr ; sa patrie n’y gagnerait rien si, pour la servir, il cessait d’être vertueux (xxiv, 1, 4-5).

Les stoïciens vantaient beaucoup l’amitié où le sage sert le sage, et ils la rangeaient expressément au nombre des biens[67]. Épictète, qui parle, il est vrai, de l’amitié vulgaire, est assez froid là-dessus : la raison prescrit bien de risquer sa vie pour son ami (xxxiii, 3) ; mais pour lui donner de l’argent ou lui procurer le titre de citoyen romain, le philosophe, qui est sans argent et sans crédit, devra se consoler de ne pouvoir lui rendre ces services ; son ami ne peut pas exiger de lui qu’il cesse d’être réservé, sûr, magnanime (xxiv, 3).

Épictète peut paraître avoir adouci la rigueur stoïcienne sur un certain point. Suivant les stoïciens, le sage n’aura pas d’indulgence, parce que les hommes sont responsables de leurs vices ; il ne modérera pas les châtiments prescrits par les lois, parce que ces châtiments sont justes[68]. Épictète recommande partout de supporter sans s’irriter les vices d’autrui. L’homme vicieux se trompe, et on n’est jamais volontairement dans l’erreur ; montrez-lui clairement qu’il se trompe, et il agira autrement ; jusque-là on ne doit pas plus s’irriter de ce qu’il est vicieux, qu’on ne s’irrite de ce qu’un homme est sourd ou aveugle[69]. Tu es au bain ; on te pousse, on te vole ; c’est ce qui y arrive d’ordinaire (iv) ; quelqu’un dit du mal de toi : c’est son opinion ; et en se trompant il ne nuit qu’à lui-même (xlii) ; un scélérat te dépouille : qu’importe par qui Dieu te réclame ce qu’il t’a prêté (xi) ? Ton esclave est vicieux (xii, 1 ; xiv, 1) : c’est de la folie que de vouloir qu’il ne soit pas en faute ; c’est vouloir que le vice ne soit pas le vice (xiv, 1) ; enfin ce qui donne le motif et indique le vrai caractère de cette indulgence, il vaut mieux que ton esclave soit vicieux que toi malheureux (xii, 1) ; il ne faut pas que le calme de ton âme dépende d’un esclave (xii, 2).

Ce qui est surtout original dans Épictète, c’est l’accent de sa parole, c’est la manière dont il a senti ses idées. Les courts chapitres du Manuel ne peuvent guère donner une idée de la forme ordinaire de son enseignement telle que l’offrent les Discours. Cependant le chapitre xxix qui est tiré des Discours (iii, 15), et les chapitres xxiv et xxv qui ont le même caractère, nous montrent au naturel comment il parlait et agissait sur ses auditeurs. Dans le caractère général de son exposition, il paraît encore avoir été fidèle à la tradition de son école. « Les stoïciens[70] », dit Cicéron, « vous piquent par de courtes interrogations, comme par des aiguillons. » Dans Horace[71], le stoïcien Damasippe expose souvent ses idées sous la forme d’un dialogue pressant avec l’homme passionné qu’il s’agit de convaincre de folie. Épictète emploie ces procédés traditionnels avec une véritable originalité : « Bien que le style d’Épictète », dit très-bien M. Martha[72], « soit simple et d’une nudité athlétique qui sied bien à cette morale militante, on y rencontre çà et là des images frappantes qui saisissent l’esprit et donnent un vif éclat à ces solides pensées. Il a le langage populaire, incisif et pittoresque. Des comparaisons tirées de la vie commune révèlent une certaine originalité plébéienne. Mais son imagination est tout entière au service du raisonnement, ses métaphores ne sont que des démonstrations, et ses allégories mêmes ont la précision de la pure logique. Sa parole, libre comme son âme, affranchie des élégances convenues, ne dédaigne pas d’employer les expressions vulgaires, empruntées aux carrefours, et saisit parfois avec plaisir quelque mot trivial pour en accabler les objets de son mépris. Mais où paraît surtout la foi intrépide de ce prêcheur obstiné, c’est dans cette dialectique tranchante où il lutte avec les passions, où il les interroge, les fait répondre et les confond en quelques mots souvent sublimes. L’héroïsme stoïque y éclate en dialogues cornéliens. Ce Socrate sans grâce ne s’amuse pas à faire tomber mollement un adversaire dans les longs filets d’une dialectique captieuse, il le saisit brusquement et l’achève en deux coups. On peut appliquer à cette éloquence le mot de Démosthène sur Phocion : C’est la hache qui se lève et retombe. »

§ 3.

La réputation d’Épictète demeura considérable après sa mort. Marc-Aurèle mentionne comme une des obligations qu’il a à Rusticus de lui avoir fait lire les écrits qui conservent le souvenir de la personne et de l’enseignement d’Épictète[73]. Ces écrits servaient de fond à l’enseignement du néoplatonicien Théosébius, vers l’an 450[74]. L’un des derniers néoplatoniciens, Simplicius, qui enseignait à Athènes lorsque les écoles de philosophie païenne furent fermées par Justinien (529), a com- posé un commentaire très-développé du Manuel d’Épictète. L’ouvrage ne parait pas avoir eu moins de succès parmi les chrétiens. Il est remarquable qu’un écrivain religieux du commencement du cinquième siècle, saint Nil, et l’auteur anonyme d’une paraphrase dont on ignore la date, aient cru pouvoir accommoder le Manuel d’Épictète à l’usage de la vie monastique moyennant quelques modifications qui ne touchent pas au fond des doctrines. Ces changements sont insignifiants dans saint Nil : il remplace le pluriel θεοί par le singulier θεός (xxxi), σπένδειν… πάτρια par ἅπτεσθαι ἔργου (xxxi, 5), Σωκράτης ἢ Ζήνων par τὶς τῶν ἐναρέτων (xxxiii, 11), Socrate par saint Paul (li, 3), Ἄνυτος καὶ Μέλιτος par τὶς (lii, 4). Il supprime le chapitre xxxii sur la divination, en conservant le chapitre xviii sur les présages ; il supprime en outre le § 8 du chapitre xxxiii (dans les éditions ordinaires), les §§ 1-3 du chapitre lii. Les modifications de ce genre sont beaucoup plus nombreuses dans la paraphrase ; mais les deux auteurs s’accordent à respecter les nombreux passages où Épictète fait dépendre le bonheur et la vertu de l’homme de sa seule volonté.

Le Manuel d’Épictète a été traduit plusieurs fois en français dès le seizième siècle et au commencement du dix-septième ; et il a eu la singulière fortune de faire l’impression la plus vive sur le génie de Pascal. On connaît ce magnifique entretien[75] où Pascal, causant avec M. de Saci, lui dit que « ses deux livres les plus ordinaires avaient été Épictète et Montaigne, » et met en parallèle Épictète et Montaigne « comme les deux plus grands défenseurs des deux plus célèbres sectes du monde et les plus conformes à la raison, puisqu’on ne peut suivre qu’une de ces deux routes, savoir : ou qu’il y a un Dieu, et lors il (l’homme) y place son vrai bien ; ou qu’il est incertain (qu’il y ait un Dieu), et qu’alors le vrai bien l’est aussi, puisqu’il (l’homme) en est incapable. » Il va même jusqu’à dire qu’Épictète a si « bien connu les devoirs de l’homme, » qu’ « il mériterait d’être adoré, s’il avait aussi bien connu son impuissance, puisqu’il fallait être Dieu pour apprendre l’un et l’autre aux hommes. » Il est remarquable qu’entre autres passages du Manuel, qu’il cite pour montrer qu’Épictète a bien connu les devoirs de l’homme, il n’a pas laissé de côté le chapitre xi, qui nous paraît si choquant : « Dites mon fils est mort, je l’ai rendu ; ma femme est morte, je l’ai rendue. »

Comme M. Havet l’a fort justement remarqué[76], ce jugement « est d’une originalité, d’une force et d’une autorité qui tiennent aux profondes racines qu’il a dans la pensée de celui qui parle ; car ce n’est point ici un sujet auquel un auteur applique son esprit en passant, et qu’il ne touche que par quelques points : toutes ses idées, toutes ses croyances, tout son cœur est engagé dans ces réflexions, et ce qu’il dit aujourd’hui sur Epictète et Montaigne, n’est que ce qu’il pense tous les jours sur le secret continuellement sondé de sa nature et de sa fin. On comprend seulement que, précisément à cause de la passion qu’il porte dans cette étude, il approfondit plutôt la thèse d’Epictète ou de Montaigne qu’il ne pénètre ces hommes eux-mêmes. » En effet, comme Pascal ne tient aucun compte des circonstances où ont vécu Epictète et Montaigne, il établit entre le païen, qui vivait du temps de Trajan, et le chrétien, qui vivait au seizième siècle, un rapprochement forcé ; ensuite il attribue à Épictète des doctrines qui étaient celles de la secte philosophique à laquelle il appartenait.

Quant au fond des choses, Pascal a bien vu ce qui sépare la morale, ou, pour parler plus exactement, l’ascétisme d’Epictète de l’ascétisme chrétien, mais de l’ascétisme chrétien entendu sens janséniste et en admettant la doctrine de la grâce. Si on ne reconnait pas que l’homme est absolument incapable d’arriver par ses propres forces au bien, la critique de Pascal perd de sa force ; encore, à certains égards, les stoïciens, qui étaient fatalistes, ne s’éloignaient-ils pas de ceux qui ont soutenu le dogme de la prédestination jusqu’à ses dernières conséquences, et même, comme eux, ils tombaient dans l’inconséquence d’admettre la morale et une morale rigoriste. Cependant on sent évidemment dans l’ascétisme stoïcien un autre esprit que dans l’ascétisme chrétien ; et Pascal a eu raison d’y voir une différence radicale. Les stoïciens ne se faisaient pas de la divinité les mêmes idées que les chrétiens. Le dieu des stoïciens, qui ne se distinguait pas du monde (κόσμος), n’est pas un être personnel qui puisse inspirer les sentiments que l’Homme-Dieu inspire à des chrétiens ; le Jupiter stoïcien est la loi universelle, il est la destinée qui détermine tout : on ne peut pas aimer la loi ni la destinée comme on aime un être doué de raison et de volonté. L’amour de Dieu, qui est le fond de l’ascétisme chrétien, est complétement étranger à l’ascétisme stoïcien. Épictète paraît dire les mêmes choses que les écrivains ascétiques ; mais les mêmes mots n’ont pas pour lui le même sens, et quand Pascal fait dire à Épictète « que l’homme peut par ces sances parfaitement connaître Dieu, l’aimer, lui obéir, lui plaire…, acquérir toutes les vertus, se rendre saint, et ainsi compagnon de Dieu », Pascal altère gravement la pensée d’Épictète, parce que le mot Dieu réveille en lui des idées et surtout des sentiments très-différents de ceux que le mot θεός réveillait chez Épictète. Enfin l’ascétisme chrétien repose sur l’amour de Dieu et tend à l’union intime avec Dieu ; l’ascétisme stoïcien repose sur la soumission et l’obéissance à l’ordre universel et tend à l’impassibilité.


Cette traduction est la révision de celle que mon oncle, François Thurot[77], a publiée en regard du texte donné par son ami Coray dans l’édition intitulée : ΕΠΙΚΤΗΤΟΥ ΕΓΧΕΙΡΙΔΙΟΝ, ΚΕΒΗΤΟΣ ΠΙΝΑΞ, ΚΛΕΑΝΘΟΥΣ ΥΜΝΟΣ, ΕΚΔΟΝΤΟΣ ΚΑΙ ΔΙΟΡΘΩΣΑΝΤΟΣ ΤΑ ΔΥΟ ΠΡΩΤΑ ΤΟΥ F. TH. ΚΑΙ ΤΟ ΤΡΙΤΟΝ, ΕΤΕΡΟΥ. ΕΝ ΠΑΡΙΣΙΟΙΣ, Didot, 1826, in-8o.

Les principales modifications que j’ai faites portent sur la partie technique du Manuel : j’ai toujours traduit par les mêmes expressions les formules, et j’ai mis en italiques tous les termes techniques. Pour bien comprendre Épictète il faut entendre ces mots dans le sens que les stoïciens y attachaient et qu’on trouvera défini dans l’introduction. Les textes sont cités in extenso dans le lexique des mots techniques qui se trouvent dans le Manuel d’Épictète et qui est à la suite de l’édition du texte du manuel[78] ; je renvoie à cette édition pour la justification de la leçon et du

sens que j’ai cru devoir adopter en un certain nombre de passages.
MANUEL
D’ÉPICTÈTE

I.

1. Des choses les unes dépendent de nous, les autres ne dépendent pas de nous. Ce qui dépend de nous, ce sont nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions, en un mot tout ce qui est opération de notre âme ; ce qui ne dépend pas de nous, c’est le corps, la fortune, les témoignages de considération, les charges publiques, en un mot tout ce qui n’est pas opération de notre âme. 2. Ce qui dépend de nous est, de sa nature, libre, sans empêchement, sans contrariété ; ce qui ne dépend pas de nous est inconsistant, esclave, sujet à empêchement, étranger.

3. Souviens-toi donc que si tu regardes comme libre ce qui de sa nature est esclave, et comme étant à toi ce qui est à autrui, tu seras contrarié, tu seras dans le deuil, tu seras troublé, tu t’en prendras et aux dieux et aux hommes ; mais si tu ne regardes comme étant à toi que ce qui est à toi, et si tu regardes comme étant à autrui ce qui, en effet, est à autrui, personne ne te contraindra jamais, personne ne t’empêchera, tu ne t’en prendras à personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras absolument rien contre ton gré, personne ne te nuira ; tu n’auras pas d’ennemi1, car tu ne souffriras rien de nuisible. 4. Aspirant à de si grands biens, songe qu’il ne faut pas te porter mollement à les rechercher, qu’il faut renoncer entièrement à certaines choses et en ajourner d’autres quant à présent. Mais si outre ces biens tu veux encore le pouvoir et la richesse, peut-être n’obtiendras-tu même pas ces avantages parce que tu aspires en même temps aux autres biens, et, en tout cas, ce qu’il y a de certain, c’est que tu manqueras les biens qui peuvent seuls nous procurer la liberté et le bonheur.

5. Ainsi, à toute idée rude2, exerce-toi à dire aussitôt : « Tu es une idée, et tu n’es pas tout à fait ce que tu représentes. » Puis examine-la, applique les règles que tu sais, et d’abord et avant toutes les autres celle qui fait reconnaître si quelque chose dépend ou ne dépend pas de nous ; et si l’idée est relative à quelque chose qui ne dépende pas de nous, sois prêt à dire : « Cela ne me regarde pas. »

II.

1. Souviens-toi que ce que le désir déclare qu’il veut, c’est d’obtenir ce qu’il désire, que ce que l’aversion déclare qu’elle ne veut pas, c’est de tomber dans ce qu’elle a en aversion ; et quand on n’obtient pas ce qu’on désire, on n’est pas heureux, quand on tombe dans ce qu’on a en aversion, on est malheureux. Si donc tu n’as d’aversion que pour ce qui est contraire à la nature dans ce qui dépend de toi, tu ne tomberas dans rien de ce que tu as en aversion ; mais si tu as de l’aversion pour la maladie, la mort ou la pauvreté, tu seras malheureux.

2. Cesse donc de donner pour objet à ton aversion rien de ce qui ne dépend pas de nous, transporte-la sur ce qui est contraire à la nature dans ce qui dépend de nous. Quant au désir, supprime-le absolument pour le moment1. En effet, si tu désires quelque chose qui ne dépende pas de nous, infailliblement, tu ne seras pas heureux ; et quant aux choses qui dépendent de nous, qu’il est beau de désirer, il n’en est aucune qui soit encore à ta portée. Borne-toi à tendre vers les choses et à t’en éloigner, mais légèrement, en faisant des réserves, et sans ardeur.

III.
A propos de tout objet d’agrément, d’utilité ou d’affection, n’oublie pas de te dire en toi-même ce qu’il est, à commencer par les moins considérables. Si tu aimes une marmite, dis : « C’est une marmite que j’aime ; » alors, quand elle se cassera, tu n’en seras pas troublé : quand tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis-toi que c’est un être humain2 que tu embrasses ; et alors sa mort ne te troublera pas.
IV.

Quand tu entreprends quelque chose, rappelle-toi ce que c’est. Si tu t’en vas te baigner, représente-toi ce qui arrive tous les jours au bain1, les gens qui vous jettent de l’eau, qui vous poussent, qui vous injurient, qui vous volent2 ; tu seras plus sûr de toi en allant te baigner, si tu te dis aussitôt : « Je veux me baigner, mais je veux aussi conserver ma volonté dans un état conforme à la nature. » Et de même en chaque occasion. Ainsi, s’il te survient au bain quelque contrariété, tu auras aussitôt présent à l’esprit : « Mais je ne voulais pas seulement me baigner, je voulais conserver aussi ma volonté dans un état conforme à la nature ; et je n’y réussirai pas, si je m’irrite de ce qui arrive tous les jours. »

V.

Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, ce sont les jugements qu’ils portent sur les choses. Ainsi la mort n’a rien de redoutable, autrement elle aurait paru telle à Socrate ; mais le jugement que la mort est redoutable, c’est là ce qui est redoutable. Ainsi donc quand nous sommes contrariés, troublés ou peinés, n’en accusons jamais d’autres que nous-même, c’est-à-dire nos propres jugements. Il est d’un ignorant de s’en prendre à d’autres de ses malheurs ; il est d’un homme qui commence à s’instruire de s’en prendre à lui-même ; il est d’un homme complètement instruit de ne s’en prendre ni à un autre ni à lui-même.

VI.

Ne t’enorgueillis d’aucun avantage qui soit à autrui. Si un cheval disait avec orgueil : « Je suis beau, » ce serait supportable ; mais toi, quand tu dis avec orgueil : « J’ai un beau cheval, » apprends que tu t’enorgueillis d’un avantage qui appartient au cheval. Qu’est-ce qui est donc à toi ? L’usage de tes idées. Quand tu en uses conformément à la nature, alors enorgueillis-toi ; car tu t’enorgueilliras d’un avantage qui est à toi.

VII.
Il en est de la vie comme d’une navigation1. Si l’on relâche, et que l’on t’envoie faire de l’eau, accessoirement tu pourras sur ta route ramasser un coquillage ou un oignon, mais il faut toujours avoir l’esprit tendu vers le navire, te retourner sans cesse pour voir si le pilote ne t’appelle pas, et, s’il t’appelle, laisser tout cela pour ne pas te voir lié et jeté à bord comme un mouton : de même dans la vie, si au lieu d’un coquillage ou d’un oignon, tu as une femme et un enfant, rien n’empêche ; mais si le pilote t’appelle, cours au vaisseau, en laissant tout cela, sans te retourner. Si tu es vieux, ne t’éloigne pas trop du navire, pour ne pas risquer de manquer à l’appel.
VIII.

Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu désires ; mais désire que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux.

IX.

La maladie est une contrariété pour le corps, mais non pour la volonté, si elle ne veut pas. Être boiteux est une contrariété pour la jambe, mais non pour la volonté. Dis-toi la même chose à chaque incident ; tu trouveras que c’est une contrariété pour autre chose, mais non pour toi.

X.
A chaque occasion qui se présente, replie-toi sur toi-même et cherche quelle faculté tu as en toi-même pour te conduire : si tu vois une belle femme, tu trouveras en toi la faculté de la continence ; s’il se présente une fatigue à supporter, tu trouveras celle de l’endurance ; une injure, tu trouveras celle de la patience. Si tu prends cette habitude, tes idées ne t’emporteront pas.
XI

Ne dis jamais de quoi que ce soit : « Je l’ai perdu, » mais : « Je l’ai rendu. » Ton enfant est mort : il est rendu. Ta femme est morte : elle est rendue. « On m’a enlevé mon bien. » — Eh bien ! il est rendu aussi. — « Mais c’est un scélérat que celui qui me l’a enlevé. » — Eh ! que t’importe par qui celui qui te la donné l’a réclamé ? Tant qu’il te le laisse, occupe-t’en comme de quelque chose qui est à autrui, ainsi que les passants usent d’une hôtellerie.

XII

1. Si tu veux faire des progrès, laisse là toutes ces réflexions, comme : « Si je néglige ma fortune, je n’aurai pas de quoi manger ; » « Si je ne châtie pas mon esclave, il sera vicieux. » Il vaut mieux mourir de faim, exempt de peine et de crainte, que de vivre dans l’abondance et le trouble ; il vaut mieux que ton esclave soit vicieux, et que tu ne sois pas malheureux.

2. Commence donc par les petites choses. On laisse couler ton huile ; on vole ton vin : dis-toi, « C’est à ce prix que se vend l’impassibilité, c’est à ce prix que se vend le calme. » On n’a rien pour rien. Quand tu appelles ton esclave, pense qu’il peut ne pas répondre à ton appel, et, y répondant, ne rien faire de ce que tu veux, mais que sa situation n’est pas assez belle pour qu’il dépende de lui que tu ne sois pas troublé.
XIII

Si tu veux faire des progrès, résigne-toi à passer pour un idiot et pour un imbécile dans les choses du dehors, consens à passer pour n’y rien entendre ; et si quelques-uns te croient quelque chose, défie-toi de toi-même. Sache qu’il n’est pas facile de conserver sa volonté dans un état conforme à la nature, et en même temps de veiller sur les choses du dehors ; mais nécessairement, on ne peut s’occuper de l’un sans négliger l’autre.

XIV

1. Si tu veux que tes enfants, ta femme, tes amis vivent toujours, tu es un imbécile ; tu veux que ce qui ne dépend pas de toi, dépende de toi ; tu veux que ce qui est à autrui soit à toi. Ainsi, si tu veux que ton esclave ne commette pas de fautes, tu es fou ; tu veux que le vice ne soit pas le vice, mais autre chose. Mais si tu veux ne pas manquer ce que tu désires, tu le peux ; applique-toi donc à ce que tu peux.

2. On est toujours le maître d’un homme, quand on a le pouvoir de lui donner ou de lui ôter ce qu’il veut ou ce qu’il ne veut pas. Si l’on veut être libre, qu’on n’ait ni désir ni aversion pour rien de ce qui dépend d’autrui ; sinon, il faut être esclave.
XV

Souviens-toi que tu dois te comporter dans la vie comme dans un festin. Le plat qui circule arrive à toi : étends la main et prends avec discrétion. Il passe plus loin : ne le retiens pas. Il n’est pas encore arrivé : ne le devance pas de loin par tes désirs, attends qu’il arrive à toi. Fais-en de même pour des enfants pour une femme, pour des charges publiques, pour de l’argent ; et tu seras digne de t’asseoir un jour à la table des dieux1. Mais si l’on te sert et que tu ne prennes rien, que tu dédaignes de prendre, alors tu ne seras pas seulement le convive des dieux, tu seras leur collègue. C’est en se conduisant ainsi que Diogène2, qu’Héraclite et ceux qui leur ressemblent ont mérité d’être appelés des hommes divins, comme ils l’étaient en effet.

XVI
Quand tu vois quelqu’un qui pleure, soit parce qu’il est en deuil, soit parce que son fils est au loin, soit parce qu’il a perdu ce qu’il possédait, prends garde de te laisser emporter par l’idée que les accidents du dehors qui lui arrivent sont des maux. Rappelle-toi sur-le-champ que ce qui l’afflige ce n’est pas l’accident, qui n’en afflige pas d’autre que lui, mais le jugement qu’il porte sur cet accident. Cependant n’hésite pas à lui témoigner, au moins des lèvres, ta sympathie, et même, s’il le faut, à gémir avec lui ; mais prends garde de gémir du fond de l’âme.
XVII

Souviens-toi que tu es l’acteur d’un rôle, tel qu’il plaît à l’auteur1 de te le donner : court, s’il l’a voulu court ; long, s’il l’a voulu long ; s’il veut que tu joues un rôle de mendiant, joue-le naïvement ; ainsi d’un rôle de boiteux, de magistrat, de simple particulier. C’est ton fait de bien jouer le personnage qui t’est donné ; mais de le choisir, c’est le fait d’un autre.

XVIII

Quand un corbeau2 pousse un cri de mauvais augure, ne te laisse pas emporter par ton idée ; distingue3 aussitôt en toi-même, et dis : « Dans tout cela il n’y a point de présage pour moi, il ne peut y en avoir que pour mon corps, ma fortune, ma réputation, mes enfants, ma femme. Quant à moi, tout est de bon augure, si je veux ; car quel que soit l’événement, il dépend de moi d’en tirer profit. »

XIX

1. Tu peux être invincible, si tu ne t’engages dans aucune lutte, où il ne dépend pas de toi d’être vainqueur.

2. Quand tu vois un homme revêtu d’honneurs extraordinaires ou d’un grand pouvoir ou de toute autre illustration, prends garde de le proclamer heureux et de te laisser emporter par ton idée. Si la substance1 du bien est dans les choses qui dépendent de nous, il n’y a pas de place pour l’envie ni pour la jalousie ; et toi-même, tu ne voudras pas être stratège2, prytane ou consul, tu voudras être libre. Or il n’y a qu’une route pour y arriver, mépriser ce qui ne dépend pas de nous.

XX

Souviens-toi qu’on n’est pas outragé par celui qui injurie ou qui frappe, mais par le jugement qu’ils vous outragent. Quand quelqu’un te met en colère, sache que c’est ton jugement qui te met en colère. Efforce-toi donc avant tout de ne pas te laisser emporter par ton idée ; si une fois tu gagnes du temps, quelque délai, tu seras plus facilement maître de toi.

XXI

Aie tous les jours devant les yeux la mort, l’exil et tout ce qui parait effrayant, surtout la mort, et jamais tu ne penseras rien de bas, ni ne désireras rien avec excès.

XXII

Si tu désires être philosophe, attends-toi dès lors à être un objet de dérision, à être en butte aux moqueries d’une foule de gens qui disent : « Il nous est revenu1 tout à coup philosophe » et « D’où vient cet air refrogné ? » Toi, n’aie pas l’air refrogné ; mais attache-toi à ce qui te paraît le meilleur, avec la conviction que la divinité t’a assigné ce poste : souviens-toi que si tu restes fidèle à tes principes, ceux qui se moquaient d’abord de toi, t’admireront plus tard ; mais si tu es vaincu par leurs propos, tu te rendras doublement ridicule.

XXIII

S’il t’arrive de te tourner vers l’extérieur par complaisance pour quelqu’un, sois sûr que tu as perdu ton assiette. Contente-toi donc, partout, d’être philosophe. Si de plus tu veux le paraître, parais-le à toi-même ; et c’est suffisant.

XXIV

1. Ne t’afflige pas par des raisonnements comme : « Je vivrai sans considération et je ne serai rien nulle part. » Si le manque de considération est un mal, tu ne peux souffrir de mal par le fait d’autrui, non plus que de honte. Est-ce que c’est quelque chose qui dépend de toi, que d’obtenir une charge ou d’être invité à un grand repas ? nullement. Comment est-ce donc une humiliation ? Comment ne seras-tu rien nulle part, toi qui ne dois être quelque chose que dans ce qui dépend de toi, là où tu peux avoir le plus grand mérite ?

2. Mais tu ne viendras pas en aide à tes amis. Qu’est-ce que tu dis là, ne pas venir en aide ? Tu ne leur donneras pas de monnaie ? Tu ne les feras pas citoyens romains ? Et qui donc t’a dit que ce sont là des choses qui dépendent de nous, et non d’autrui ? Qui est-ce qui peut donner à un autre ce qu’il n’a pas lui-même ? « Acquiers, » dira l’un d’eux, « pour que nous ayons. »

3. Si je puis acquérir en restant discret, sûr, magnanime, montre-moi le moyen, et j’acquerrai. Si vous exigez que je perde les biens qui me sont propres pour vous acquérir ce qui n’est pas un bien, voyez vous-mêmes comme vous êtes injustes et déraisonnables. Et que préférez-vous donc ? de l’argent qu’un ami loyal et réservé ? Aidez-moi donc plutôt à acquérir ce bien-là, et n’exigez pas que je fasse ce qui me le fera perdre.

4. « Mais, » dira quelqu’un, « ma patrie, je ne lui viendrai pas en aide, autant qu’il est en moi. » Encore une fois, quelle aide ? Elle ne te devra pas de portiques, de bains ? Et qu’est-ce que cela ? Tes concitoyens ne sont pas non plus chaussés par l’armurier, ni armés par le cordonnier ; il suffit que chacun remplisse sa tâche. Si tu procurais à la patrie quelque autre citoyen loyal et réservé, ne lui aurais-tu rendu aucun service ? — « C’est vrai. » — Eh bien ! alors, tu ne lui seras pas non plus inutile.

5. « Quelle place aurai-je donc dans l’État ? — Celle que tu peux avoir en restant homme loyal et réservé. Mais si pour venir en aide à ta patrie, tu perds ces biens, de quelle utilité peux-tu lui être quand tu seras devenu impudent et déloyal ?
XXV

1. On t’a préféré quelqu’un, soit pour l’inviter à un repas, soit pour le saluer, soit pour l’appeler à une délibération ? Si ce sont là des biens, tu dois te réjouir de ce qu’il les a obtenus ; si ce sont des maux, ne t’afflige pas de n’en avoir pas ta part : souviens-toi que quand tu ne fais pas la même chose que les autres pour avoir ce qui ne dépend pas de nous, tu ne peux pas prétendre en avoir autant. 2. Et comment celui qui ne fait pas une cour assidue1 à un grand, peut-il être traité comme celui qui la fait ? celui qui ne lui fait pas cortége2, comme celui qui le fait ? celui qui ne le loue pas, comme celui qui le loue ? Tu seras injuste et insatiable, si, sans avoir payé le prix, tu veux recevoir pour rien ce qu’il vend. 3. Voyons, combien se vend la laitue ? Supposons que ce soit une obole3. Quand quelqu’un a de la laitue en donnant son obole et que toi tu n’en as pas en ne donnant pas la tienne, ne crois pas être moins bien traité que celui qui en a. S’il a sa laitue, toi, tu as ton obole, que tu n’as pas donnée. 4. De même ici. Quelqu’un ne t’a pas invité à un repas ? C’est que tu n’as pas payé le prix auquel il vend son repas ; il le vend pour des compliments, il le vend pour des soins. Paye le prix auquel il vend, si tu y trouves un avantage ; mais si tu veux à la fois ne pas payer et recevoir, tu es insatiable et imbécile.

5. N’as-tu donc rien à la place du repas ? Oui, tu as quelque chose, tu as de ne pas louer qui tu ne veux pas, tu as de ne pas essuyer les insolences des esclaves qui gardent sa porte4.
XXVI

On peut reconnaître ce que veut la nature aux choses sur lesquelles nous ne différons pas d’avis entre nous. Ainsi, quand l’esclave d’un autre casse sa coupe, nous avons aussitôt sur les lèvres : « Cela se voit tous les jours. » Sache donc que quand on cassera ta coupe, tu dois être tel que tu es quand on casse celle d’un autre. Applique cette réflexion à des événements plus importants. Quelqu’un perd son fils ou sa femme ? Il n’est personne qui ne dise : « C’est la condition de l’humanité. » Mais quand on fait cette perte soi-même, aussitôt de dire : « Hélas ! que je suis malheureux ! » Il faudrait pourtant se rappeler ce qu’on éprouve en l’entendant dire d’un autre.

XXVII

Comme on ne place pas de but pour qu’on le manque, de même le mal de nature n’existe pas dans le monde1.

XXVIII

Si on confiait ton corps au premier venu, tu serais indigné ; et toi, quand tu confies ton âme au premier venu, pour qu’il la trouble et la bouleverse par ses injures, tu n’en as pas de honte ?

XXIX

1. Dans toute affaire, examine bien les antécédents1 et les conséquents, et alors entreprends. Sinon, tu seras d’abord plein de feu, parce que tu n’as pas réfléchi à l’enchaînement des choses ; et plus tard, quand quelques difficultés se produiront, tu renonceras honteusement. 2. Tu veux être vainqueur aux jeux olympiques2 ? Et moi aussi, de par les dieux ; car c’est une belle chose3. Mais examine bien les antécédents et les conséquents, et alors entreprends. Il faut obéir à une discipline, manger de force4, t’abstenir de gâteau, faire des exercices forcés, à des heures réglées, par le chaud, par le froid, ne boire ni eau fraîche ni vin indifféremment, en un mot, te mettre entre les mains du dresseur comme entre celles d’un médecin ; puis, dans l’arène, il faut creuser des fosses5, quelquefois se démettre un bras, se donner une entorse, avaler force poussière, quelquefois être fouetté6, et avec tout cela être vaincu. 3. Quand tu auras bien pesé tout cela, si tu persistes, fais-toi athlète. Sinon, tu seras comme les petits enfants qui jouent tantôt au lutteur, tantôt au gladiateur, qui tantôt sonnent de la trompette, tantôt déclament ; de même, tu seras tantôt athlète, tantôt gladiateur, puis rhéteur, ensuite philosophe, et jamais rien du fond de l’âme ; tu imiteras comme un singe tout ce que tu verras faire, et chaque chose te plaira à son tour. C’est qu’avant d’entreprendre tu n’as pas bien examiné, retourné la chose sous toutes ses faces ; tu vas au hasard et sans désirer vivement. 4. C’est ainsi que certaines gens pour avoir vu un philosophe, pour avoir entendu parler comme parle Euphrate1 (et pourtant qui peut parler comme Euphrate ?), veulent aussi être philosophes. 5. Mais, pauvre homme, examine d’abord ce que c’est que d’être philosophe ; ensuite étudie ta propre nature, pour voir si tu es de force. Tu veux être pentathle2 ou lutteur ? Considère tes bras, tes cuisses, examine tes reins. L’un est doué pour une chose, l’autre pour une autre. 6. Crois-tu qu’en te faisant philosophe tu peux manger et boire de la même manière3, avoir les mêmes désirs, les mêmes aversions ? Il faut veiller, peiner, te séparer des tiens, t’exposer au mépris d’un petit esclave, aux risées des passants, avoir le dessous partout, en honneurs, en dignités, devant les juges, enfin en toute chose. 7. Pèse bien tout cela. Maintenant si tu tiens à avoir en échange l’impassibilité, la liberté, le calme, c’est bien ; sinon, retire-toi. Ne fais pas comme les enfants ; ne sois pas maintenant philosophe, ensuite percepteur, puis rhéteur, puis procurateur de César4. Tout cela ne saurait s’accorder. Il faut que tu sois un, ou vertueux ou vicieux ; il faut cultiver ou ton âme ou les choses du dehors, l’appliquer ou aux choses intérieures ou aux choses extérieures, c’est-à-dire, rester ou philosophe ou non-philosophe.

XXX

Pour faire son office, il faut se régler ordinairement sur les rapports de corrélation. C’est ton père ; il t’est prescrit d’en prendre soin, de lui céder en tout, de supporter ses injures, ses coups. — « Mais c’est un mauvais père. » — Est-ce avec un bon père que la nature t’a mis en rapport intime ? C’est avec un père. — « Mon frère me fait tort. » — Eh bien, alors observe les rapports qui sont établis entre toi et lui ; ne t’occupe pas de ce qu’il fait, mais de ce que tu dois faire pour que ta volonté soit dans un état conforme à la nature : un autre ne te nuira pas, si tu ne veux pas ; mais on t’aura nui, si tu juges qu’on te nuit. De même avec les autres : si tu prends l’habitude de considérer les rapports de corrélation qui sont entre toi et un autre en tant que voisin, concitoyen, préteur1, tu trouveras quel est ton office.

XXXI

1. Sache que le fond de la piété envers les dieux, c’est d’en juger sainement, de penser qu’ils existent et qu’ils gouvernent l’univers avec sagesse et avec justice, et en conséquence de te donner le rôle de leur obéir, de leur céder et de les suivre en tout ce qui t’arrive, dans la pensée que c’est arrangé pour le mieux. Ainsi tu ne t’en prendras jamais aux dieux, et tu ne te plaindras pas d’en être négligé. 2. Or tu ne peux le faire qu’en ôtant les biens et les maux de ce qui ne dépend pas de nous pour les placer uniquement dans ce qui dépend de nous. Si tu crois que quelque chose qui ne dépend pas de nous est bon ou mauvais, infailliblement, toutes les fois que tu manqueras ce que tu veux et que tu tomberas dans ce que tu ne veux pas, tu t’en prendras aux auteurs responsables et tu les prendras en haine. 3. En effet, tout être animé est naturellement porté à fuir et à éviter ce qui lui paraît un mal et ce qui le cause, et d’autre part, à rechercher et à aimer ce qui lui paraît un bien et ce qui le procure. Il est donc impossible à celui qui croit qu’on lui nuit, d’aimer ce qui parait lui nuire, comme il est impossible d’aimer le dommage en lui-même. 4. De là les injures que le fils adresse au père, quand le père ne lui fait pas part de ce qui passe pour un bien. C’est ce qui fait que Polynice et Étéocle sont devenus ennemis : ils croyaient que la royauté est un bien. C’est pourquoi le laboureur, le matelot, le marchand, ceux qui perdent leur femme ou leurs enfants, injurient les dieux. La piété est fondée sur l’intérêt ; par conséquent, quand on s’applique à donner la direction qu’il faut à ses désirs et à ses aversions, on s’applique par là même à être pieux.

5. Quant aux libations, aux sacrifices, aux offrandes, il faut toujours suivre les lois de sa patrie1, être en état de pureté2, n’avoir pas de nonchalance ni de négligence, ne pas rester trop en deçà de ses moyens ni aller au delà.

XXXII

1. Quand tu as recours à la divination, souviens-toi que, si tu ne sais pas quel3 sera l’événement, puisque tu viens auprès du devin pour l’apprendre, tu sais, avant de venir, de quelle4 nature sera cet événement, si du moins tu es philosophe. Si c’est quelque chose qui ne dépend pas de nous, il faut de toute nécessité qu’il ne soit ni bon ni mauvais. 2. N’aie donc, en te présentant au devin, ni désir ni aversion ; ne tremble pas en approchant, sois convaincu que l’événement quelconque qui sera annoncé est chose neutre qui ne te regarde pas, que, quel qu’il puisse être, il sera possible d’en tirer un bon parti, sans que personne au monde t’en empêche. Aie donc confiance en recourant aux conseils des dieux ; et quand tu auras reçu ces conseils, il ne te restera plus qu’à ne pas oublier quels sont ceux qui te les ont donnés et à qui tu désobéirais, si tu ne les suivais pas.

3. Maintenant ne consulte les devins, comme le voulait Socrate1, que sur les choses où tout se rapporte à l’issue, et pour lesquelles il n’y a ni raisonnement ni art quelconque qui donne le moyen de connaître ce qu’on veut savoir ; ainsi, quand il faut se risquer pour un ami ou pour sa patrie, il ne faut pas demander au devin s’il faut se risquer. En effet, si le devin te déclare que l’état des entrailles de la victime n’est pas favorable2, il est évident que cela présage ou la mort ou une mutilation en quelque partie du corps ou l’exil, mais la raison prescrit, même avec cette perspective, de venir au secours d’un ami et de se risquer pour sa patrie. Obéis donc au plus grand devin, à Apollon Pythien, qui chassa du temple celui qui n’était pas venu au secours de son ami, qu’on assassinait3.
XXXIII

1. Retrace-toi dès maintenant un genre de vie particulier, un plan de conduite, que tu suivras, et quand tu seras seul et quand tu te trouveras avec d’autres.

2. Et d’abord garde ordinairement le silence, ou ne dis que ce qui est nécessaire et en peu de mots. Il pourra arriver, mais rarement, que tu doives parler quand l’occasion l’exigera ; mais ne parle sur rien de frivole : ne parle pas de combats de gladiateurs, de courses du cirque, d’athlètes, de boire et de manger, sujets ordinaires des conversations ; surtout ne parle pas des personnes, soit pour blâmer, soit pour louer, soit pour faire des parallèles. 3. Si tu le peux, ramène par tes discours les entretiens de ceux avec qui tu vis sur des sujets convenables. Si tu te trouves isolé au milieu d’étrangers, garde le silence.

4. Ne ris pas beaucoup, ni de beaucoup de choses, ni avec excès.

5. Dispense-toi de faire des serments1, en toute circonstance, si cela se peut, ou au moins dans la mesure du possible.

6. Refuse de venir aux repas où tu te trouverais avec des étrangers qui ne sont pas philosophes ; et si l’occasion l’exige, fais bien attention à ne pas tomber dans leurs manières. Souviens-toi que quand ton compagnon est sale, tu ne peux pas te frotter à lui sans te salir, quelque propre que tu sois toi-même.

7. Ne prends pour les besoins du corps que ce qui est strictement nécessaire, en fait de nourriture, de boisson, de vêtement, de logement, de domestiques. Tout ce qui est d’ostentation et de luxe, supprime-le.

8. Si l’on vient te dire qu’un tel dit du mal de toi, ne cherche point à te justifier sur ce qu’on te rapporte ; réponds seulement : « Il faut qu’il ne soit pas au courant de ce qu’on peut encore dire sur mon compte ; autrement il ne se serait pas borné là. »

9. Il n’est pas nécessaire d’aller souvent au spectacle. S’il le faut, ne t’intéresse sérieusement qu’à toi-même, c’est-à-dire, désire simplement que les choses arrivent comme elles arrivent et que celui-là soit vainqueur, qui est vainqueur ; ainsi tu ne seras pas contrarié. Abstiens-toi entièrement de crier, de rire de tel acteur, de partager les passions des spectateurs. Quand le spectacle est terminé, ne parle pas beaucoup de ce qui s’est passé, sauf en ce qui peut contribuer à te rendre meilleur ; autrement il serait évident que tu as été frappé du spectacle.

10. Ne te décide pas à la légère et facilement à assister à des lectures publiques1. Quand tu y viens, garde une attitude grave et calme qui n’ait pourtant rien de désagréable.

11. Quand tu dois avoir affaire à quelqu’un, particulièrement à quelqu’un de puissant, représente-toi ce que Socrate ou Zénon2 aurait fait en pareil cas, et tu ne seras pas embarrassé pour te comporter convenablement dans la circonstance.

12. Quand tu fais des visites à un homme puissant, représente-toi d’avance que tu ne le trouveras pas chez lui, qu’on ne t’admettra pas, qu’on te fermera la porte sur le nez, qu’il ne se souciera pas de toi. Et si avec cela c’est ton office d’y aller, vas-y et supporte ce qui arrive, sans jamais te dire en toi-même : « Ce n’était pas la peine ; » car cette réflexion est d’un homme qui n’est pas philosophe et qui se met en colère pour les choses du dehors.

13. Dans la conversation, évite de parler beaucoup et sans mesure de ce que tu fais ou des dangers que tu as courus. Si tu as du plaisir à te souvenir des dangers auxquels tu as été exposé, les autres n’ont pas autant de plaisir à t’entendre raconter ce qui t’est arrivé. 14. Évite aussi de chercher à faire rire. On est induit par là à glisser dans le genre de ceux qui ne sont pas philosophes, et en même temps cela peut diminuer les égards que les autres ont pour toi. 15. Il est facile aussi de se laisser aller à tenir des propos obscènes. Quand il arrive quelque chose de pareil, tu peux, si c’est à propos, aller jusqu’à faire des reproches à celui qui se le permet ; sinon, témoigne au moins par ton silence, ta rougeur, ton visage sévère, que cette conversation te déplaît.

XXXIV

Quand une idée de plaisir se présente à ton esprit, fais comme pour les autres, prends garde de te laisser emporter, diffère d’agir, et obtiens de toi-même quelque délai. Puis représente-toi les deux moments, celui où tu jouiras du plaisir et celui où, après en avoir joui, tu te repentiras et t’accableras toi-même de reproches ; mets en balance la joie que tu éprouveras à t’abstenir et les félicitations que tu t’adresseras. Si les circonstances exigent que tu agisses, fais attention à ne pas te laisser vaincre par ce que la chose offre de doux, d’agréable et d’attrayant : mets en balance l’avantage qu’il y a à avoir conscience que tu as remporté cette victoire.

XXXV

Quand tu fais quelque chose, après avoir reconnu qu’il le faut faire, ne crains pas d’être vu le faisant, quelque défavorablement que le vulgaire en doive juger. Si tu as tort de le faire, évite l’action elle-même ; si tu as raison, pourquoi crains-tu ceux qui auront tort de te blâmer ?

XXXVI
De même que les propositions1 « il fait jour » et « il fait nuit » ont une grande valeur pour une proposition disjonctive2 et n’ont pas de valeur pour une proposition copulative3, ainsi, dans un festin choisir la plus forte part peut avoir de la valeur pour le corps, mais n’a pas de valeur pour l’observation des préceptes qui règlent la manière dont on doit se conduire avec les autres dans un repas. Quand tu manges avec un autre, souviens-toi de ne pas considérer seulement la valeur de ce qu’on sert par rapport au corps, mais aussi de garder les égards que l’on doit à celui qui donne le festin.
XXXVII

Quand tu as pris un rôle au-dessus de tes forces, non-seulement tu y as fait une pauvre figure, mais encore tu as laissé de côté celui que tu aurais pu remplir.

XXXVIII

De même qu’en te promenant tu prends garde à mettre le pied sur un clou ou à te donner une entorse, de même fais attention à ne pas nuire à la partie supérieure de ton âme. Si nous prenons cette précaution en chaque affaire, nous serons plus sûrs de nous en l’entreprenant.

XXXIX
Les exigences du corps sont la mesure de ce que chacun a besoin de posséder, comme le pied est la mesure de la chaussure. Si tu t’en tiens là, tu resteras dans la mesure ; si tu dépasses, infailliblement, tu ne feras plus que rouler dans le précipice : de même pour la chaussure ; si tu vas au delà de ce qu’il faut pour chausser ton pied, tu prends d’abord des chaussures dorées, puis de pourpre, puis brodées. Une fois qu’on a dépassé la mesure, il n’y a plus de limite.
XL

Les femmes aussitôt après leur quatorzième année, sont appelées madame1 par les hommes ; alors elles commencent à se parer et mettent là toutes leurs espérances. Il faut donc faire attention à ce qu’elles sentent que rien ne peut leur attirer de la considération que de paraître décentes et réservées.

XLI

C’est la marque d’un manque de disposition pour la vertu que de donner une grande place aux choses du corps, comme de donner beaucoup de temps à faire de la gymnastique, à manger, à boire, à excréter. Il ne faut faire tout cela qu’accessoirement, et appliquer toute son attention à son esprit.

XLII

Quand on te maltraite ou qu’on t’injurie, souviens-toi que celui qui parle ou agit ainsi, croit que c’est son office. Il ne peut pas suivre ta manière de voir, il ne peut que suivre la sienne ; en sorte que s’il a tort, c’est pour lui qu’il y a dommage, puisque c’est lui qui est dans l’erreur. En effet, si l’on juge fausse une proposition copulative qui est vraie2, il n’y a pas de dommage pour la proposition copulative, mais pour celui qui s’est trompé1. Si tu te fondes là-dessus, tu seras indulgent pour celui qui te dit des injures. Répète chaque fois : « Il en a jugé ainsi. »

XLIII

Toute chose a deux anses, l’une, par où on peut la porter, l’autre, par où on ne le peut pas. Si ton frère a des torts, ne le prends pas par ce côté-là, qu’il a des torts (c’est l’anse par où on ne peut porter) ; prends-le plutôt par cet autre côté, qu’il est ton frère, qu’il a été nourri avec toi, et tu prendras la chose par où on peut la porter.

XLIV

Ces raisonnements ne sont pas concluants2 : « Je suis plus riche que toi, donc, je te suis supérieur ; » « Je suis plus éloquent que toi, donc je te suis supérieur. » Mais ceux-ci sont plus concluants : « Je suis plus riche que toi, donc ma fortune est supérieure à la tienne ; » « Je suis plus éloquent que toi, donc ma parole est supérieure à la tienne. » Mais toi, tu n’es ni fortune ni parole.

XLV

Quelqu’un se baigne de bonne heure : ne dis pas que c’est mal ; dis que c’est de bonne heure. Quelqu’un boit beaucoup de vin : ne dis pas que c’est mal ; dis qu’il boit beaucoup de vin. Car avant d’avoir reconnu comment il en juge1, d’où peux-tu savoir si c’est mal ? Ainsi il ne t’arrivera pas d’avoir des idées évidentes de certaines choses et d’acquiescer à d’autres2.

XLVI

1. Ne te donne jamais pour philosophe et le plus souvent ne parle pas maximes devant ceux qui ne sont pas philosophes ; fais plutôt ce que les maximes prescrivent : ainsi, dans un repas, ne dis pas comment on doit manger, mais mange comme on le doit. Souviens-toi que Socrate s’était interdit toute ostentation, au point que des gens venaient le trouver pour se faire présenter par lui à des philosophes3 ; et il les menait, tant il lui était égal qu’on ne fît pas attention à lui4.

2. Si, entre gens qui ne sont pas philosophes, la conversation tombe sur quelque maxime, garde le plus souvent le silence ; tu cours grand risque de rendre aussitôt ce que tu n’as pas encore digéré. Quand on te dit que tu ne sais rien, si tu n’en es pas piqué, sache qu’alors tu commences à être philosophe. En effet, ce n’est pas en rendant leur herbe aux bergers, que les brebis leur montrent combien elles ont mangé ; mais quand elles ont bien digéré leur pâture au dedans, elles produisent au dehors de la laine et du lait : de même ne fais pas étalage des maximes devant ceux qui ne sont pas philosophes, mais commence par les digérer pour les produire en pratique.

XLVII

Quand tu es parvenu à satisfaire à peu de frais à tous les besoins du corps, ne fais pas tes embarras, et si tu ne bois que de l’eau, ne dis pas à tout propos que tu ne bois que de l’eau. Si tu veux t’endurcir à la peine, fais-le pour toi et non pour les autres, ne tiens pas les statues embrassées1 ; mais quand tu as soif, prends dans ta bouche un peu d’eau fraîche, rejette-la et n’en dis rien.

XLVIII

1. Conduite et caractère de celui qui n’est pas philosophe : il n’attend pas de profit ni de dommage de lui-même, mais de l’extérieur. Conduite et caractère du philosophe : il n’attend de profit ni de dommage que de lui-même.

2. Signes de celui qui est en progrès : il ne blâme personne, il ne loue personne, il ne se plaint de personne, il n’accuse personne, il ne parle jamais de lui-même comme de quelqu’un d’importance ou qui sait quelque chose. Quand il se sent contrarié ou empêché, il ne s’en prend qu’à lui-même. Quand on le loue, il se moque à part soi de celui qui le loue, et quand on le blâme, il ne se justifie pas. Il fait comme les gens relevant de maladie qui se promènent avec précaution pour ne pas déranger ce qui se remet, avant que cela ait pris de la consistance. 3. Il a supprimé en lui tout désir, et il a transporté toutes ses aversions sur ce qui est contraire à la nature dans ce qui dépend de nous. En toutes choses ses tendances sont modérées. S’il paraît bête ou ignorant, il ne s’en inquiète pas. En un mot il se défie de lui-même comme d’un ennemi dont on craint les piéges.

XLIX
Quand un homme est tout fier de pouvoir comprendre et expliquer les livres de Chrysippe1, dis en toi-même : « Si Chrysippe avait écrit clairement2, cet homme n’aurait pas de quoi se vanter. Pour moi, qu’est-ce que je veux ? connaître la nature et la suivre. Je cherche donc quel en est l’interprète ; j’apprends que c’est Chrysippe et je vais à lui. Mais je ne comprends pas ce qu’il a écrit ; alors je cherche quelqu’un qui me l’explique. Jusque-là il n’y a rien de bien extraordinaire. Mais quand j’ai trouvé l’interprète, reste à mettre en pratique les préceptes, et c’est cela seulement qui est beau. Mais si c’est précisément l’explication des préceptes que j’admire, n’est-il pas arrivé que je suis devenu grammairien3 au lieu de philosophe ? Seulement : au lieu d’Homère4 j’explique Chrysippe. Aussi quand on me dit : « Explique-moi « Chrysippe », si je rougis, c’est plutôt5 de ne pas pouvoir montrer une conduite qui soit semblable et conforme à ses préceptes. »
L

Observe tout ce qu’enseigne la philosophie comme des lois que tu ne peux violer sans impiété. Quoi qu’on dise de toi, ne t’en inquiète pas ; cela ne dépend plus de toi.

LI

1. Combien de temps encore diffères-tu de te juger propre à ce qu’il y a de meilleur1 et de ne désobéir à rien de ce que la raison prescrit ? Tu as reçu les maximes envers lesquelles il fallait s’engager2, et tu t’es engagé. Quel maître attends-tu donc encore pour lui transférer le soin de t’amender ? Tu n’es plus un jeune homme, tu es un homme fait. Si tu t’abandonnes maintenant à la négligence et à la paresse, si tu introduis sans cesse délais sur délais, si tu remets d’un jour à l’autre de faire attention à toi-même, tu ne t’apercevras pas que tu ne fais pas de progrès, et tu ne seras jamais philosophe de ta vie, y compris le moment de ta mort. 2. Prends donc dès maintenant le parti de vivre en homme fait et qui est en progrès, que tout ce qui t’est démontré bon soit pour toi une loi inviolable. S’il se présente quelque chose qui soit pénible ou agréable, avantageux ou nuisible à ta considération, souviens-toi que le jour de la lutte est venu, que tu es maintenant dans l’arène d’Olympie, que tu ne peux plus différer et qu’il ne tient qu’à un seul jour, à une seule action que tes progrès soient assurés ou compromis à tout jamais. 3. Si Socrate est devenu ce qu’il a été, c’est qu’en toute rencontre il ne faisait attention qu’à la raison1. Quant à toi, si tu n’es pas encore Socrate, tu dois vivre comme si tu voulais être Socrate.

LII

1. La première partie de la philosophie et la plus essentielle, c’est de mettre en pratique les maximes, par exemple de ne pas mentir ; la seconde, ce sont les démonstrations, par exemple, d’où vient qu’il ne faut pas mentir ; la troisième est celle qui confirme et éclaircit les démonstrations elles-mêmes ; par exemple d’où vient que c’est une démonstration ? Qu’est-ce-qu’une démonstration2 ? Qu’est-ce que conséquence3, incompatibilité4, vrai5, faux6 ?

2. Ainsi donc, la troisième partie est nécessaire à cause de la seconde, et la seconde à cause de la première ; mais la plus nécessaire, celle au delà de laquelle on ne peut plus remonter, c’est la première. Nous, nous agissons au rebours. Nous nous arrêtons à la troisième partie ; toute notre étude est pour elle, et nous négligeons complètement la première. Aussi nous mentons, mais nous savons sur le bout du doigt comment on démontre qu’il ne faut pas mentir.
LIII

Il faut être prêt à dire en toute rencontre

11. Emmène-moi, Jupiter, et toi, Destinée2, là où vous avez arrêté que je dois aller. Je vous suivrai sans hésiter ; et quand même j’aurais la folie de ne pas le vouloir, je ne vous en suivrai pas moins.

23. Quiconque se soumet de bonne grâce à la nécessité est sage à notre avis et sait les choses divines.

34. Mais, Criton, si telle est la volonté des dieux, qu’elle s’accomplisse.

45. Anytus et Mélitus peuvent me tuer, ils ne peuvent pas me nuire.



NOTES SUR LE MANUEL D’ÉPICTÈTE.


Page 2 : 1. Il veut dire : Tu n’auras pas d’ennemi, parce que le propre d’un ennemi est de nuire.

2. Il n’est pas question ici des impressions agréables, probablement parce qu’elles sont moins fréquentes.

Page 3 : 1. Plus tard, quand tu auras fait des progrès dans la sagesse, tu désireras ce qui est honnête.

2. Un être humain, par conséquent mortel.

Page 4 : 1. Dans les bains publics des anciens, on ne se baignait pas dans des cabinets séparés comme aujourd’hui, mais plutôt comme nous nous baignons au bain froid.

2. On volait souvent les vêtements des baigneurs.

Page 5 : 1. On trouve une comparaison analogue dans le Discours III, 24, 33 et 34. L’homme est sous les ordres de Dieu, comme un matelot sous les ordres du pilote. Le matelot que le pilote a envoyé faire de l’eau peut ramasser, chemin faisant, un coquillage ou un oignon ; mais il doit toujours penser au navire et être prêt à obéir à la voix du pilote. De même l’homme peut prendre femme et élever des enfants ; mais il doit être toujours prêt à les quitter, si Dieu le rappelle. S’il est vieux, il ne doit pas s’engager trop avant dans les liens du monde, mariage, affaires, etc. ; autrement il ne pourra plus obéir à la voix de Dieu ; il sera moins disposé à quitter les liens où il est engagé.

Page 9 : 1. Tantale était célèbre à ce titre ; voy. Pindare, Olymp. I, 54 ; Euripide, Oreste, 9 ; Horace, Odes, I, xxviii, 7 ; « Occidit et Pelopis genitor conviva deorum. »

2. Épictète parle souvent de Diogène, le célèbre cyni- que, et avec admiration. Voyez en particulier Discours III, 22, 80, où il oppose Diogène aux cyniques dégénérés de son temps.

3. Dans ce qui nous reste d’Épictète, ce passage est le seul où Héraclite soit mentionné ; et il ne paraît pas très-naturel qu’il le soit avec Diogène. Mais les stoïciens estimaient beaucoup Héraclite, à qui ils avaient beaucoup emprunté pour leur physique, et ils le considéraient sans doute comme un sage, dont la conduite aussi devait servir de modèle.

Page 10 : 1. Le poëte dressait lui-même les acteurs.

2. Le corbeau et aussi la corneille (Festus, p. 197) étaient du nombre des oiseaux que les Romains appelaient escines, dont le cri était considéré comme un présage. Cicéron, de Divin., I, 52, 120 : « Efficit in avibus divina mens ut… tum a dextra, tum a sinistra parte canant oscines. » Horace, Odes, III, 27, 11 : « Oscinem corvum prece suscitabo solis ab ortu ; » ce qui était un bon présage ; s’il faisait entendre son cri du côté du couchant, le présage était mauvais.

3. Distingue entre ce qui dépend de toi et ce qui n’en dépend pas, entre ce qui est à toi et ce qui t’est étranger.

Page 11 : 1. Substance était pour les stoïciens synonyme de matière par opposition à forme. Les opérations de l’âme bien dirigées sont la matière qui reçoit les différentes formes du bien.

2. Le premier magistrat de certaines villes grecques portait le titre de στρατηγός.

Page 12 : 1. On conseillait à ceux qui voulaient adopter la manière de vivre des philosophes, de s’absenter pendant quelque temps, afin qu’ils pussent renoncer plus aisément à leurs anciennes habitudes et qu’ils ne fussent pas décontenancés par l’étonnement qu’un brusque changement de vie aurait opéré autour d’eux. Voyez le Discours III, 16, 11 Page:Manuel d’Épictète, trad. Thurot, 1889.djvu.pdf/79 Page:Manuel d’Épictète, trad. Thurot, 1889.djvu.pdf/80

Page 19 : 1. Chez les anciens, l’État réglait le culte souverainement.

2. Certaines conditions de pureté étaient exigées par les lois religieuses, par exemple n’avoir pas touché à un cadavre, n’avoir pas commis de meurtre, etc.

3. Quel sera l’événement : par exemple, si on sera blessé, tué, ou non, à la guerre.

4. De quelle nature sera cet événement, c’est-à-dire si ce qui arrive est heureux ou malheureux.

Page 20 : 1. Socrate, suivant Xénophon (Mémoires sur Socrate, I, 1, 9), disait qu’il ne fallait pas demander aux dieux s’il valait mieux confier un navire à un pilote expérimenté qu’à quelqu’un d’étranger à l’art de gouverner un vaisseau, ni combien on avait de blé ou d’huile dans sa maison, etc.

2. On prédisait l’avenir d’après l’inspection des entrailles des victimes, principalement du foie.

3. Deux amis se rendant à Delphes rencontrèrent des brigands : l’un fut tué, l’autre s’enfuit. Quand il vint consulter l’oracle, le dieu répondit : Tu n’es pas venu au secours de ton ami quand on allait le tuer ; tu n’es pas pur : sors du sanctuaire (Simplicius, Commentaire sur le Manuel d’Épictète).

Page 21 : 1. Suivant Simplicius, dans le serment, on prend la divinité à témoin et en garantie de ses paroles, et c’est lui manquer de respect, que de mêler son nom à des choses de peu d’importance.

Page 22 : 1. Du temps d’Épictète, les auteurs lisaient leur prose ou leurs vers en public. Voyez M. Nisard, Étude sur les poëtes latins de la décadence, Stace, § 3.

2. Zénon, fondateur du stoïcisme, était né à Citium, dans l’île de Cypre, vers l’an 320 avant J. C.

Page 24 : 1. Ces deux propositions servaient souvent d’exemples dans la logique stoïcienne.

— 2. Une proposition disjonctive est une proposition composée, dont les deux membres sont précédés de ou : ou il fait jour, ou il fait nuit. Les propositions qui la composent étant contraires, une des deux est fausse.

Page 24 : 3. Une proposition copulative est une proposition composée dont les deux membres sont précédés de et : et il fait jour, et le soleil luit. Les propositions qui la composent doivent être vraies toutes les deux.

4. Prendre la plus forte part répond à la proposition disjonctive, parce que cela désunit d’avec les autres convives ; observer les préceptes qui règlent la manière dont on doit se conduire dans un repas, répond à la proposition copulative, parce que cela vous unit avec les autres.

Page 26 : 1. En grec Κυρία, en latin Domina, proprement la maîtresse de la maison.

2. Qui est vraie, comme celle qui est citée plus haut, p. 24, ii. 3.

Page 27 : 1. De même il n’y a pas de dommage pour celui sur le compte de qui on se trompe, mais pour celui qui est dans l’erreur.

2. On voit par Sextus Empiricus (Hypotyposes pyrrhoniennes, II, 137) qu’un raisonnement était pour les stoïciens concluant, συνακτικός, quand, étant donné le raisonnement suivant : « Si je suis plus riche que toi, ma fortune est supérieure à la tienne ; or je suis plus riche que toi : donc ma fortune est supérieure à la tienne, » on peut le mettre sous la forme suivante : « Si je suis plus riche que toi, et si, en ce cas, ma fortune est supérieure à la tienne, ma fortune est supérieure à la tienne. » Le raisonnement suivant n’est pas concluant (ἀσύνακτος) : « Si je suis plus riche que toi, je te suis supérieur ; or je suis plus riche que toi ; donc je te suis supérieur. » En effet, si on le met sous la forme : « Si je suis plus riche que toi et si, en ce cas, je te suis supérieur, je te suis supérieur, » il sera faux ; car il n’est pas vrai que, parce qu’un homme est supérieur à un autre en richesse, il lui soit supérieur en général, sous tous les autres rapports.

Page 28 : 1. Comment il en juge, c’est-à-dire quels sont ses motifs pour en agir ainsi.

2. Avoir des idées évidentes de certaines choses, comme, par exemple, voir que quelqu’un boit beaucoup de vin ; acquiescer à d’autres sans en avoir une idée évidente, comme juger qu’il a tort de boire beaucoup de vin.

3. Ainsi Platon (Protagoras, ch. ii, p. 340 E, édition d’H. Estienne) représente Hippocrate, fils d’Apollodore, priant Socrate de le présenter à Protagoras.

Page 28 : 4. Cependant on voit, par le passage du Protagoras que nous venons de citer, que Socrate ne prenait pas au sérieux les sophistes auprès desquels il menait les jeunes gens, et qu’il les confondait précisément en faisant profession de ne rien savoir.

Page 29 : 1. Ne tiens pas les statues embrassées, comme Diogène, qui tenait des statues embrassées, en plein hiver, pour s’exercer à supporter le froid.

Page 30 : 1. Chrysippe, successeur de Cléanthe comme chef de l’école stoïcienne, dont les anciens le considéraient comme le second fondateur, était né à Soles, en Cilicie, vers 280 avant J. C., et mourut vers 206. Il avait composé un grand nombre d’ouvrages sur toutes les parties de la philosophie stoïcienne.

2. Il passait pour avoir écrit dans un style négligé, incorrect, sec et obscur.

3. La grammaire comprenait, chez les anciens, la science du langage et l’explication mythologique, géographique, grammaticale et même littéraire des poëtes.

4. Homère était le poëte expliqué principalement par les grammairiens grecs.

5. Il faut sous-entendre ici : plutôt que de ne pas pouvoir l’expliquer.

Page 31 : 1. Ce qu’il y a de meilleur, c’est-à-dire être philosophe.

2. S’engager, c’est-à-dire prendre l’engagement de les pratiquer, se promettre de les pratiquer. La métaphore est tirée d’une dette que l’on contracte avec quelqu’un.

Page 32 : 1. Épictète fait ici allusion à ce que Socrate dit dans Platon (Criton, ch. vi, p. 46 B, éd. H. Estienne) : Ἐγὼ οὐ μόνον νῦν, ἀλλὰ καὶ ἀεὶ τοιοῦτος, οἶὀς τῶν ἐμῶν μηδενὶ ἄλλῳ πείθεσθαι ἢ τῷ λόγω, ὅς ἄν μοι λογιζομένῳ βέλτιστος φαίνηται.

2. Pour les stoïciens, une démonstration (ἀπόδειξις) était un raisonnement concluant qui tire de prémisses évidentes une conclusion qui ne l’était pas. Ainsi le raisonnement suivant n’est pas une démonstration : « S’il fait jour, le soleil luit (φῶς ἐστι, lucet) ; or il fait jour, donc le soleil luit. » La conclusion « le soleil luit » était tout à fait évidente. mais le raisonnement suivant est une démonstration : « S’il y a des suintements à travers la surface des corps, il y a des pores inaccessibles aux sens ; or il y a des suintements à travers la surface des corps ; donc il y a des pores inaccessibles aux sens. » La conclusion « il y a des pores, » etc., n’était pas évidente.

Page 32 : 3. Pour les stoïciens, il y a conséquence (ἀκολουθία) quand, dans une proposition conditionnelle, comme « S’il fait jour, le soleil luit », la vérité de la seconde proposition ou du conséquent, « le soleil luit », résulte de la première ou de l’antécédent « il fait jour ».

4. Pour les stoïciens, il y a incompatibilité (μάχη) entre les propositions contraires qui composent une proposition disjonctive, comme « Ou il fait jour, ou il fait nuit. »

5. Les stoïciens distinguaient le vrai (τὸ ἀληθές) qui ne se rencontre que dans l’expression d’un jugement, dans ce que les logiciens appellent proposition, de la vérité (ἡ ἀλήθεια) qui est un certain état particulier de l’esprit qui aperçoit le vrai. Suivant les stoïciens, ce qui est (ὑπάρχει) et s’oppose contradictoirement (ἀντίκειται) à quelque chose est vrai.

32-6.. Suivant les stoïciens, ce qui n’est pas et s’oppose contradictoirement à quelque chose est faux.

Page 33 : 1. Les vers traduits dans le premier paragraphe sont de Cléanthe, qui succéda à Zénon comme chef de l’école stoïcienne. Il était né à Assus en Troade, et vivait vers le milieu du troisième siècle avant J. C.

2. Les stoïciens étaient fatalistes.

3. Les vers traduits dans le second paragraphe sont d’Euripide, on ne sait de quelle tragédie.

4. Socrate répond ainsi à Criton qui lui annonce qu’il doit mourir le lendemain, dans Platon (Criton, ch. ii, p. 43 D, éd. H. Estienne).

Page 33 : 5. Ces paroles sont la reproduction abrégée de ce que Socrate dit dans Platon (Apologie de Socrate, ch. xviii, 30 C, éd. H. Estienne) · Ἐμὲ μὲν γὰρ οὐδὲν ἂν βλάψειεν οὔτε Μέλητος οὔτε Ἄνυτος· οὐδὲ γὰρ ἂν δύναιτο (οὐ γὰρ οἴομαι θεμιτὸν εἶναι ἀμείνονι ἀνδρὶ ὑπὸ χείρονος βλάπτεσθαι) · ἀποκτείνειε μέντ’ ἂν ἴσως ἢ ἐξελάσειεν ἢ ἀτιμώσειεν.

    semble dériver le titre du Manuel de poignard. Il dit que le Manuel est intitulé ἐγχειρίδιον, διὰ τὸ πρόχειρον ἀεὶ αὐτὸ δεῖν καὶ ἕτοιμον εἶναι τοῖς βουλομένοις εὖ ζῆν· καὶ γὰρ καὶ τὸ στρατιωτικὸν ἐγχειρίδιον ξίφος ἐστὶ πρόχειρον ἀεὶ τοῖς χρωμένοις ὀφεῖλον εἶναι. Longin dit, dans un fragment (10. Scriptores metrici græci, p. 89, 1. éd. Westphal) de son commentaire sur le Manuel de metrique d’Héphestion, qui portait le même titre : ἐπιγέγραπται δὲ ἐγχειρίδιον οὐχ, ὥς τινες ᾠήθησαν, διὰ τὸ ξίφος καὶ τὸ ὀξύνειν τῶν μετιόντων τὰς ψυχάς, ἀλλὰ διὰ τὸ ἐν χερσιν ἔχειν τοὺς βουλομένους τὰ κεφάλαια τῶν μετρικῶν παραγγελμάτων.

  1. Suidas
  2. Épictète, Disc. I, 9, 29.
  3. Il n'avait pas un bon maître. Voyez Épictète, Discours, I, 9, 29
  4. Celse dans Origène, Contre Celse, VII, 53, p. 368 : Τού
  5. Manuel, xxix, 7 ; xlvi, 1, 2 ; xlviii, 1 ; li, 1 ; Cicéron, pro Sestio, li, 110.
  6. Simplicius, sur le Manuel d’Épictète, ch. ix (p. 15, 36).
  7. Aulu-Gele, XV, 11, 5. Suidas.
  8. Arrien, préface des Discours d’Épictète.
  9. Lucien, Adversus in loctum, 13.
  10. Simplicius, sur le Manuel d’Épictète, préface (p. 1, 8 et suiv., éd. Didot).
  11. Ἐγχειρίδιον signifie poignard dans Xénophon et Thucydide ; et ce sens est tellement ordinaire que Simplicius, sur le Manuel (préface, p. 1, 26),
  12. On trouvera une exposition très-complète et très-bien faite de la philosophie stoïcienne dans Zeller, Die Philosophie der Griechen, III, 1, 1, p. 43 et suiv. (1865), M. Ravaisson a publié en 1836 un remarquable Essai sur le stoïcisme dans la collection des Mémoires de l’Académie des inscriptions (XXI, 1). Nous y renvoyons le lecteur.
  13. Diogène Laërce, VII, 127.
  14. Sénèque, Lettr., lxxv, 8.
  15. Diogène, VII, 39.
  16. Diogène, VII, 50.
  17. Diogène, VII, 46, 52. Cicéron, de Finibus, V, 26, 76.
  18. Aulu-Gelle, Nuits attiques, XIX, 1, 15. Cicéron, Académiques, I, 14, 10 ; du Destin, XIX, 43.
  19. Discours, I, 18, 1-7 ; 28, 1-10 ; II, 26 ; III, 7, 15.
  20. Quant aux autres termes de logique qui se rencontrent incidemment dans le Manuel, nous les avons expliqués dans les notes ; nous renvoyons au lexique de l’édition grecque pour les textes sur lesquels nous nous sommes appuyés.
  21. Épictète, Discours, II, 11, 13 : III, 3, 15. Diogène, VII, 42.
  22. Stobée, Ecloga ethicæ, II, 138, 202. Diogène, VII, 102-104.
  23. Ces idées, que tous les hommes s’accordent à tirer de l’expérience, étaient appelées par les stoïciens προλήψεις. Plutarque, Placita, IV, 11. Sénèque, Lettres, cxx, 4.
  24. Épictète, Discours II, 22, 1 et suiv
  25. Épictète, Discours II, 8, 1-9.
  26. Diogène, VII, 88.
  27. Stobée, II, 138. Sénèque, Lettres, cxx, 11.
  28. Diogène, VII, 111.
  29. Diogène, VII, 111.
  30. Épictète, Discours III, 3, 1-2.
  31. Diogène, VII, 159.
  32. Manuel, ii, 1 ; xiv, 1.
  33. Cicéron, du Destin, VI, 11. Stobée, II, 110.
  34. Stobée, II, 92, 102 et suivants.
  35. Pour la définition des espèces de vertus, nous renvoyons au Lexique à αἰδήμων, ἐγκράτεια, καρτερία, κοινωνικόν, κόσμιος, μεγαλόφρων.
  36. Épictète, Disc. I, 12, 28-31.
  37. Épictète, Discours III, 16, 9. Manuel, iv, xxxviii.
  38. Cicéron, de Finibus, III, 7, 36. Manuel, i, 2, 3.
  39. Manuel, xiv, 2.
  40. Manuel, i, 1. Discours I, 22, 10.
  41. Manuel, i, 2, 3.
  42. Diogène, VII, 104. Stobée, II, 142.
  43. Diogène, VII, 105-106. Stobée, II, 142.
  44. Diogène, VII, 105-106.
  45. Manuel, i, 5. Cicéron, de Finibus, V, 26, 78.
  46. 'Manuel, iv, ix
  47. Manuel, xiii, xvi, xxix, 7. xxxiii, 12. Discours III, 7, 2. Stobée, II, 146.
  48. Manuel, xxiii, xxix, 7 ; xlviii, 1.
  49. Diogène, VII, 107-108.
  50. Manuel, xxxii, 3 ; li, 1. Diogène, VII, 108.
  51. Stobée, II, 158.
  52. Manuel, xxx. Discours III, 2, 4.
  53. Simplicius, Comm. sur les catégories d’Aristote, f° 42 E.
  54. Épictète, Discours, I, 14, 6 ; II, 8, 11.
  55. Stobée, Eclogæ physicæ, I, 180.
  56. Épictète, Fragment 136.
  57. Épictète Discours II, 17, 25 ; III, 13, 4 ; IV, 12, 11.
  58. Epictète, Discours I, 22, 15.
  59. Manuel, xxxi, 1.
  60. Manuel, xxxi, 4.
  61. Cicéron, de Divinatione, I, 38, 82.
  62. Diogène, VII, 120-121.
  63. Stobée, Florilegium, 67, 20.
  64. Épictète, Discours III, 22, 67-69.
  65. Diogène, VII, 121. Stobée, II, 184.
  66. Discours III, 22, 83 et suiv,
  67. Stobée, II, 184-186.
  68. Stobée, II, 190. Diogène, VII, 123.
  69. Épictète, Discours I, 18, 1-7 ; 28, 1-10 ; II, 26 ; III, 3, 2 ; III, 7, 15.
  70. Cicéron, de Finibus, IV, 3, 7 : « Pungunt enim, quasi aculeis, interrogatiunculis angustis. »
  71. Horace, Satires, II, 3, 122-141 ; 159 161 ; 187-307.
  72. Les moralistes sous l’empire romain, Paris, Hachette, 1864, in-8, p. 197.
  73. Pensées, I, 7.
  74. Damascius, Vie d’Isidore, 58.
  75. M. Havet a le premier donné ce dialogue sous sa forme authentique dans son édition des Pensées de Pascal, publiée en 1852.
  76. Pensées de Pascal (2e édition), II, cxxxvii.
  77. Mon père, Alexandre Thurot, a traduit les Discours d’Épictète : Discours philosophiques d’Épictète recueillis par Arrien et traduits du grec en francais par A. P. Thurot. Paris, 1838, in-8.
  78. Épictète, Manuel, texte grec précédé d’une introduction, accompagné de notes en français et suivi d’un lexique des mots techniques qui se trouvent dans l’ouvrage, par M. Ch. Thurot, Paris, Hachette, 1874.