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Note sur Nietzsche et Lange : « le retour éternel »

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Note sur Nietzsche et Lange : « le retour éternel »

NOTE SUR NIETZSCHE ET LANGE


« LE RETOUR ÉTERNEL »




I

Ceux qui ont étudié Nietzsche, y compris M. Lichtenberger et moi-même, ont laissé indécise la question de savoir si Nietzsche avait eu connaissance de la doctrine de Blanqui sur le retour éternel des choses. Ce qui est certain c’est qu’il connaissait en 1866 le livre de Lange sur l’Histoire du matérialisme. Il adopta ces idées de Lange que le monde des sens est le produit de notre organisme et que notre organisme réel nous demeure tout aussi inconnu que les autres réalités[1]. Or l’attention de Nietzsche ne peut pas ne pas avoir été attirée par une page très importante de l’Histoire du matérialisme de Lange, qui a trait à Blanqui. Dans la note 73 de son chapitre sur Lucrèce, Lange, se souvenant de l’eadem sunt omnia semper, cite l’ouvrage de Blanqui, L’Éternité par les astres, hypothèse astronomique, Paris, 1872. « Rappelons, dit-il, un fait qui ne manque pas d’intérêt. Dernièrement un Français a de nouveau formulé la pensée que tout ce qui est possible existe ou existera quelque part dans l’univers, soit à l’état d’unité soit à l’état de multiplicité ; c’est là une conséquence irréfutable de l’immensité absolue du monde, ainsi que du nombre fini et constant des éléments, dont les combinaisons possibles doivent être également limitées ». Cette dernière idée appartient à Épicure (Lucrèce, II, 480-521). On reconnaît l’argument même de Nietzsche et presque dans les mêmes termes. « Si, dit Nietzsche, on peut imaginer le monde comme une quantité déterminée de force..., il s’ensuit que le monde doit traverser un nombre évaluable de combinaisons... Dans un temps infini, chacune des combinaisons possibles devra une fois se réaliser, plus encore elle devra se réaliser une infinité de fois. » De là « un mouvement circulaire de séries absolument identiques[2] ». L’érudit professeur de Bâle avait lu et médité Lange. Il s’inspira d’ailleurs très souvent de son livre. De plus, l’ouvrage de Lange fut bientôt classique en Allemagne. Donc Nietzsche savait que, pour sa doctrine du retour éternel, il avait un prédécesseur récent et un Français. Il tenait fort, d’ailleurs, à être au courant des ouvrages venus de France. Il a bien pu (mais ceci est une simple hypothèse) voir en librairie à Paris, à Nice même, ou faire venir de France la brochure de Blanqui. « Je me souviens, m’écrit de Barcelone M. Danielsen, de l’avoir vue dans un étalage de librairie à Stockholm en 1880. Peu de philosophes célèbres ont été aussi peu féconds que Nietzsche en invention de doctrines nouvelles. » Cette remarque irrévérencieuse eût indigné celui qui, dans la Volonté de puissance (§ 375) prononce ces paroles oraculaires qui prouvent que, sur sa table des valeurs, il avait rayé la modestie : « Ma philosophie apporte la grande pensée victorieuse qui finit par faire sombrer toute autre méthode. C’est la grande pensée sélectrice : les races qui ne la supportent pas sont condamnées, celles qui la considèrent comme le plus grand des bienfaits sont choisies pour la domination. » Et nunc erudimini, omnes gentes...[3]

Un professeur de philologie grecque ne pouvait pourtant ignorer que les Stoïciens faisaient recommencer le monde après chaque conflagration. Les dieux eux-mêmes recommençaient leurs destinées, à plus forte raison les simples mortels. Socrate épousait de nouveau Xanthippe, toujours aussi acariâtre, buvait de nouveau la ciguë. Cette idée du retour des mêmes événements inspirait au sage le détachement, la résignation, l’absence de tout étonnement devant un monde toujours semblable à lui-même et que nous ne pouvons changer. Comme, d’ailleurs, ce monde paraissait aux Stoïciens un magnifique déploiement de tension et de raison, de τόνος et de λόγος, ils professaient l’optimisme et disaient : Rien de meilleur n’est possible ; ne nous troublons donc pas la cervelle, Nietzsche n’a fait que prendre pour un « enfantement » grandiose de son génie, sur les hauteurs de Silvaplana, ses souvenirs d’étudiant qui a lu Lucrèce et Marc-Aurèle, en attendant Lange.

Guyau qui, comme on sait, parle du retour éternel des mêmes choses dans ses vers sur l’Analyse spectrale [4], ne connaissait nullement le livre de Blanqui ; j’en ai la certitude ; mais il avait été conduit à cette idée et par ses réflexions propres et par l’étude d’Épicure et de Lucrèce. Il venait d’écrire sa Morale d’Épicure.

II

Me permettra-t-on d’ajouter à cette note historique quelques mots sur le fond même de la question, je veux dire sur l’hypothèse du retour éternel ? Au risque de confirmer une fois de plus l’infériorité de la « race française, faite pour être dominée » par la « race » allemande[5], je ne crois pas que la « grande pensée sélectrice » puisse avoir, comme se l’imaginaient Nietzsche avec Lange, une valeur scientifique[6]. Dans la science, l’infini a un sens déterminé dont on n’a pas le droit de s’écarter. Des théorèmes relatifs à l’immensité de l’espace, du temps, du monde, sont hasardeux même pour le calcul infinitésimal. Quant au nombre fini des éléments, dont parle Lange, nous ignorons entièrement ce qu’est un élément, un atome, un électron, ni si les éléments sont en nombre fini ou sans nombre, ni s’il y en a et si ce ne sont pas plutôt des conceptions purement symboliques à notre usage.

L’électron est un atome comme le système solaire est un atome,

comparativement. Raisonner sur des électrons ou autres prétendus atomes comme s’ils étaient des unités fixes, c’est chose aussi enfantine que de raisonner sur le système solaire ou sur le système de Sirius comme si c’étaient des individus immuables, sans sources internes de changements. La divisibilité à l’infini de la matière est parfaitement compatible avec l’indivisibilité physique d’éléments physiques ou avec l’indivisibilité chimique de certains éléments chimiques ; elle permet de concevoir des énergies latentes, intra-anatomiques, que rien ne peut épuiser et qui se refusent aux déductions sur les combinaisons en nombre fini d’unités en nombre fini.

Pour principale raison de concevoir le monde comme un nombre déterminé de centres de force, Nietzsche allègue que « toute autre représentation demeure indéterminée et, par conséquent, inutilisable ». Mais ce n’est pas là une preuve. Parce que nous sommes obligés, pour noter l’utilité, de découper dans le tout un morceau qui consiste en un nombre fini d’éléments, il ne s’ensuit pas que cette conception répond à la réalité des choses et que le monde ne soit pas infini. Ce raisonnement de Nietzsche est sans valeur philosophique.

Un autre argument est celui que Guyau avait déjà exprimé dans ses Vers d’un philosophe (l’Analyse spectrale).

« S’il est un but, pourquoi ne pas l’avoir atteint ? » Nietzsche dit à son tour dans la Volonté de puissance : « Si le monde avait un but, il faudrait que ce but fût atteint[7]. » Mais l’argument n’est pas décisif, car le but ou, s’il n’y a pas de but, l’état final, la condition finale amenée sans but par l’unique déterminisme des causes efficientes, peut n’être atteint qu’asymptotiquement. Il peut même n’y avoir aucune condition finale, aucun terme au changement. Admettre qu’il y en a un, c’est admettre précisément ce qui est en question, à savoir que le but ou la condition soit quelque chose de fini et de terminé, un état d’équilibre. On objectera le principe de Carnot-Clausius. Ce principe gênait fort Nietzsche, parce qu’il aboutit à l’irréversibilité des phénomènes physiques, à l’impossibilité du retour et à un équilibre final. Nietzsche se tire d’affaire par un argument commode : Posant en principe qu’il ne peut pas se tromper, que le monde doit revenir sur lui-même et ne pas avoir de condition finale ; croyant, d’autre part, que Thomson avait déduit des principes de la mécanique la mort finale de l’univers, il prononce la sentence : « Si le mécanisme ne peut pas échapper à la conséquence d’un état de finalité, tel que Thomson le lui a tracé, le mécanisme est réfuté ![7] » C’est Nietzsche lui-même qui souligne. À vrai dire, ce n’est pas la mécanique, c’est l’énergétique qui aboutit ou prétend aboutir à l’équilibre final. Maxwell, lui, se figurait qu’on peut prouver l’existence de Dieu par le principe de CarnotClausius. Puisqu’il y a continuellement, disait-il, une dispersion de l’énergie physique, il faut qu’il y ait eu un état primitif qui ne peut avoir pris naissance d’une manière naturelle. Si le monde avait un passé infini, il serait déjà arrivé à l’équilibre universel de température qui est la mort universelle. Un tel raisonnement est digne de prendre place à côté de celui de Renouvier, qui prouvait son Premier commencement absolu par cette raison qu’une infinité sans nombre d’états a parte post implique un nombre infini contradictoire.

Nietzsche triompherait peut-être ici en disant : « Vous voyez bien qu’il faut admettre un éternel retour, périodique, car, sans cela, tout serait déjà en équilibre et l’heure du De profundis aurait sonné pour l’univers. » Mais nous répondrons qu’il y a encore deux autres hypothèses pour échapper au lugubre arrêt de Carnot et de Clausius. La première c’est que la nature a pu réaliser une infinité d’états qui ne rentrent pas dans les formules de notre science incomplète et qu’elle a pu, en conséquence, trouver des applications de l’énergie, qu’il nous est encore impossible de nous représenter. Maxwell lui-même a dit : « De l’énergie dispersée signifie de l’énergie pour laquelle, nous hommes, nous ne concevons pas d’application ». La nature est sans doute plus habile que nous.

La seconde hypothèse est que, si nous marchons vers l’universel équilibre, nous n’y marchons qu’asymptotiquement. On peut supposer que, à mesure que l’équilibre et l’indifférenciation approchent, les êtres deviennent plus sensibles à des différences moins grandes, si bien que la différenciation psychique subsiste ou même s’accroît dans le voyage du monde matériel vers une moindre différenciation.

On a mainte fois supposé le monde réduit aux dimensions d’une coque de noix et on a facilement prouvé que, toutes les dimensions relatives restant les mêmes, nous ne pourrions nous apercevoir du changement. De même, dans un monde de plus en plus voisin de l’équilibre mécanique, thermique ou autre, on peut concevoir des rapports d’oscillations de plus en plus petites, dans l’intervalle desquelles peuvent se glisser une infinité de différences réelles et une infinité de différences senties.

D’ailleurs, savons-nous si l’équilibre de la température, par exemple, entraîne certainement l’équilibre de tout le reste, surtout de la vie psychique ? La vie biologique elle-même peut avoir des conditions ultimes que nous ignorons et qui sont autres que les conditions purement thermiques. Toute spéculation sur la vie, et surtout sur la vie mentale, dépasse le domaine de la mécanique, de la physique et de la chimie telles que nous les connaissons et pouvons les connaître, c’est-à-dire les limites de notre physique, de notre chimie et même de notre mécanique.

Non seulement il y a, comme dit Shakespeare, plus de choses sous le ciel que nous n’en pouvons penser, mais il y en a plus dans chaque petit grain de matière ou de ce dont la matière est sortie, qu’on l’appelle protyle, éther, ou de tout autre nom cachant notre ignorance. Les choses s’enveloppent à l’infini aussi bien dans le sens de l’infiniment petit que de l’infiniment grand. Nous ignorons toutes les virtualités que peut renfermer l’existence. Nos spéculations sur les possibles et les impossibles dans le monde sans bornes sont en l’air. Tous les termes du retour éternel sont des inconnus impénétrables à la science ; le retour éternel n’a donc de scientifique que l’apparence ; c’est un jeu de l’ars combinatoria, qui laisse fuir le réel. Je dissertais récemment de la question mathématique avec un jeune mathématicien que je crois expert et d’esprit délié. Selon lui, — son raisonnement me paraît exact, — en admettant que l’espace a trois dimensions (ce qui, d’après certains géomètres, est une hypothèse, lorsqu’on veut discuter in abstracto) il faut 3 paramètres pour définir la position d’un point, en l’espèce, d’un atome si cet atome est ponctuel, et il en faut 6 si l’atome, ne pouvant être assimilé à un point, est défini comme un solide (par exemple les 3 coordonnées de l’origine d’un trièdre invariablement lié à l’atome, par rapport à un trièdre fixe dans l’espace, et les 3 angles d’Euler définissant l’orientation de ce trièdre mobile par rapport au trièdre fixe). Dans ces conditions, un système de n atomes sera défini par 3 n ou 6 n paramètres suivant que l’on fera la première ou la deuxième hypothèse. Laissant tous les paramètres fixes excepté, par exemple, l’abscisse de l’origine de l’un des trièdres mobiles, je puis faire varier cette abscisse de la valeur actuelle à + ∞, ce qui me donnera, pour le système, une infinité d’états différents par lesquels il n’aura évidemment achevé de passer qu’au bout d’un temps infini. Il en sera de même a fortiori si l’on fait varier les 3 n ou 6 n paramètres simultanément et si le nombre n croît au delà de toutes limites. En d’autres termes, dans un système constitué par un nombre fini d’atomes, supposez-les tous immobiles sauf un seul, que vous conduirez de sa position actuelle jusqu’à l’infini, le système entier passera par une série indéfinie d’états différents pendant un temps infini. On peut, il est vrai, objecter que les liaisons des atomes s’opposent à un tel déplacement d’un ou de plusieurs d’entre eux ; mais nous ne connaissons pas ces liaisons ni leur nature, nous pouvons donc supposer que ces liaisons enveloppent des virtualités de variations à l’infini.

Selon moi, le problème est insoluble. Il faudrait connaître l’expression des divers paramètres qui définissent à un instant donné l’état du monde en fonction de la seule variable réelle, le temps, pour savoir si ces paramètres ont tous une période commune ou non, si le monde tend ou non vers un état limite.

Pour revenir à Nietzsche, il s’est contredit lui-même en admettant d’une part, le pouvoir qu’aurait la réalité, l’élan vital, de se dépasser sans cesse, et, d’autre part, son impuissance à sortir d’un cercle monotone et clos. L’éternel changement, le mobilisme universel admis d’abord par Nietzsche contredit l’éternel eadem sunt. Héraclite et Démocrite se battent ensemble dans la tête ardente de Zarathoustra. De même sa critique des mathématiques comme ensemble de purs symboles utiles à la vie, mais sans valeur absolue, contredit sa croyance à la valeur absolue des lois de combinaison dans l’infinité de l’espace et du temps. Nietzsche en admettant des retours d’événements identiques est encore en pleine contradiction avec ce qu’il a dit lui-même contre la conception de l’identité et de la loi régulière. Il avait emprunté à ses contemporains d’Angleterre et d’Allemagne cette idée protagoréenne que nos formes d’identité, de loi, etc., sont simplement des créations de notre pensée au service de nos besoins : pour pouvoir agir sur le monde, nous supposons des retours de mêmes événements bien qu’il n’y ait jamais rien de même. Identité et loi, selon Nietzsche, ne sont que des symboles. Mais alors, comment poser en loi absolue et inflexible le retour de faits et de mondes identiques ? Comment croire sérieusement qu’un second Blanqui identique au premier écrira dans le même fort du Taureau le même livre sur l’éternité par les astres ? Le principe des indiscernables de Leibniz déclare impossible deux mondes qui ne se distingueraient que par la simple place dans le temps, le temps n’étant rien lui-même sans les choses qui durent. Et ce principe des indiscernables ne fait qu’exprimer le caractère unique selon Leibnitz et singulier de toute réalité, qui est ce qu’elle est, non ce que sont les autres, sans quoi elle ne se distinguerait pas des autres : Ce n’est pas seulement Jehovah, c’est tout être réel qui peut dire : Sum qui sum ou tout au moins : Sum quod sum. Il n’y a d’identité vraie que dans les abstractions mathématiques : deux triangles abstraits sont identiques, deux triangles réels ne le seront jamais. L’impossibilité de l’identité réelle vient de ce que chaque être enveloppe de l’infini et est enveloppé par de l’infini. Les partisans du retour éternel raisonnent comme s’ils avaient dans le creux de leur main, ou plutôt de leur plume, la totalité des éléments finis d’un monde fini. La réalité est moins simple que leur esprit.

Enfin au point de vue moral, la consolation suprême que Nietzsche croit trouver dans la perspective de souffrir une infinité de fois les mêmes souffrances, est aussi peu logique que le rapport de l’éternel retour aux principes de son système. C’eût été une triste consolation pour Jeanne d’Arc que de lui dire : — Vous serez brûlée encore une infinité de fois et tout ce que vous avez essayé de fonder sera une infinité de fois anéanti.

Alfred Fouillée         

  1. Voir la lettre à Gersdorff, 1866. Correspondance, t. I, 33.
  2. Volonté de puissance, § 384.
  3. On sait que, selon Nietzsche, cette « formule suprême, la plus haute qui se puisse concevoir », date du mois d’août de l’année 1881 ; qu’elle fut jetée sur une feuille avec cette inscription : « À 6 000 pieds au-dessus de la mer et bien plus haut au-dessus de toutes les choses humaines. » On sait aussi que, selon Nietzsche, «  l’enfantement se fit soudainement et dans les conditions les plus invraisemblables ». « Cent indices, ajoute-t-il, annoncèrent l’approche de quelque chose d’incomparable. »
  4. Puisque tout se copie et se tient dans l’espace,
    Tout se répète aussi, j’en ai peur, dans le temps ;
    Ce qui passe revient et ce qui revient passe,
    C’est un cercle sans fin que la chaîne des ans.

    Par cercle sans fin, Guyau entendait la spirale qui se répète sans cesse, en ses tours et retours sans nombre.

    On se rappelle que, dans l’Esquisse d’une Morale sans obligation ni sanction, Guyau dit : « Nous croyons que la nature a un but, qu’elle va quelque part ; c’est que nous ne la comprenons pas. Nous la prenons pour un fleuve qui coule vers son embouchure et y arrivera un jour, mais la nature est un océan. Donner un but à la nature, ce serait la rétrécir, car un but est un terme. Ce qui est immense n’a pas de but. L’océan, lui, ne travaille pas, ne produit pas, il s’agite ; il ne donne pas la vie, il la contient ; ou plutôt il la donne et la retire avec la même indifférence ; il est le grand roulis éternel qui berce les êtres... Cette tempête des eaux n’est que la continuation, la conséquence de la tempête des airs... À mesure que je réfléchis, il me semble voir l’océan monter autour de moi, envahir tout, emporter tout ; il me semble que je ne suis plus moi-même qu’un de ses flots ; que la terre a disparu, que l’homme a disparu, et qu’il ne reste plus que la nature avec ses ondulations sans fin, ses flux, ses reflux, les changements perpétuels de sa surface qui cachent sa profonde et monotone uniformité. » Nietzsche, qui avait lu et annoté ces pages, dit à son tour dans la Volonté de puissance : « Force partout, le monde est jeu des forces et onde des forces, à la fois un et multiple, s’accumulant ici tandis qu’il se réduit là-bas, une mer de forces agitées dont il est la propre tempête se transformant éternellement dans un éternel va-et-vient avec d’énormes années de labeur, avec un flot perpétuel de ses formes ; ... il est ce qui doit éternellement revenir, étant un devenir qui ne connaît point de satiété, point de dégoût, point de fatigue. » Si Nietzsche n’a pas connu les pages de M. G. Le Bon sur le retour éternel, il a probablement lu le discours de Nœgeli sur les limites de la connaissance naturelle, qui ne fut guère moins commenté en Allemagne que le discours analogue de Dubois-Reymond, et où Nœgeli développait l’hypothèse du retour telle que Lange l’avait formulée. (Voir notre livre sur Nietzsche et l’immoralisme.)

  5. Nietzsche, la Volonté de puissance, p. 189-190, Aphorismes, 385
  6. Nous différons sur ce point de M. Batault, qui, dans la Revue philosophique de février 1904, présente l’hypothèse du retour comme une déduction de la science moderne, due au génie de Nietzsche.
  7. a et b Volonté de puissance §384. T. II, p. 181 de la traduction française