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Note sur le Parc national de Yellowstone aux États-Unis

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NOTE
sur le
PARC NATIONAL
DE YELLOWSTONE
AUX ÉTATS-UNIS
par
M. Charles JOLY.
Ancien Vice-Président
de la Société nationale d’Horticulture de France.
Membre honoraire et correspondant des Sociétés d’Horticulture
d’Épernay, d’Orléans et du Loiret, de Genève, de la Gironde, de Nancy, du Massachusetts,
de l’Association horticole Marseillaise, de la Société régionale du nord de la France,
de la Société de Climatologie algérienne, du Cercle pratique
de Montmorency, de la Société royale d’Horticulture
de Toscane, de l’Association royale d’Agriculture
du Portugal, etc.

Séparateur


PARIS
IMPRIMERIE G. ROUGIER et Cie
1, rue cassette, 1

1884

NOTE
sur
LE PARC NATIONAL
DE YELLOWSTONE
AUX ÉTATS-UNIS
Par M. Charles JOLY.




Parmi les nombreux sujets d’étude qu’embrasse l’Horticulture se trouvent la création et l’embellissement des parcs et des jardins.

S’il est utile d’encourager les modestes efforts individuels pour créer et entretenir des plantations attenant à nos habitations, s’il faut propager la culture des fleurs, même sur nos fenêtres, comme on le fait en Belgique et en Angleterre, il n’est pas moins utile et intéressant de connaître les grands parcs destinés à l’assainissement et à la promenade dans nos grandes villes : ces parcs sont toujours plus ou moins artificiels et modifiés par l’art moderne qui cherche à imiter la nature, en y créant des lacs, des rochers et des cascades.

Mais, quelquefois, la nature elle-même réunit sur un point du globe, des merveilles qu’il serait important de conserver intactes, à l’abri de la spéculation et du vandalisme des hommes. Nous en avons la preuve dans les fameuses chutes du Niagara dont les vues et les abords sont malheureusement exploités aujourd’hui par de nombreux industriels.

Quand la nature nous offre un temple semblable, où le poète et le penseur se sentent pénétrés jusqu’au fond de l’âme et saisis d’une muette admiration devant la majesté d’un si grand spectacle[1], ce qu’il faut surtout, c’est du repos et du silence : il est odieux de voir, autour de soi, toutes les petitesses humaines venir s’étaler sous nos yeux sous forme d’hôteliers, de tourniquets et de cicérones rapaces : ceux-là me comprendront qui ont vu Constantinople, Pompéi, Saint-Pierre de Rome, ou toute autre grande œuvre de l’art ou de la nature.

Un jour viendra sans doute où la prodigieuse puissance du Niagara (plus de quatre millions de chevaux) sera transformée en électricité et transmise au loin : car de tout temps, si l’on a utilisé les chutes d’eau sur place, il faut aujourd’hui transmettre leur puissance, soit sous forme d’air comprimé, comme au Mont-Cenis et au Saint-Gothard, soit au moyen de câbles enroulés autour de tambours et de poulies, soit enfin en transformant la force de la chute en électricité qui peut ensuite agir à de grandes distances.

Déjà le Gouvernement des États-Unis, plus clairvoyant aujourd’hui, avait eu le bon esprit en 1864, de conserver à la science et à l’admiration des voyageurs, les merveilles végétales de la vallée de Yosemite, en Californie. Une mesure semblable a été prise pour le parc qui fait l’objet de cette note.

Ce parc est le plus étendu qu’il y ait au monde : c’est plutôt ce que les Américains appellent « a reservation » ou une portion de territoire réservée dans un but d’intérêt public, par exemple, pour y conserver certaines espèces d’animaux ou certaines plantes qui disparaissent aux approches de notre soi-disant civilisation. Ce n’est certes pas parce que le parc est curieux au point de vue botanique, que je le signale à l’attention ; c’est le géologue, le chimiste et le médecin qui s’intéresseront surtout au « Yellowstone national Park », et y feront une ample moisson d’observations, mais ce n’est pas une raison pour que les horticulteurs ne connaissent pas la création naturelle la plus étendue et la plus remarquable qu’il nous soit donné d’admirer aujourd’hui comme promenade publique : on l’a justement désignée sous le nom de « Wonderland », ou terre des merveilles.


Fig. 1. — Plan du Parc national de Yellowstone

La carte ci-jointe (fig. 1) donnera de suite une idée de ce qu’on appelle aux États-Unis « Le Parc national » : cela paraîtra bizarre, au premier abord, à ceux qui prennent pour des promenades les squares si limités de la Ville de Paris ; mais au delà de l’Atlantique, on voit et on fait grand : il ne faut pas juger les choses de l’Amérique avec nos idées étroites et nos petites querelles de mur mitoyen : nous avons affaire là à un tout autre monde, à des fleuves, à des prairies, à des chemins de fer, à une production agricole, en un mot, à un continent tout différent du nôtre.

Ceci bien compris, j’arrive à mon sujet. On sait qu’il y a aujourd’hui trois grandes lignes de chemin de fer qui unissent l’océan Atlantique à l’océan Pacifique, en attendant que le percement de Panama soit effectué. Ah ! il est déjà loin le temps où, en 1842, étant à Saint-Louis, dans le Missouri, j’accompagnais pendant quelques jours le colonel Frémont essayant alors de traverser le continent directement de l’est à l’ouest : ce n’étaient pas les animaux malfaisants ou les fièvres qui étaient à craindre, c’étaient les Indiens qu’il fallait éviter ou combattre : on mettait alors trois à quatre mois pour traverser les plaines de l’Ouest et les montagnes Rocheuses ; aujourd’hui, on les traverse en cinq jours, en toute sécurité et dans des wagons meilleurs que les nôtres. Il y a en ce moment trois lignes à choisir :

1o Celle qui part de San Francisco pour aller, par Santa Fé, à la Nouvelle-Orléans : cette ligne vous met à l’abri des neiges des longs hivers ;

2o La deuxième ligne, la plus anciennement construite, c’est-à-dire « l’Union central pacific Railroad », qui va de New-York à San Francisco et qui a près de 3 600 milles de longueur ;

3o Enfin le « Northern Pacific Railroad », qui commence à Saint-Paul, dans le Minnesota.

La distance de New-York à Saint-Paul, par différentes lignes ferrées, est d’environ…………………………… 1 500 milles.

De Saint-Paul à Livingston, par le Northern Pacific Railroad, environ……………………………… 1 000 —

De Livingston à Mammoth Springs, qui est le point de départ des excursionnistes…………………… 57 —


Ensemble…………………… 2 557 milles.

C’est généralement cette dernière voie que l’on choisit, parce qu’elle traverse des États plus pittoresques et plus riches que le « Central Pacific Railroad », puis parce qu’elle vous met à l’entrée du parc, à Mammoth Springs.


Fig. 2. — Rochers basaltiques dans le Parc National

Jusqu’à l’année dernière, il n’y avait ni hôtels, ni abris d’aucun genre pour les touristes. On voyageait avec des tentes et un matériel complet de campement, comme dans les déserts.


Fig. 3. — Coupe de l’Amethyst Mountain montrant ses forêts fossiles.

Aujourd’hui, une Compagnie, celle de Mess. Rufus, Hatch et Cie, autorisée par le gouvernement, a déjà construit un vaste hôtel à Mammoth Springs et elle est en train d’en construire plusieurs autres dans les lieux les plus intéressants.

Parlons enfin du parc lui-même : il est situé dans la partie, nord-ouest de l’État de Wyoming, entre le 110e et le 111e degré de longitude et le 44e et 45e degré de latitude. Il est borné au nord par l’État de Montana, et à l’ouest par l’État d’Idaho ; sa longueur est d’environ 55 milles de l’est à l’ouest et de 65 milles du nord au sud, c’est-à-dire que sa superficie est d’environ 3 500 milles carrés. C’est un vaste plateau élevé de 6 à 8 000 pieds au-dessus de l’océan Pacifique, entrecoupé par de nombreuses vallées couvertes de conifères, par des rivières formant les cascades les plus pittoresques et par des montagnes de 10 à 12 000 pieds d’élévation.

Comme dans nos hautes vallées des Alpes, les excursions ne sont possibles que de juin à septembre, à cause des neiges. En été, la température y est en moyenne de ± 10° à 12° le matin, elle s’élève jusqu’à ± 25° à 30° quelquefois à midi et il y gèle presque toutes les nuits. Le sol est d’origine volcanique, entièrement impropre à l’agriculture ; on y voit les rochers basaltiques les plus variés (fig. 2.) et les couches les plus curieuses d’arbres fossiles surtout dans la partie orientale (fig. 3). C’est là que prennent naissance un grand nombre de cours d’eau, les uns se dirigeant par le Missouri et le Mississippi dans le golfe du Mexique, les autres, comme le Columbia et le Colorado, dans l’océan Pacifique.

Ce que je n’ai pas dit jusqu’à présent et ce qui fait l’admiration de tous les visiteurs, ce sont les sources jaillissantes qui couvrent toute la partie occidentale du parc, surtout dans la partie dite « Fire Hole Basin ». Ces sources, dont je donne ici l’idée par les figures 4 et 5, jaillissent du sol en quantités et en formes infinies : elles ont laissé à leur sortie de terre des dépôts calcaires, sulfureux et ferrugineux qui affectent les formes les plus bizarres et donnent au paysage l’aspect le plus varié et le plus pittoresque.

On en compte près de 3 000 dans l’enceinte du Parc : inutile d’ajouter que ces sources sont intermittentes et qu’elles ont une température qui varie de 15° à 100° centigrades ; les unes jaillissent toutes les heures, d’autres trois fois par jour, d’autres enfin, tous les trois ou quatre jours seulement.


Fig. 4. — Le Giant Geyser en éruption

L’éruption varie aussi beaucoup en durée et la hauteur de l’eau atteint depuis un pied jusqu’à 250 pieds au-dessus du sol.


Fig. 5. Le Great Geyser en éruption.

Outre ces sources, des lacs nombreux découpent et embellissent le paysage : le principal d’entre eux, le « Yellowstone lake » (fig. 6), est un vrai modèle à imiter par nos dessinateurs de parcs publics.


Fig. 6. — Vue du Lac de Yellowstone.

À côté des sources chaudes se trouvent souvent des sources froides et des cours d’eau où se pèchent des truites : le pêcheur, sans détacher le poisson de sa ligne, peut le plonger dans une source chaude à sa portée, et il en retire le poisson quand il est cuit.

J’ai dit que le gouvernement des États-Unis avait eu, dès 1871, la sagesse de suivre le conseil d’un éminent professeur, M. F. V. Hayden, géologiste, qui a publié de nombreux rapports sur les territoires de l’Ouest[2].

Dès 1872, une loi détacha du domaine public ce qui forme aujourd’hui le parc national pour le consacrer à perpétuité à l’usage et au plaisir du public. Cette loi fut passée sur les vives instances de M. Hayden et elle confia le parc aux soins du ministre de l’Intérieur pour assurer la conservation des forêts, des sources minérales et des nombreuses curiosités naturelles qu’on y trouve à chaque pas. Des règlements particuliers furent dressés par les soins d’un superintendant spécial : le premier fut Mr N. P. Langford, qui fut remplacé en 1871 par Mr P. W. Norris. Ce dernier a publié, de 1877 à 1881, un très intéressant rapport annuel sur les voies de communication qu’il était chargé d’établir, sur l’histoire, le climat et les curiosités de tout genre objets de ses intelligentes recherches. Un de ses premiers soins fut de conclure un traité de paix avec les tribus indiennes qui avaient occupé certaines parties du parc, afin de leur en interdire l’entrée et d’assurer la sécurité des visiteurs. Il fit aussi placer aux principaux points, comme chez nous dans la forêt de Fontainebleau, des signes pour guider les touristes.

Le superintendant actuel est Mr P. H. Gonger, qui continue l’œuvre de Mr Norris avec le plus grand dévouement. Pour faire le tour du parc et pour en voir les principales curiosités naturelles déjà explorées, Mr Gonger estime à 163 milles, la distance nécessaire à parcourir pour revenir au point de départ.

Les premiers renseignements authentiques publiés sur le parc ne datent guère que de 1863 ; jusqu’à cette époque, on ajoutait peu de foi aux rapports des trappeurs qui faisaient sur leurs explorations des récits exagérés : mais peu à peu, des voyageurs sérieux et des savants publièrent de nombreux documents qui tous les jours attirèrent davantage les touristes.


Fig. 7. — Vue des Mammouth hot Springs.

Tout marche vite aux États-Unis et, comme je l’ai dit précédemment, les hôtels se construisent sur les points principaux, les chemins de fer conduisent jusqu’à Mammoth Springs, les routes carrossables s’améliorent partout et le parc qui comptait à peine quelques voyageurs français (parmi lesquels je lis le nom de M. Paul Passy), va être visité comme les arbres géants de la Californie.


Fig. 8. Vue de la chute de la rivière de Yellowstone.

Parmi les excursionnistes qui ont parcouru le parc en 1882, se trouvait le Président des États-Unis, accompagné d’une suite nombreuse. On n’éprouve pas là, dans sa marche, les difficultés sans nombre que l’on trouve dans les pays méridionaux à température chaude et humide si favorable à la végétation et si fréquentés par les insectes.

Dans le Nord, sauf les obstacles que forment quelques marais que l’on contourne, ou des arbres renversés par les tempêtes ou la vieillesse, les passages sont assez faciles partout comme dans les régions élevées où dominent les conifères : là, l’abies excelsa et ses congénères y atteignent quelquefois 150 pieds de haut et un diamètre de 5 à 6 pieds : les forêts couvrent plus des trois quarts du parc : le reste est composé de vallées gazonnées et de roches basaltiques ou granitiques souvent recouvertes par les dépôts bizarres provenant de sources taries : ces dépôts affectent les formes les plus pittoresques, comme on le voit dans la fig. 7, qui donne une idée des terrasses de Mammoth Springs : là, les concrétions calcaires, provenant des eaux souterraines, claires comme du cristal, forment une succession de poches liquides, à des températures diverses et avec des couleurs si variées, que leur aspect au soleil a quelque chose de féerique.

Le plateau supérieur, c’est-à-dire le cratère d’où sortent les eaux qui forment les couches successives qu’indique la figure 7, est à 200 pieds au-dessus de la plaine : on peut juger par là de la grandeur de ce spectacle. On sait que ce n’est qu’en Islande et dans la Nouvelle-Zélande que l’on trouve des formations analogues.

Si la première partie du parc, celle du Nord-Ouest est intéressante comme preuve évidente des feux souterrains qui couvent sous l’écorce terrestre et ébranlent par intervalles certaines parties de notre globe, comme nous l’avons vu récemment à Ischia, la partie orientale présente des scènes qui reposent la vue et l’odorat des vapeurs sulfureuses qu’on a respirées à chaque pas. Outre les paysages délicieux qu’offre le lac de Yellowstone (fig. 6), le cours de la rivière qu’il faut suivre pour revenir à Mammoth Springs, renferme des cascades dont l’une à 150 pieds de haut, et la deuxième 350 pieds (fig. 8). Les eaux parcourent alors un ravin profondément encaissé dont les côtés ont de 12 à 1 500 pieds de hauteur ; ils sont formés surtout de roches basaltiques couvertes par des suintements de sources minérales de natures diverses : ces dépôts prennent des nuances variées qui, dans ces abîmes, ont des reflets magiques et souvent au soleil ont l’apparence de pierres précieuses.

On voit, par ce qui précède, que le « Yellowstone national Park » est aujourd’hui d’une visite facile et qu’il offre aux géologues, aux médecins et aux touristes, de nombreux sujets d’études.

Les voyages dans l’Amérique du Nord ont cet avantage immense sur d’autres contrées du globe, c’est que les maladies infectieuses y sont rares et les moyens de communication rapides et économiques. Avant que les grands problèmes sociaux qui nous divisent en Europe, aient eu besoin de solutions pratiques aux États-Unis, il y aura encore pendant longtemps une soupape de sûreté dans les vastes territoires de l’Ouest : plus tard, quand les races Yankees, Allemandes, Chinoises, etc., viendront à se rencontrer sur le terrain des intérêts matériels et politiques, quand la population sera aussi dense que la nôtre en Europe à surface égale, c’est-à-dire, quand on la comptera par centaines de millions, alors, il se produira là probablement une secousse sociale comme le monde n’en a jamais eu d’exemple ; mais, en attendant, nous avons aujourd’hui un curieux spectacle sous les yeux, c’est celui d’un peuple actif, industrieux, placé dans un milieu où la nature a tout mis en abondance pour satisfaire les besoins du Commerce, de l’Agriculture et de l’Industrie, c’est-à-dire, un climat salubre, des fleuves immenses, des ports profonds et faciles d’accès, de la houille, du pétrole, des métaux de tous genres, des sols d’une fertilité exceptionnelle, pas de question romaine, ni de question d’Orient, l’uniformité de langue et de monnaies, pas de voisins jaloux ni d’armées permanentes. Voilà bien des éléments de prospérité ! Aussi, je ne saurais trop recommander de consacrer quelques semaines à voir de près la vaste scène où se déroule aujourd’hui l’un des grands problèmes de l’avenir.




Paris. — Imprimerie G. Rougier et Cie, rue Cassette, 1.

  1. Qu’on se figure un fleuve large comme l’avenue du Bois-de-Boulogne, à Paris, et tombant de la hauteur des tours de Notre-Dame entre deux rochers perpendiculaires de 250 pieds de haut et l’on aura une maigre idée du Niagara. Malheureusement, la première vue qu’on en a est toujours d’en haut et l’effet en est beaucoup diminué : cet effet, qui diffère beaucoup l’été et l’hiver serait tout autre si l’on arrivait d’abord au pied des chutes. Il en est de même pour toutes les grandes choses ; par exemple, Saint-Pierre de Rome vu de la place, entre les portiques qui le précèdent, ne donne pas une idée de son immensité ; le Mont-Blanc, vu de Chamounix, à une altitude déjà considérable, ne paraît pas très élevé et on ne l’apprécie véritablement qu’en en faisant l’ascension, ou en en faisant le tour.
  2. Twelth annual Report of the United States geological aud geographical Survey of the Territories of Wyoming and Idaho, by. F. V. Hayden. — Washington, Government printing office, 1883.