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Obermann/XV

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Obermann (1804 - 2e éd, 1833)
Charpentier (p. 82-84).

LETTRE XV.

Fontainebleau, 9 août, II.

Parmi quelques volumes d’un format commode que j’apportai ici, je ne sais trop pourquoi, j’ai trouvé le roman ingénieux de Phrosine et Mélidor ; je l’ai parcouru, j’en ai lu et relu la fin. Il est des jours pour les douleurs ; nous aimons à les chercher dans nous, à suivre leurs profondeurs, et à rester surpris devant leurs proportions démesurées ; nous essayons, du moins dans les misères humaines, cet infini que nous voulons donner à notre ombre avant qu’un souffle du temps l’efface.

Ce moment déplorable, cette situation sinistre, cette mort nocturne au milieu des voluptés mystérieuses ! Dans ces brouillards ténébreux, tant d’amour, tant de pertes et d’affreuses vengeances ! et ce déchirement d’un cœur trompé quand Phrosine, cherchant à la nage le roc et le flambeau, entraînée par la lueur perfide, périt épuisée dans la vaste mer ! Je ne connais pas de dénoûment plus beau, de mort plus lamentable.

Le jour finissait, il n’y avait point de lune ; il n’y avait point de mouvement ; le ciel était calme, les arbres immobiles. Quelques insectes sous l’herbe, un seul oiseau éloigné chantaient dans la chaleur du soir. Je m’assis, je restai longtemps : il me semble que je n’eus que des idées vagues. Je parcourais la terre et les siècles ; je frémissais de l’œuvre de l’homme. Je reviens à moi, je me trouve dans ce chaos ; j’y vois ma vie perdue ; je pressens les temps futurs du monde. Rochers de Righi ! si j’avais eu là vos abîmes[1] !

La nuit était déjà sombre. Je me retirai lentement ; je marchais au hasard, j’étais rempli d’ennui. J’avais besoin de larmes, mais je ne pus que gémir. Les premiers temps ne sont plus : j’ai les tourmentes de la jeunesse, et n’en ai point les consolations. Mon cœur, encore fatigué du feu d’un âge inutile, est flétri et desséché comme s’il était dans l’épuisement de l’âge refroidi. Je suis éteint, sans être calmé. Il y en a qui jouissent de leurs maux ; mais pour moi tout a passé : je n’ai ni joie, ni espérance, ni repos ; il ne me reste rien, je n’ai plus de larmes.


  1. Le mont Righi est près de Lucerne ; le lac est au pied de ces rocs perpendiculaires.