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Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/255

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son avoir, enfin. Et il mangeait en silence avec une obstination d’avare qui cache des sous, avec la ténacité sombre qu’il apportait autrefois à ses labeurs persévérants.

Mais tout à coup il aperçut au bout de la table l’enfant de Céleste sur les genoux d’une femme, et son œil ne le quitta plus. Il continuait à manger, le regard attaché sur le petit, à qui sa gardienne mettait parfois entre les lèvres un peu de fricot qu’il mordillait. Et le vieux souffrait plus des quelques bouchées sucées par cette larve que de tout ce qu’avalaient les autres.

Le repas dura jusqu’au soir. puis chacun rentra chez soi.

Césaire souleva le père Amable.

— Allons, mon pé, faut retourner, dit-il.

Et il lui mit ses deux bâtons aux mains. Céleste prit son enfant dans ses bras, et ils s’en allèrent, lentement, par la nuit blafarde qu’éclairait la neige. Le vieux sourd, aux trois quarts gris, rendu plus méchant par l’ivresse, s’obstinait à ne pas avancer. plusieurs fois même il s’assit, avec l’idée que sa bru pourrait prendre froid ; et il geignait, sans prononcer un mot, poussant une sorte de plainte longue et douloureuse.