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Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/98

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ment brisée et disjointe que la première vague un peu rude l’emporterait en bouillie.

Alors notre angoisse s’accrut de seconde en seconde avec les rafales de plus en plus fortes. Maintenant, la mer brisait un peu, et je voyais dans les ténèbres des lignes blanches paraître et disparaître, des lignes d’écume, tandis que chaque flot heurtait la carcasse du Marie-Joseph, l’agitait d’un court frémissement qui nous montait jusqu’au cœur.

L’Anglaise tremblait ; je la sentais frissonner contre moi, et j’avais une envie folle de la saisir dans mes bras.

Là-bas, devant nous, à gauche, à droite, derrière nous, des phares brillaient sur les côtes, des phares blancs, jaunes, rouges, tournants, pareils à des yeux énormes, à des yeux de géant qui nous regardaient, nous guettaient, attendaient avidement que nous eussions disparu. Un d’eux surtout m’irritait. Il s’éteignait toutes les trente secondes pour se rallumer aussitôt ; c’était bien un œil, celui-là, avec sa paupière sans cesse baissée sur son regard de feu.

De temps en temps, l’Anglais frottait une allumette pour regarder l’heure ; puis il remettait sa montre dans sa poche. Tout à