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Page:Allart - Les Enchantements de Prudence.djvu/29

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à elle ; elle s’y était retirée après les malheurs politiques qui avaient frappé tant de monde, en 1814, et elle attendait là d’avoir arrangé sa fortune ébranlée. Je l’avais vue chez ma mère, dès mon enfance, lorsqu’elle était dans l’éclat de sa beauté. J’étais venue enfant au Vallon avec mon père, plus intimidée du grand monde qu’on y rencontrait alors que sensible à une nature oubliée au milieu des chasseurs, des acteurs, des flambeaux et des amusements. Dès que j’atteignis quinze ou seize ans, Laure m’enchanta par son accueil, sa bonté ; un charme dès lors existait entre nous. Après la mort de son mari et celle de mes parents, je vins passer quinze jours au Vallon. Elle était alors en grand deuil de son mari. Ce grand deuil la rendait touchante : elle m’imposait et me plaisait en même temps. Ses malheurs, rattachés à de si hauts événements, avaient été sentis par elle d’une façon admirable. Elle avait surtout souffert pour la gloire et pour la patrie ; rien de petit, de mesquin, n’était en elle. C’était une grande âme, digne de l’antiquité ; mais ce caractère élevé était uni chez elle à une bonté incomparable que je n’ai jamais vue à personne à ce degré, bonté de chaque instant et pour chacun, bonté dans le regard, dans l’accent, dans toute la personne, et qui établissait autour d’elle comme une atmosphère douce et irrésistible.

L’année suivante, je revins plusieurs fois au Vallon sur son aimable invitation, et le temps passé près d’elle me fut si cher, si beau, il m’est encore si présent, qu’en le retraçant, je le revois encore. J’en éprouve déjà l’émotion : jours de la jeunesse où la vie est si riche et si vive ! Éveil puissant d’un cœur passionné qui reçoit l’étincelle