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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

ménagés sur les bords de distance en distance. La récolte se fait tous les jours ou tous les deux jours, à partir de la fin du printemps.

Le sel mis en mulons, c’est-à-dire en monceaux semi-sphériques, est recouvert avec la vase provenant des salines, qui se durcit à l’air et forme une croûte impénétrable aux eaux pluviales. Ce sel reste ainsi plusieurs années, attendant des acheteurs, qui deviennent de jour en jour plus rares.

C’est que les chemins de fer et d’autres causes économiques sont venus réagir de la façon la plus désastreuse sur l’industrie des salines dans la région du bas de la Loire et dans tout l’ouest de la France. Les sels de l’Ouest ne peuvent plus soutenir la concurrence avec les autres sels. Dans l’est de la France, le sel provient de sources salifères ou de mines ; aujourd’hui on traite à peu près partout les mines de sel comme les sources salées elles-mêmes. Pour cela on remplit d’eau les galeries pratiquées à travers les gisements, et quand cette eau est saturée de sel au degré voulu, on l’amène à la surface, et on la fait passer par des chaudières d’évaporation. Là, le soleil n’est pas un auxiliaire indispensable ; la fabrication marche avec le beau temps, comme avec le mauvais temps.

Dans le Midi, au contraire, on utilise le soleil avec la certitude de pouvoir compter sur son action, certitude que n’ont pas les paludiers de l’Ouest. La Méditerranée n’ayant qu’un flux et reflux à peine sensible, c’est à l’aide d’appareils mécaniques qu’on fait monter l’eau de la mer ou celle des étangs de concentration dans les salines disposées en carrés immenses. On n’est nullement forcé d’accélérer l’évaporation par une circulation continuelle. Avec une température toujours chaude, sous un ciel sans nuages, on n’a besoin que de renouveler l’eau de temps en temps, et l’on recueille le sel en une seule fois à la fin de l’été. Comment les produits des salines du bas de la Loire, et en général de l’Ouest, soutiendraient-elles la concurrence contre les sels du Midi, avec un climat brumeux qui rend la production intermittente et laborieuse ? Les marais salants de l’Ouest devaient donner de moindres profits.

De là, une vie rendue difficile pour les paludiers. On se tromperait cependant si l’on imaginait des populations besoigneuses jusqu’à en être étiolées. Les paludiers sont grands et forts, les femmes très fraîches de teint. Il faut voir courir les paludières au bord des salines, pieds nus, en courts jupons, portant sur leurs têtes de lourds fardeaux…

Le caractère est à l’avenant de l’apparence physique : ces gens sont francs, ouverts, de bonne humeur ; fiers, ils cachent leur pauvreté comme ailleurs