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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

pousser des cris de détresse. Elle courut vers son John et s’attacha à lui. Il fallut qu’Henry Esmond donnât l’ordre à Barbillon de la ramener de force auprès de lady Tavistock.

Après la chute du mât de misaine, on ne pouvait songer à utiliser une voile basse pour imprimer une direction au yacht. Soulever ce mât était tout aussi impossible : il gisait sur le pont, avec sa grande voile de forme aurique lacée sur des cornes et enverguée au mât par les cercles mobiles servant à la hisser ou à l’amener. Tout ce bois et toute cette toile, dans laquelle le vent s’engouffrait, constituaient un obstacle et un danger de plus.

Le yacht fuyait donc devant le vent à mâts et à cordes, exposé à chaque instant à être submergé, poussé de plus en plus à la pointe de Barfleur ; c’était visible.

Le travail de la pompe devenait insuffisant, chimérique…

Du rivage, les marins de la brigade de sauvetage qui observaient le yacht, comprirent qu’il était fatalement perdu, qu’il allait se mettre à la côte à l’entrée de Barfleur et s’y défoncer.

Alors, au milieu de la tourmente retentit le cri : « Le canot à la mer ! » Ce cri est répété de proche en proche. Quelques-uns des marins se portent vers le poste-abri qui renferme l’embarcation, tandis que d’autres vont relancer chez eux ceux qui n’ont pas deviné qu’un navire est en perdition.

Deux hommes manquaient à l’appel : il s’en présenta trois de bonne volonté pour compléter l’équipage.

Le canot, tiré de son abri fut amené à la mer sur un chariot à trois roues. La mer était basse, malgré la tempête du large et le port presque à sec ; on dut atteler trois chevaux au chariot pour la mise à l’eau de l’embarcation sur la plage ; cette opération ne prit pas moins d’une demi-heure.

Au moment du « lâchez tout », quand le canot s’ébranla, que le chariot s’en débarrassa, et que cette masse, bateau et hommes, fut précipitée dans la mer, disparaissant sous l’eau pour se relever plus loin, des femmes, des enfants, et parmi eux les enfants des sauveteurs qui allaient risquer-leur vie suivaient avec anxiété sur la plage toutes les manœuvres…

Mais la mer repousse le canot. Alors, tous, la ceinture de liège aux flancs, se mettent à l’eau jusqu’à la poitrine pour ramener le canot à la mer. Une lame fuit en le laissant plongé par l’avant dans le sable ; il reste engravé, en butte aux fureurs successives de la vague et du vent. Mais nos sauveteurs n’étaient pas ébranlés pour si peu : de la voix, du geste, ils s’exhortent, s’unissent, s’encouragent et réussissent à relever l’embarcation.