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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/291

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Le petit Parisien apprit bientôt où logeaient les deux compères ; il les suivit à la fin d’une représentation tout le long de la rue du Débarcadère, qui traverse la ville parallèlement à la Seine. Ils ne s’arrêtèrent qu’au bout de cette rue, au coin du Cours et devant la gare du chemin de fer : Jacob et Hans demeuraient là. Mais ils prenaient leurs repas à la loge même. Jean s’en assura en venant épier à travers la toile, et en écoutant les conversations.

Un soir, vers sept heures, il aperçut Jacob et Hans assis autour d’une table, où avaient pris place des femmes en maillots roses, en tutus verts ou rouges frangés d’or, un caraco d’indienne sur leurs épaules nues, et des gars de solide encolure, — lutteurs et amateurs, — couverts négligemment de quelque vieux paletot ; aux pieds, des savates, en attendant de chausser l’escarpin de lutte à collet de fourrure. M. et madame Marseille, en tenue de ville, présidaient avec autorité. Sur la table de bois sans nappe, les grossières assiettes de faïence placées devant tous ces gens de robuste appétit, ne désemplissaient que pour se remplir aussitôt ; les verres étaient vidés par grandes lampées. Jacob tenait très bien son rang parmi les convives ; Hans également, mais avec une ombre au front, un souci : peut-être l’ennui de ne pouvoir, dans ce milieu, préparer librement son potage favori d’œufs battus délayés dans de l’eau chaude ; peut-être encore, de s’entendre appeler Choucroute, sobriquet familier à lui imposé dès la première heure.

Marseille junior donnait ses dernières instructions, gourmandant les indolents, stimulant le zèle de chacun.

— Toi, d’abord, le Cuirassier, tu n’as pas fait durer la lutte assez longtemps !… Faut de l’honnêteté au travail… Toi, mon mal blanchi — il s’adressait au nègre Abdoul, — tu y vas trop fort… Je ne veux pas que tu me démolisses mes amateurs !…

» À propos d’amateurs, toi, Jacob, là-bas (c’était Jacob Risler), je ne te paie pas pour aller passer le temps de la parade chez le mastroquet… Quand je jette les gants, il faut que je voie ta main, mon bonhomme. Et toi, l’autre, le petit, quand je m’égosille, faut pas tenir ta langue dans ta poche ! Si je te dis : « Tu veux un gant, toi ?… T’es trop jeune ! » il faut me répondre poliment : « M’sieu Marseille, tâche donc voir d’essayer ! » Alors, je dis : « Moi je ne travaille plus, mais j’ai mon nègre ! » Tu ripostes : « Je n’en ferai qu’une bouchée ! » Là-dessus, nous rions, et je te jette le gant. Mais faut allumer le public !

L’instant d’après, pendant que Passe-Lacet levait le couvert, Jacob Risler