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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/37

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Faim ? Fallait donc le dire plus tôt ! s’écria l’ex-zouave tout heureux de faire valoir sa prévoyance, même aux yeux d’un enfant.

Et posant son sac par terre, il dégagea de sa courroie la moitié d’un pain de munition d’aspect fort appétissant. L’enfant en reçut un gros morceau, et par occasion, ou pour encourager son petit ami, le zouave s’en coupa une tranche dans laquelle il mordit à belles dents.

— Tu n’as pas vu des soldats ? demanda-t-il à l’enfant, la bouche pleine.

— Quoi ?

— Je te demande, moutard, si tu n’as pas vu tantôt des soldats suivant ce chemin, le long du bois ?

Jean secoua la tête négativement.

— Papa aussi est soldat, dit-il avec l’intonation d’un jeune coq qui essaye de chanter. Il est parti pour la guerre… l’autre nuit.

— D’où est-il parti ?

— De Vannes.

— Ah ! bien ! je sais alors ; il est des nôtres, ton père, un gaillard, un solide, aussi vrai que je suis un dur à cuire. Tu vas retourner bien vite à la maison pour donner de ses nouvelles à ta mère…

— Maman est à Paris, dit l’enfant ; ma petite sœur Pauline aussi.

— Mais toi, alors, où demeures-tu ?

— À Vannes, avec le père Barnabé, et la tante Jacqueline.

— Mais pourquoi es-tu là ?

— Pour voir si mon papa va passer, et pour que le père Barnabé et la tante Jacqueline ne me grondent pas.

— Tu as bien mis trois heures pour venir de Vannes ? demanda l’ex-zouave qui réfléchissait à un parti à prendre.

— Je ne sais pas.

— Tiens, tu es aussi bête que les pierres du chemin. Veux-tu que je t’emmène avec moi au camp… où est ton père ?

Cela demandait réflexion. Le petit bonhomme se mit à se promener, les mains derrière le dos, dans une attitude sérieusement méditative. Sans s’en douter il avait pris l’air du « petit caporal » des images d’Épinal.

— Tiens ! tu me bottes ! s’écria l’ex-zouave ravi. Je t’emmène. Je t’ai sauvé de la faim, je veux te sauver du froid. Tu vas grimper sur mon sac.

Cette proposition leva les derniers scrupules de l’enfant. Et tandis que le vieux soldat chargeait sur ses épaules son sac et « tout le tremblement », Jean, tout à fait décidé, grimpait sur le fameux sac et prenait la place…