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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Les hommes murmuraient ; les femmes essayaient de les calmer, voulaient éviter un éclat, et souriaient, faisant semblant de trouver plaisante l’intrusion de cet original… L’orchestre avait suspendu la polka commencée pour donner un répit aux danseurs et faciliter l’expulsion de ce gêneur qui ne criait pas gare dessous !

Le « vrai Breton » profita de l’accalmie pour élever la voix, tandis que l’on faisait cercle autour de lui, — plusieurs cherchant l’endroit vulnérable.

— Et savez-vous, reprit-il, pourquoi je me trouve ici, au milieu de vous ? J’y suis venu chercher Annette pour la conduire devant M. le maire. Annette qui ? Annette quoi ? Je ne sais plus bien… C’était dans le temps… J’étais pour lors un joli garçon et qui n’avait point de verrues sur la guibre. C’est fidèle les filles en Flandre ! Elle m’attendait ma promise, ah ! ben ouiche ! Je t’en fiche ! rasibus ! partie au large ! Il n’est pas question de se flanquer à la nage pour la rattraper, vu qu’elle a contracté dans les règles, à preuve qu’elle est grand’mère. Elle a épousé qui ? quoi ? un terrien, soit dit sans vous offenser. Cours après, attrape à jouer des jambes ! Bon pour une fois ; elles ne m’y reprendront plus les jeunesses de votre village ! attrape à recommencer ! — Mais il n’y a donc pas un tabouret pour s’asseoir dans votre cambuse ? Tonnerre de Brest ! pas un coin où vider une bouteille de n’importe quoi ?… histoire de se refaire le tempérament ? Je préférerais, nonobstant avis contraire, quelque chose qui me chatouillerait le cœur comme du velours. Garçon ! un grog américain ! garçon !… ou je démolis tout !

Un cultivateur des environs — pantalon de velours, blouse neuve couleur de la fleur bleue du lin — venu à Bambecque à l’occasion de la ducasse, moins calme que les autres, prit la mouche. Il n’en pouvait supporter davantage.

— Ch’est en bas la buvette, fit-il en se contenant pour ne pas éclater.

— De quoi ?

— Ch’est en bas, tu sais ?

— Une façon de me mettre à la porte, on dirait ?

Le Flamand ouvrait de larges mains nerveuses, faisant penser à des étaux.

— Fais pas le farrau ! dit-il ! Fais pas le p’tit milord !

— Un vrai Breton n’est pas pour subir un affront, poursuivit le marin.

— T’a l’heure, min garchon, tu sais, vous allez braire !

— Serais-tu pas le gendre à Annette ? son frère ou son mari ? Tonnerre de Brest ! Viens donc par là-bas, dans la ruelle, derrière un mur ; je me fais fort de te désosser en deux temps, trois mouvements. Si tu as du cœur, c’est le moment d’en découdre.