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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Pour le coup, le cultivateur ne se contint plus. Il saisit le marin à la gorge, et sans paraître prendre garde aux vigoureux horions que celui-ci lui décochait, il l’entraîna vers une fenêtre avec l’intention de lui faire prendre le chemin suivi par lui pour s’introduire dans la salle de bal.

Mais le Breton le saisissant à son tour, lui donna si adroitement un croc en jambe qu’ils passèrent tous les deux à la fois par la fenêtre — et tombèrent.

Ce fut un grand cri dans la foule qui remplissait la rue du village, — des groupes de valets de ferme, des guirlandes de jeunes filles, des flopées d’enfants.

Par bonheur, sous la fenêtre même, une forte toile abritait l’étalage d’une marchande de jouets et de sucres d’orge. Les deux champions tombèrent sur cette toile et la crevèrent. En sentant s’affaisser sur son dos sa tente par trop surchargée, la marchande ambulante s’esquiva en criant :

— Min pain n’épice ! min chuc ! min chirop ! ché fariboles ! N’en v’là une fiête !

Les deux hommes s’étaient redressés, un peu étourdis, et s’attaquaient avec fureur. Le pied du cultivateur se prit dans la corde de la tente, et il alla rouler à quelques pas entraînant son adversaire. Par terre, les deux combattants redoublaient de colère aveugle. Les coups continuaient à tomber drus. On faisait cercle autour d’eux, et comme le Flamand semblait perdre l’avantage qu’il avait eu d’abord, deux ou trois de ses amis firent mine d’intervenir.

Ils allaient faire un mauvais parti à ce marin querelleur, lorsque Jean arriva avec Quentin, Martial et le fils aîné du fermier Matringhem. Il reconnut — avec quelle surprise ! — dans l’un de ces hommes qui se rouaient de coups, roulant l’un sur l’autre, le pilote du Richard-Wallace.

— Eh ! père Vent-Debout ! cria-t-il.

— Présent ! fit le vieux marin.

Devant le jeune garçon, on s’écarta. Son intervention fut comme le signal d’une trêve qui permit aux deux adversaires de se relever.

— Comment c’est donc toi, mon petit Parisien ! s’écria le Breton. Arrive ici ! À nous deux, nous allons leur apprendre à vivre à ces tas de mirliflores. Je suis Breton ! ajouta-t-il. Ces mots sonnèrent comme une fanfare belliqueuse, avec l’accent d’une déclaration de guerre. Et sa poitrine mise à nu dans la lutte résonna sous les coups de poing qu’il se donnait en manière de défi.

Quentin Werchave intervint à son tour.

— Monsieur Vent-Debout, fit-il…