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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/422

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Hum ! fit Jean qui eut été embarrassé pour protester.

— Eh bien, c’est une fameuse idée ! réprit le géant. Il n’y a pas comme ici pour s’amuser ! Par ses ducasses, Dunkerque prime toutes les villes de la Flandre. C’est à qui inventera les décorations les plus riches pour parer les rues ; il s’établit même des luttes de rues à rues, et leurs habitants rivalisent pour arriver à des effets d’originalité surprenants. La municipalité délivre une médaille à la rue la mieux ornée : c’est à la lettre !

Tout en parlant le géant vidait chope sur chope. Il se dépêchait. Jean voulut ramener la conversation sur le sujet qui l’intéressait.

— Je bois vite, dit le géant, parce que j’entends madame Cydalise qui fait son boniment sur le devant de la loge. On y va ! fit-il un peu effrayé.

Et saisissant la seconde canette, demeurée entière, il la porta à sa bouche et la vida d’un trait.

Il poussa un ouf ! énergique et de véritable soulagement ; puis tout en secouant les cendres de sa pipe, il fit observer à Jean que, fort heureusement, il n’avait, pour être en état de paraître dans son emploi, qu’à échanger sa casquette à visière contre le chapeau tyrolien. Jean remarqua alors que, sous son paletot, le géant était costumé. Il le vit pénétrer en deux enjambées dans la voiture et en ressortir portant à la main son chapeau pointu orné d’une plume d’aigle. Le géant n’avait pas mauvais air. Sa physionomie était caractérisée par un très grand nez extrêmement mince, la mâchoire inférieure proéminente, un front étroit, haut, des cheveux rares et une barbe à peu près absente,

— Alors c’est mademoiselle Cydalise qui vous fait peur ? lui demanda Jean, qui tenait à faire ses frais.

— Mademoiselle Cydalise ? un agneau !… C’est la mère dont on entend la voix : écoutez :

— … « Le célèbre géant tyrolien, » vociférait une voix criarde.

— C’est moi…

— … « telle qu’il l’a chantée devant plusieurs têtes couronnées… »

— C’est ma chanson. Adieu, et merci pour votre politesse.

— Au revoir ! lui dit Jean, trop payé maintenant par ces seuls mots : « mademoiselle Cydalise… un agneau ! »

— Si vous voulez que je vous fasse entrer… à l’œil ? fit le buveur reconnaissant.

À cette proposition Jean recula de surprise et d’effarement.