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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/46

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Des Prussiens ? Où sont-ils ?

Jean revint alors sur ses pas. D’un sentier pierreux descendant des collines, débouchait un paysan de seize à dix-huit ans, en blouse, tête nue, pâle et défait, — déchiré même, — et qui portait quelque chose dans un mouchoir à carreaux. Il répéta sa question :

— Où sont-ils ?

— Ils ont tué M. Bordelais, dit le petit garçon.

— Ces coups de fusil que j’ai entendus, il y a un quart d’heure ? demanda le jeune homme.

— C’était la bataille, répondit Jean.

À peine l’enfant achevait-il ces mots qu’une vive fusillade éclatait du côté où les Prussiens s’en étaient allés. C’était l’arrière-garde de la troupe du commandant Bernard qui, malgré l’ordre de ne pas s’attarder, n’avait pas résisté au plaisir d’échanger quelques coups de feu avec les landwehrs.

— C’est la bataille qui recommence ! s’écria l’enfant.

L’énergie dont avait fait montre jusque-là le pauvre petit était épuisée, et il se mit à pleurer.

— Il ne faut pas pleurer comme ça, lui dit l’autre. Est-ce que je pleure, moi ?

Jean leva la tête et regarda ce gars qui semblait sortir d’une lutte inégale dans laquelle on l’aurait maltraité — et qui ne pleurait pas. Ses yeux se séchèrent.

— Tu devrais donc pleurer ? dit-il. Pourquoi ? Est-ce que les Prussiens t’ont battu ? Tu es tout déchiré…

— Oui, ils m’ont frappé, les misérables, mais je leur revaudrai ça !… Et ils ont brûlé la maison de mes parents.

— Brûlé ?

— Alors, je me suis sauvé, reprit le jeune paysan ; mais je veux avoir le fusil et l’uniforme pour me venger. Je connais les chemins les plus courts et je vais tout droit au campement de la Délivrance… C’est dans la forêt de Boëne, tout en haut de la montagne du Crochet.

— Je veux y aller, moi aussi, dit le petit Jean très résolument.

— Tu es trop petit !

— Mais mon père est dans les soldats… Je suis tout seul…

Le gars pensa que l’enfant errait abandonné, à la suite de quelque violence comme il s’en commettait tant depuis la guerre.