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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/538

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— L’auteur de Grandeur et décadence des Romains ? (Jean avait eu ce livre dans sa balle).

— Des Romains ?… Un grand philosophe, une forte tête… tout ce que je sais. Enfin je vois que tu te dégèles… Eh bien ! j’y suis allé dans le temps. Je me sens encore la force de t’y conduire. Le château est entouré d’une double fossé d’eau vive. Tu verras. Il y a sa chambre, avec son lit, son fauteuil. De la fenêtre, qui s’ouvre au midi, on a la vue sur des prairies… magnifiques !!

» Ça, c’est en remontant la Garonne. En redescendant, pas loin, c’est le château de Blaye, vis-à-vis d’un fort que nous appelons le Pâté, bâti en pleine rivière. Et si l’on pouvait pousser jusqu’à l’embouchure de la Gironde, le phare de Cordouan, quel beau phare !

» Et en face de Bordeaux, mon garçon, dans l’arrondissement, il y a, figure-toi, sur la Dordogne, à Saint-André-de-Cubzac, un pont suspendu. admirable !! Avec les cinquante-huit arches construites sur les rives et les levées de terre qui le raccordent à la route, il a une longueur de plus de 1,500 mètres. Sous son tablier, des vaisseaux peuvent passer à pleines voiles Hein ? qu’en dis-tu ? D’abord je te garde quinze jours : sac et giberne ! il faut que je te dégrossisse.

— Quinze jours ! que dirait l’oncle Risler ?

— Sac et giberne ! ne l’appelle pas ton oncle devant moi, au moins !… Je porte encore ses marques… mais il doit porter les miennes. Avoue plutôt que tu crains les sermons de la tante ?

— Oh ! non, mon cher Bordelais la Rose !

— Alors, mettons que c’est pour la petite demoiselle… et n’en parlons plus.

— Si, parlons-en au contraire, dit Jean d’un ton nuancé d’une certaine gravité.

Et, avec une franchise dont il ne se croyait pas capable, il exposa à son ami sa situation vis-à-vis de Cydalise, espérant obtenir de lui quelque sage conseil. Jean ne dit pas tout d’abord que la petite baladine devait être, selon toute probabilité, la fille de cette baronne du Vergier venue dans la prison de Mauriac pour visiter l’ancien zouave blessé dans sa lutte avec Jacob. Il ne parla que d’un soupçon ; et il raconta néanmoins les incidents du Havre, la disparition de la fillette pendant plusieurs années ; il ne cacha pas même qu’il en avait éprouvé une grande peine, un profond chagrin…

Bordelais la Rose, devenu très attentif, démêla les véritables sentiments du petit Parisien, et ce qui le retenait de s’ouvrir à la mère éplorée, de ses suppositions si hasardées qu’elles pussent être.