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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/55

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Le chef de train accourait en suivant les marchepieds ; l’attention du machiniste était éveillée, mais le train ne ralentissait pas sa marche.

— Pourquoi n’arrête-t-on pas ? criaient les voyageurs.

Ils en comprirent la raison l’instant d’après.

Les deux malfaiteurs, très en vue, gravissaient le talus, couvert de bruyères, qui maintenait la ligne ferrée dans un fond. Tout à coup le train pénétra dans un second tunnel — le tunnel de Montplaisir. La nuit se fit, le sifflet de la machine et le roulement assourdi des roues des wagons mirent fin aux commentaires anxieux.

La lumière du jour reparut et le train s’arrêta enfin.

Les employés se précipitèrent vers le wagon où un crime avait dû être commis. Des voyageurs s’apprêtaient à les suivre, et déjà s’établissaient des dialogues alarmés entre maris et femmes :

— N’y vas pas, mon Adolphe, n’y vas pas !

— Eh ! je veux voir ça, moi, je te dis.

— Cela te ferait du mal… tu as le cœur trop sensible !

— Lâche-moi, ou je fais un malheur !

— En voiture ! En voiture ! criaient les employés.

Dans un compartiment, où elle se trouvait seule, râlait sur une banquette une dame encore jeune, richement vêtue ; une cravate d’homme en soie noire lui serrait le cou à l’étrangler. Suffoquée, elle faisait des efforts infructueux pour arracher ce lambeau de soie.

La cravate dénouée, elle ouvrit démesurément les yeux comme si elle craignait encore de se trouver en présence de son agresseur ; mais en se voyant secourue, elle respira bruyamment deux ou trois fois :

— Assassinée et volée ! s’écria-t-elle ; et elle s’évanouit.

Le conducteur pria deux dames du compartiment voisin de venir prendre place auprès de la victime, et un moment après le train se remettait en marche : la gare de Turenne était à quelques minutes.

— Eh ! on en voit des choses quand on voyage, mon petit Jean ! dit le compagnon du jeune garçon, qui demeurait sur sa banquette encore tout saisi, de grosses larmes roulant dans ses yeux.

Ce nom de Jean ramène sans doute le lecteur au souvenir de notre petit ami Jean Risler. C’était lui, en effet, très grandi, très fort pour un enfant de douze ans, mais peut-être trop réfléchi pour son âge. Son compagnon de route, on le devine, c’était ce brave homme de notre connaissance, l’ex-zouave, l’ex-charpentier Bordelais la Rose.