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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/571

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Vous y v’là en plein : c’est ben honnête, fit le Breton, mais sans montrer d’enthousiasme : il regrettait peut-être cet accommodement, et cherchait un arrangement plus avantageux encore.

Un autre débat surgit alors, qui avait une bien autre importance ! Jean, non seulement tenait à prendre par là Sarthe, la Mayenne, l’Ille-et-Vilaine et les Côtes-du-Nord ; mais encore il voulait s’arrêter quelques moments dans les principales villes échelonnées le long de la voie ferrée. Ce désir pouvait augmenter sensiblement la dépense. Il prit donc tout entière cette dépense à sa charge : Méloir avait rencontré, il faut l’avouer, dans le Parisien, un avocat zélé, qui, au rebours des autres avocats, dénouait sa bourse en faveur de son client.

Pour simplifier tout compte, le Breton s’empressa de remettre à son jeune protecteur le montant de ses frais de voyage, calculés comme il l’entendait ; cela fait, il ne se montra plus aussi pressé d’arriver, ne demandant pas mieux que de se laisser conduire — et héberger, aussi longtemps que Jean le voudrait : il avait besoin de s’accoutumer un peu à l’idée d’affronter la colère de son beau-père le tailleur de Landerneau, et les regards chargés de reproches de son aimable promise, la rousse Vivette.

— Il y a donc que vous êtes un cœur, dit Méloir tout à fait rassuré sur le chapitre de la dépense ; quel mignon voyage on fera nous deux, avec tout l’esprit qu’on a, moi et vous. Hohé là, houp !…

Les voilà donc enfin en route. De Tours au Mans, le trajet est de trois heures. Partis par le premier train, ils arrivaient au chef-lieu de la Sarthe vers neuf heures et demie du matin. Ils avaient passé en vue de plusieurs localités, dont la seule qui puisse être signalée à la curiosité des touristes est Château-du-Loir, petite ville de 3,000 et quelques centaines d’habitants, située sur un coteau, au confluent de l’Ive et du Loir.

Le tracé du chemin de fer est à égale distance de Saint-Calais à droite et de la Flèche à gauche, deux chefs-lieux d’arrondissement à soixante kilomètres l’un de l’autre ; et comme le Mans occupe un point central de la Sarthe, Jean avait pu se faire quelque idée de l’aspect général du département. C’est surtout un pays agricole, divisé en petites fermes appelées « closeries » ou « bordages », dont on devine que les tenanciers ne disposent pas de grands capitaux. Les plaines bien arrosées, et fertiles près des rivières, sont creusées de vallées profondes avec des étangs, et sillonnées de collines peu élevées, que se partagent les cultures de légumes et du maïs, les prairies de trèfle et de luzerne, les vignes et les anciennes forêts réduites aux