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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/58

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

vieux caporal de Crimée et renouer connaissance avec lui pendant quelques heures ! Un rude lapin, mon « fiston », que ce Crépin Cardaillac ! Et… avec l’étoile sur la poitrine au moins. On ne viendra pas la lui prendre à celui-là ! Nous voilà à Saint-Denis.

— Mais… on ne l’a pas enlevée à mon père, sa croix, dit Jean en protestant vivement ; il était mort quand c’est arrivé…

— C’est vrai ! c’est vrai ! J’ai tort de parler ainsi…

— C’est moi qui aurais dû empêcher cette profanation…

— Pauvre enfant ! Quel âge avais-tu lorsque le Risler a commis cet acte indigne ?

— Je n’avais pas huit ans. Ma pauvre grand’mère Risler criait et pleurait…

— Et toi ?

— Moi, je m’étais suspendu à la jaquette de mon oncle ; mais il est si fort ! il m’a détaché avec une chiquenaude… et je me suis assis… dans les cendres de la cheminée. Qu’il y prenne garde : je deviendrai un homme un jour…

— Tu es un brave garçon, va !… Écoute ce bruit. Nous passons la Dordogne sur le pont en tôle de Floirac… cent cinquante et quelques mètres. Maintenant le chemin de fer va monter jusqu’au plateau du Causse. Tu me dis qu’il est fort ton oncle ?…

— Comme les hercules de la foire au pain d’épice.

— Est-ce pour m’effrayer ? Apprends, mon fiston, que le bon droit triple la force d’un homme… Et nous avons le bon droit pour nous. Je le démolirai, ton oncle ! Sac et giberne ! il faut que je lui casse quelque chose. Ça me revient tout d’un coup ce que tu m’as rapporté au sujet de la croix de ton pauvre père. Le sang des pieds me monte à la tête, et je vois tout rouge. Tiens ! l’un de ces deux brigands de tantôt était, certes, bien solidement constitué ?…

Jean ne répondait pas ; il regardait fixement son vieil ami, qui reprit avec quelque impatience :

— Je parle de ceux qui ont étranglé la dame ! Sac et giberne ! il me semble que je m’explique. Eh bien ! si ton oncle était aussi fameusement charpenté que ce gaillard, il ne me ferait pas peur ; je n’aurais qu’à penser à la scène faite par lui à ta grand’mère Risler.

Cette scène, à laquelle Bordelais la Rose faisait allusion, lui avait été racontée, les larmes aux yeux, par son petit protégé. Un jour, — il y avait de cela cinq ans, — Jacob Risler était venu chez sa cousine Gertrude pour lui emprunter une somme d’argent que la grand’mère de Jeanne ne voulut pas lui prêter. Extrêmement irrité de ce refus, il se lança dans des récriminations, et