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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

les propriétaires du sol. Depuis, d’autres conditions leur ont été faites qui ne leur accordent plus que le cinquième du rendement ou moins encore. De là un état permanent d’hostilité.

L’exploitation des pins, qui a fait la fortune des Landes, a enrichi nombre de particuliers sans modifier sensiblement le milieu social dans lequel ils vivent. Tel paysan, qui possède depuis peu les revenus d’un millionnaire, marche encore pieds nus et n’a pas déposé ses sordides vêtements de travail. Certaines communes ont réclamé leur part de l’enrichissement général. Des municipalités, qui possédaient de vastes étendues de landes rases, en ont vendu une partie pour ensemencer ce qui leur restait, et à l’exemple des particuliers, se sont mises en possession de revenus considérables, qui permettent de faire des dépenses d’intérêt général — et même de folles dépenses. Ainsi il n’est pas rare de voir une commune dont le hameau principal n’a pas douze maisonnettes, célébrer sa fête patronale par des combats de taureaux, par des courses de chevaux, — le tout à grands frais.

— Les nomades des landes, reprit Maurice, ne poussent pas jusqu’aux dunes encore mobiles. Qu’y feraient-ils ? Tout y est sans vie. Quelques oiseaux de mer sont parfois amenés par la courbe de leur vol à animer un instant le lugubre paysage. Et voilà, mon ami, où je cherchais… un beau-père ! Au surplus, sans Méloir, j’y serais resté. Ce Breton est un garçon dévoué et de bon conseil. Il m’avait forcé de prendre un guide et je m’en suis bien trouvé. Il faut savoir qu’il n’y a pas de chemin tracé ; en revanche, des fondrières recouvertes de sable multiplient les dangers sous vos pas. On les appelle « blouses » dans le pays. Dieu préserve mes ennemis de ces blouses-là ! Elles se trouvent en des endroits où des amas d’eau ont été saturés de sable, et en s’évaporant ont laissé une infinité de petites voûtes. Là est le piège. La surface ne le trahit pas.

» On s’aventure dessus ; les voûtes cèdent sous le poids et on entre là-dedans jusqu’à mi-corps. C’est ce qui m’est arrivé. Je pousse un cri : j’en avais jusqu’à la ceinture. Méloir accourt à mon aide et disparaît jusqu’à la poitrine. Et il me semblait que je continuais d’enfoncer. Je me rappelai cette saisissante description de l’enlisement qu’on lit avec terreur dans les Misérables, et je sentais mes cheveux se dresser sur la tête.

» Mais notre guide nous cria de ne pas avoir peur.

» Il nous indiqua ensuite une bien singulière manière de nous tirer d’affaire, ma foi ! Il fallait raccourcir une jambe, laisser au sable environnant le temps de couler, de se tasser sous le pied, puis en faire autant de l’autre