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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/643

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

l’animal ? Sa présence est constatée bien avant qu’il se soit montré. C’est là ce qui rend très difficile la chasse du chamois.

Au fond de la vallée du Lys, que suit la rivière du même nom, au delà des glaciers du pic de Crabioules et du port d’Oo se trouve le Portillon, col qui s’ouvre à plus de trois mille mètres au-dessus du niveau de la mer sur la ligne de séparation des Pyrénées françaises et espagnoles. En avant du Portillon, bleuit un lac qui porte aussi ce nom.

Le soleil était haut déjà lorsque sir William, Maurice et Jean occupèrent le Portillon avec leur escorte de chasseurs et de rabatteurs. Ils avaient suivi en voiture la route qui longe la rivière du Lys.

Le baronnet se montrait dispos et allègre ; et on le crut aisément lorsqu’il raconta que, dès sa jeunesse, il avait gravi Lien des fois les flancs abrupts des highlands de l’Écosse. Maurice faisait bonne figure, la carabine à la main. Quant à Jean, en sa qualité de petit Parisien, il était apte à tout, et il n’eût pas volontiers passé à d’autres cette arme dont il comptait faire un si bon usage. C’est lui qui suivait de plus près les chasseurs de chamois que le guide avait amenés ; il faut tout dire : ses fortes semelles lui permettaient d’avancer plus lestement que Maurice ou le baronnet.

Méloir ne semblait pas non plus malhabile à jouer des jambes. Son jeune maître n’avait pas voulu qu’on lui confiât une carabine et la précaution ne manquait pas de sagesse. Le Breton se dédommageait en exécutant avec un bâton de prodigieux moulinets. Mêlé aux rabatteurs, ceux-ci, en l’entendant enfiler des kyrielles de jurons et invoquer tour à tour les saints de Bretagne aux noms bizarres, pensaient qu’il procédait à sa manière à l’œuvre commune par des paroles cabalistiques.

Les trois chasseurs choisis par le guide étaient de solides gaillards pourvus de muscles infatigables, endurcis au métier, grimpeurs hardis, tireurs émérites. La chasse actuelle n’était pour eux qu’un jeu, et ils se tenaient aussi près que possible du baronnet pour ne pas l’humilier en le distançant.

Toutefois ils se plaisaient à faire montre de la justesse de leur coup d’œil, de leur sang-froid, de leur décision.

Ils prenaient sur le bord d’un précipice, le long d’une paroi presque perpendiculaire des positions exigeant une vigueur extrême des membres, s’aidant pour s’appuyer des coudes, des épaules, du menton, des dents au besoin, bondissant par moments comme l’animal agile que l’on poursuivait, rampant le moment d’après pour franchir un mauvais passage, — façons de virtuoses en quête d’applaudissements.