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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/646

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Glorieux, le baronnet s’était levé et le bonnet à la main, religieusement, il entonnait d’une belle voix de basse le God save the queen !

Mais Jean avait vu le bouc de la troupe s’engager sur cette corniche si étroite que suivait Méloir.

L’animal faisait des bonds de cinq à six mètres.

Jean cria au Breton de se garer. Son cri se perdit dans les actions de grâce de l’Anglais et les hourrahs frénétiques des chasseurs. D’ailleurs toute place faisait défaut pour se mettre hors d’atteinte de la bête, redoutable par son élan, et la rencontre allait être inévitable.

Désespérement Jean tira sur le bouc, et Maurice, qui devina ce qui allait arriver, l’imita, mais tardivement, et leurs corps de feu ne produisirent d’autre effet que d’accélérer la vitesse de l’animal.

Un des rabatteurs vit aussi le danger que courait le Breton et lui cria de se coucher — pour que le chamois pût lui passer sur le corps sans le renverser : trop tard : le choc eut lieu, et Méloir disparut dans le vide.

L’isard perdit pied également ; mais il s’en tira et, profitant des moindres aspérités, il opéra sa descente par bonds prodigieux, réduit par instants à faire porter tout le poids du corps sur les pieds de derrière et à ralentir la descente en faisant frotter ces pieds contre la roche.

Tout cela se passa bien plus vite qu’on ne saurait le dire.

Ce fut l’incident émouvant de la chasse et qui manqua de tourner au tragique.

Heureusement dans sa chute rapide le gars rencontra une pointe de rocher à laquelle il demeura accroché par sa veste, brusquement remontée autour de son cou.

Méloir étouffait, et il se mit à crier autant qu’il le put. Ses bras battaient dans le vide ; les manches de sa veste étaient à demi dépassées, et il se raidissait pour ne pas glisser du double fourreau des manches, cherchant aussi pour ses pieds un point d’appui qu’il ne rencontrait pas.

Le rabatteur qui avait assisté le plus près à la rencontre du chamois et du Breton réussit à se rapprocher du gars, et dénouant sa ceinture, il en fit descendre un bout jusqu’à lui. Méloir s’y cramponna, se hissa légèrement, put dégager sa tête et respirer un peu. Le plus difficile était fait. Dix minutes après — dix minutes bien longues ! — un autre rabatteur apporta une corde tenue en réserve dans son sac et, à eux deux, ces braves gens travaillèrent, non sans s’exposer eux-mêmes, à tirer d’affaire le Breton.

Sir William, Maurice et Jean, d’une élévation voisine assistaient à cette