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« Ton maître te tombe sur le dos et ne cesse de rabâcher ;
« Que hier au jeu il a perdu la forte somme,
« Que tout la nuit les puces ont mordu madame,
« Que hier soir il ne se serait pas mis à jouer aux cartes
« Si la nuit dernière il avait pu sommeiller ;
« Il répète que toi, Riabko, tu as aboyé comme un chien ;
« Qu’il t’assommera à coups de gourdin,
« Parce qu’il en a assez de toi, tu l’embêtes,
« Voilà pourquoi il t’a fait tâter des verges,
« Tu vois bien, Riabko, tu le vois. N’aboie pas, ne te mets pas en chasse,

« Reste couché tranquillement, tais-toi ; les maîtres c’est une chose à part,

« À quoi bon aboyer ? Que notre maître soit en bonne santé
« Et il s’acquittera bien tout seul de cette corvée ! »

Notre Riabko écouta les conseils de Iavtouk.
« Que le diable emporte mon maître,
Se dit-il, à quoi bon, comme on dit, donner des verges,
Pour se faire battre ?
Puisque l’on trouve que je ne fais pas bien mon service
Je me retire.
Que la dame descende de voiture — ne voilà-t-il pas un grand malheur !
Les juments ne traîneront le véhicule que plus aisément et s’en féliciteront. »
Ainsi philosophait notre brave Riabko
Et il resta couché tout le long du jour et de la nuit.
Il dort, il ronfle que la meule de paille en est ébranlée,
Il n’a aucun souci, point de rêves, point de cauchemars,

Que lui chaut que les soldats moscovites s’introduisent dans la ferme et dans le garde-manger.

Qu’ils s’y conduisent comme s’ils y étaient chez eux ;
Que le loup prenne les agneaux, ou la martre les poussins !

Mais voici que peu à peu il commence à faire jour dans la ferme.
« Ici, Riabko, ici ! » Tout le monde sort en courant dans la cour.
« Riabko, Riabko, » appelle-t-on à l’envie.
Notre Riabko n’en fronce même pas le sourcil ;
Il entend, mais fait semblant de dormir et de ne pas entendre.
« Cette fois, pense-t-il, mon maître a dû dormir toute la nuit,
Car Riabko ne l’a pas réveillé en aboyant ;
Maintenant il me témoignera sa reconnaissance.

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