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XXXIX

RETOUR

Le général Hogendorp. — Départ du Brésil. — Jeux des peuples. — Arrivée en France.

J’ai dit adieu au général Hogendorp, que j’ai trouvé dans sa case, seul avec son fidèle serviteur. Je lui ai encore apporté du pain, car il n’en a pas ; j’ai écouté trois fois dans la même soirée, et sans en être fatigué, le récit de ses belles campagnes ; je me suis laissé dire les injustices et les malheurs passés, et quand j’ai voulu parler de l’avenir, quand j’ai fait entrevoir la possibilité d’un retour dans une patrie ingrate :

— Taisez-vous, m’a répondu en me serrant la main ce noble débris des plus vaillantes armées du monde ; taisez-vous, il n’y a pas de patrie pour moi, ou plutôt, ma patrie c’est cette case de bois où nous sommes à la gêne, ces quelques pieds de cafier, ces orangers et ce noir. Les hommes, mon cher Arago, n’aiment pas à réparer une injustice, car c’est avouer qu’ils ont eu tort. Et puis, ai-je servi mon grand empereur avec dévouement et fidélité ? Oui, sans doute, je le jure sur ma vieille épée de soldat. Que feraient de moi ceux qui gouvernent maintenant la France ? Et puis encore, je ne veux pas plus d’eux qu’ils ne voudraient de moi.