Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/100

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fondus dans une brume idéale, les passions s’étaient exaltées, spiritualisées, sublimées[1] ».

Le samedi soir, il courait les rues de Londres : « En quoi le samedi soir se distinguait-il de tout autre soir ? De quels labeurs avais-je donc à me reposer ? quel salaire à recevoir ? Et qu’avais-je à m’inquiéter du samedi soir ?… Les hommes donnent un cours varié à leurs sentiments, et, tandis que la plupart d’entre eux témoignent de leur intérêt pour les pauvres en sympathisant d’une manière ou d’une autre avec leurs misères et leurs chagrins, j’étais porté à cette époque à exprimer mon intérêt pour eux en sympathisant avec leurs plaisirs. J’avais récemment vu les douleurs de la pauvreté, je les avais trop bien vues pour aimer à en raviver le souvenir ; mais les plaisirs du pauvre, les consolations de son esprit, les délassements de sa fatigue corporelle ne peuvent jamais devenir une contemplation douloureuse. Or, le samedi soir marque le retour du repos périodique pour le pauvre ; les sectes les plus hostiles s’unissent en ce point et reconnaissent ce lien commun de fraternité ; ce soir-là, presque toute la chrétienté se repose de son labeur. C’est un repos qui sert d’introduction à un autre repos ; un jour entier et deux nuits le séparent de la prochaine fatigue. C’est pour cela que le samedi soir il me semble toujours que je suis moi-même affranchi de quelque joug de labeur, que j’ai moi-même un salaire à recevoir et que je vais pouvoir jouir du luxe du repos. Aussi, pour être témoin, sur une échelle aussi large que possible, d’un spectacle avec lequel je sympathisais si profondément, j’avais coutume, le samedi soir, après avoir pris mon opium, de m’égarer au loin sans m’inquiéter du chemin ni de la distance, vers tous les marchés où

  1. Confessions, etc.