Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

annoncer les heures, ou la cloche d’une petite chapelle solitaire verser son glas lugubre sur les tombes où dormaient les rudes ancêtres des habitants du hameau… Tel était le genre de plaisir que je goûtais dans mes promenades nocturnes[1]. »

Les fêtes de l’esprit ne chômaient point dans sa montagne. Il avait pour voisins Wordsworth, Southey, Coleridge et leurs familles. Wordsworth, un peu olympien d’aspect et de manières, quoique mal bâti, assez égoïste, et sentimental en vers seulement, n’en avait pas moins une âme très noble, douée de hautes facultés, et une imagination tendre. Son seul gros défaut était d’abîmer les livres, avec ingéniosité, avec raffinement. Southey, grand bibliophile, le comparait à un ours dans un parterre de tulipes, et ne l’introduisait qu’en tremblant au milieu de ses trésors. Quincey n’aurait peut-être jamais écrit certain article très malicieux, qu’on lui a souvent reproché, si Wordsworth n’avait pas coupé son Burke avec le couteau du beurre. Je comprends les représailles en pareil cas, et je les excuse. — Miss Wordsworth, une brune agitée et bégayante, aux yeux sauvages, mais intelligente, vibrante, pleine de cœur, était la bonne fée de son illustre frère, dont elle avait humanisé le génie un peu sévère et qu’elle accompagnait par monts et par vaux, sous la pluie et le soleil, à la recherche de sensations et d’images poétiques. Quincey n’eut pas de meilleure amie. — Mme Wordsworth, laide, bête, louche, et charmante. — Southey, modeste et froid, modèle d’honneur et de vertu, vivait dans ses livres, auxquels il avait donné la plus belle pièce de sa maison, et cela disposait Quincey à penser du bien de ses vers. — Coleridge, « le vieux somnambule sublime », l’ilote

  1. The Lake poets : Wordsworth and Southey.