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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/136

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ture anglaise, qu’il aimait avec passion dans ses manifestations les plus diverses, et sans craindre les innovateurs, ainsi qu’on l’a vu à propos de Wordsworth et de Coleridge. Pendant toute sa jeunesse, les lakistes avaient été vilipendés en Angleterre, beaucoup plus violemment que ne l’ont jamais été chez nous les décadents ou les symbolistes. En dehors d’une très petite église, on ne daignait connaître Wordsworth et Coleridge que pour « les piétiner, leur cracher dessus. Il n’y avait jamais eu d’exemple d’hommes tenus pour aussi abjects par l’opinion publique ; il n’y en a jamais eu depuis et il n’y en aura jamais… Ils étaient les parias de la littérature[1] ». Quincey, qui professait un véritable culte pour Milton et qui proclamait la Dunciade « immortelle[2] », — Quincey fut néanmoins l’un des premiers fidèles, et des plus fervents, de la chapelle lakiste. Bien qu’il ne le dise nulle part, il était de ceux qui pensent que l’art doit se transformer sans cesse, sous peine de mourir, ce qui est le seul vrai malheur. Un art quelconque ne peut pas plus s’arrêter au point de la perfection qu’à tout autre ; la tragédie de Racine était parfaite, et les imitateurs de Racine ont été un fléau littéraire. En tout pays, on devrait être reconnaissant aux jeunes iconoclastes qui travaillent à briser les vieux moules, sans se soucier des quolibets de la foule : ils représentent la vie, ils sont la vie. Peu importe qu’ils soient destinés ou non à créer le nouveau moule qui s’imposera à son tour à l’admiration de cette même foule. Si ce n’est pas eux, ce sera un autre, un homme de génie à peine né peut-être, ou encore à naître, qui

  1. Recollections of Charles Lamb.
  2. Note sur Pope. Sans date, mais postérieure, selon toute vraisemblance, à 1830.