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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/169

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tombeau en disant : « — Ici repose un noble cœur. » C’était un rude homme, plein de vertu, énergique, le contraire d’un sentimental et d’un névrosé. Peut-être convient-il néanmoins de faire remonter jusqu’à lui, si ce n’est plus haut encore, les germes de l’alcoolisme qui a ravagé une partie de sa descendance. Je remarque les lignes que voici dans une lettre adressée à Edgar Poe par l’un de ses cousins : « — (15 juin 1843) … Il y a une chose contre laquelle je tiens à vous mettre en garde, et qui a été le grand ennemi de notre famille : l’usage immodéré de la bouteille[1]. »

On ne sait rien de la femme du « général », sinon qu’elle lui donna plusieurs enfants. L’aîné était un fils, David, qui apporta tout à coup dans cet intérieur puritain les surprises et les scandales d’un tempérament morbide et d’une âme mal affermie. C’était un impulsif, de vie décousue et inutile, que la phtisie dévorait et qui aiguillonnait la phtisie par son ardeur au plaisir, l’un de ces adolescents mal nés que leur instinct pousse parmi les mauvaises compagnies, et qui apparaissent dans les familles graves et pieuses comme une punition d’en haut pour quelque péché lointain et ignoré. Le Dieu du vieux Poe était Celui qui a dit : « — Je suis le Dieu fort et jaloux, qui punis l’iniquité des pères sur les enfants en la troisième et quatrième génération… » David fut la verge divine sous laquelle cet homme de fer courba la tête : son fils, son propre fils, était fou de théâtre et jouait lui-même en amateur.

Le général Poe l’avait destiné au barreau. L’âge venu, il l’envoya au loin, chez un homme de loi, mais l’attrait des coulisses était devenu irrésistible. David s’enfuit pour rejoindre une troupe ambulante et y

  1. The Century illustrated (New York, septembre 1894).