Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/178

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ascendant sur ses camarades, un seul excepté, qui s’est présenté à l’école le même jour que lui, et qui a même nom, même taille, même visage. Quand l’un paraît, on voit l’autre, et on ne les distinguerait point, sans une infirmité qui empêche l’étranger « de jamais élever la voix au-dessus d’un chuchotement très bas ». C’est la seule différence qui existe entre William Wilson et son double, car « sa voix, pourvu qu’il parlât bas, devenait le parfait écho de la mienne[1] ».

Autant le reste de la classe était soumis au despotisme de « l’enfant de génie », autant son double mettait de persistance à le contrarier. Il ne se contentait pas, comme celui de Musset dans la Nuit de décembre, de soupirer en montrant du doigt la colline ou les cieux. Il était la Conscience d’une âme violente, résolue à ne pas céder sans combat à des impulsions inexplicables non moins que honteuses. À toute heure, en tout lieu, il se plaçait entre la faute et le héros du conte, qu’il s’efforçait de retenir, tantôt lui insinuant un bon conseil dans un de ses « chuchotements significatifs », tantôt lui donnant d’un ton impératif un avertissement solennel. Repoussé avec impatience, et bientôt avec haine, il revenait à la charge et redoublait ses importunités, plus odieuses chaque jour à celui qui ne lui obéissait qu’en frémissant. Ce qu’il serait advenu de William Wilson dans d’autres conditions, avec la direction morale qui lui fit défaut par la faiblesse ou l’incurie des siens, chacun est libre d’en penser ce qu’il lui plaira, selon ses idées et selon sa foi. Abandonné à lui-même, il devint ce qu’est devenu Edgar Poe. Les germes morbides que l’enfant avait reçus en héritage grandirent chez l’adolescent,

  1. Les italiques ne sont pas de nous. Poe en faisait un grand usage.