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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/183

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ni même intellectuelles ; elle ne lui apportait que la suppression d’un besoin douloureux. Il avalait l’alcool par grandes lampées, sous l’impulsion d’une espèce de volonté désordonnée qui sommeillait quelquefois des mois entiers, pour se réveiller en sursaut au moment le plus inattendu. Ses excès gardèrent jusque près de la fin ce caractère d’intermittence. Il redevenait sobre tandis qu’autour de lui tout n’était qu’occasions et tentations ; il cessait brusquement de l’être lorsqu’il paraissait le plus en sûreté. Ces bizarreries portent un nom en médecine, la dipsomanie. Si l’absence d’observations précises ne permet pas d’affirmer qu’Edgar Poe ait été en effet un dipsomane, ce qu’on sait de lui autorise assurément à le supposer. — « Tous les auteurs, écrit le docteur Magnan[1], distinguent aujourd’hui la dipsomanie de l’alcoolisme, celle-ci est une forme particulière de monomanie instinctive, puisant le plus souvent son origine dans l’hérédité ; l’alcoolisme, au contraire, est un simple empoisonnement qui se traduit chez tous de la même manière… »

« Les ivrognes, dit de son côté le docteur Trélat, sont des gens qui s’enivrent quand ils trouvent l’occasion de boire. Les dipsomanes sont des malades qui s’enivrent toutes les fois que leur accès les prend. »

Selon les mêmes savants, l’accès en fait des manières d’aliénés. Le docteur Trélat a accueilli dans un ouvrage sur la Folie lucide le cas d’une femme à qui la dipsomanie avait coûté fortune et situation : « On ne pouvait, dit-il, sans être pris d’une vive compassion, entendre le récit des efforts qu’elle a faits pour se guérir d’un penchant qui lui a toujours été si funeste. Quand elle sentait venir son accès, elle mettait dans le

  1. Magnan, De l’Alcoolisme.